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Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 169, 2021
Hommage à Pierre Habib et Pierre Duffaut
Numéro d'article 10
Nombre de pages 3
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2021024
Publié en ligne 15 octobre 2021

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2021

1 Introduction

Le développement de la modélisation physique en géotechnique en France n’aurait sans doute pas été initié à partir des années 1970 sans l’apport de Pierre Habib. En effet, les premiers essais géotechniques en centrifugeuse, réalisés sur la centrifugeuse du CEA-CESTA, l’ont été à l’initiative des chercheurs du Laboratoire de Mécanique des Solides (Garnier, 2001). L’installation d’une centrifugeuse géotechnique en France a été recommandée dès 1973 par la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique du Ministère de l’Industrie, puis approuvée en 1980 pour une installation sur le Campus de Nantes de l’actuelle Université Gustave Eiffel. Ce chemin a été possible, en particulier, par l’action de Pierre Habib qui présida notamment le Groupe d’Études et de Recherches sur la MOdélisation en Centrifugation (GERMOC), et ce dès 1981. « La construction d’une grande centrifugeuse dédiée aux études géotechniques au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées a été l’aboutissement, auprès du Ministère de la Recherche dans les années 1970, de l’intérêt scientifique de cette approche, plaidoyer auquel P. Habib participa avec conviction », nous rappelle Corté (1998) à l’occasion du jubilé scientifique de Pierre Habib.

2 Effet d’échelle

Si l’existence des effets de taille et effets d’échelle est bien connue (e.g. Corté, 1989), l’étude de l’un ou de l’autre peut être illustrée dans un plan d’expérimentations sur modèles réduits centrifugés (Fig. 1). En considérant un même prototype (ouvrage en vraie grandeur), on peut étudier les éventuels effets d’échelle. En simulant des prototypes de différentes tailles, on pourra aborder les effets de taille.

La terminologie « effet d’échelle » qualifie ainsi tout écart entre les résultats, exprimés sous forme adimensionnelle, entre un modèle réduit et la structure prototype correspondante. L’une des causes est l’utilisation du même sol entre le modèle réduit et le prototype. Cela ne pose pas de problème pour les sols argileux (il y a d’autres difficultés !), mais nécessite une vigilance accrue lors de l’utilisation de sables, denses en particulier, dès lors que l’hypothèse du matériau granulaire se comportant comme un milieu continu devient discutable. C’est un sujet que Pierre Habib (1974, 1985, 1989) a abordé dans plusieurs publications, notamment au sujet du « poinçonnement des sables secs » (Fig. 2) et du développement progressif d’une surface de glissement.

D’autres causes peuvent être à la source des effets d’échelle qui englobent des aspects finalement mal connus : le fait de ne pas pouvoir mettre à l’échelle tous les matériaux (parce qu’ils n’existent pas), ou que les « propriétés mécaniques d’un grand morceau sont différentes d’un petit morceaux » (Habib, 1989). Sur l’aspect de comportement des matériaux, les premières observations remontent à Galilée (1638), tant sur les différentes propriétés des os d’animaux de tailles différentes pour assurer la même sécurité, que sur la « solidité et la résistance aux heurts violents ».

Depuis les années 1980, le domaine de la modélisation physique en géotechnique s’est structuré, notamment au travers du comité international TC104 de la société internationale de mécanique des sols et de la géotechnique (ISSMGE, 2021) via l’organisation d’événements réguliers (Thorel et Jenck, 2021) et la création d’un journal international, International Journal of Physical Modelling in Geotechnics, en 2001 (IJPMG, 2021). En particulier, un catalogue des lois d’échelle et des questions de similitude a été établi (Garnier et al., 2007), dans lequel sont listées les conditions pour lesquelles les effets d’échelle peuvent être évités.

Par exemple, pour une fondation superficielle circulaire de diamètre B, il faut respecter un rapport avec le diamètre des grains d50 pour éviter tout effet d’échelle de B/d50 > 35. Pour le frottement d’interface sur des pieux en traction, les effets sur la résistance ultime sont limités si B/d50 > 50 ou 100, selon les auteurs. Ces résultats sont empiriques, s’appuyant sur des programmes expérimentaux réalisés en centrifugeuse en utilisant l’approche de modélisation à différentes échelles ou « modelling of models », forgée par Schofield (1980). Notons que le diamètre moyen d50 est un paramètre pratique, mais sans doute insuffisant car il ne renseigne pas sur la densité du sol, laquelle a un effet prépondérant sur le comportement.

Dans le domaine des ancrages (e.g. Le Tirant et al., 1977 ; Habib et al., 1980), de récents résultats viennent illustrer la question des effets d’échelle et de la représentativité des essais en centrifugeuse. Cela concerne les ancres hélicoïdales, constituées d’un fût et d’une hélice soudée sur le fût. Les effets combinés de mobilisation du frottement le long du fût et au sein du massif, pour lesquels les conditions d’évitement d’effet d’échelle sont différentes, ont fait l’objet d’une étude particulière dans du sable dense (Fig. 3). Quatre modèles réduits d’ancre hélicoïdale simulant le même prototype (diamètre de l’hélice D = 33 cm, profondeur de l’hélice de 6D et diamètre du fût d = D/3,3) ont été testés dans trois conteneurs de sable d’Hostun HN38. Dans ce cas, on trouve une valeur moyenne de résistance QT = 61 ± 6,7 kN et on conclut, en utilisant le rayon effectif de l’hélice w = (D−d)/2, qu’il n’y a pas d’effet d’échelle notable tant que w/d50 > 58.

thumbnail Fig. 1

Plan d’expérience imaginé par Ovesen (1979) pour des expérimentations sur modèles réduits centrifugés de fondations superficielles (modifié par Thorel, 2013).

Experimental plan devised by Ovesen (1979) for experiments on centrifuged scale models of shallow foundations (modified by Thorel, 2013).

thumbnail Fig. 2

La dilatance de la surface de glissement a la même amplitude (α) pour deux fondations homothétiques placées sur le même sable (Habib, 1985).

The dilatancy on the slip line has the same amplitude (α) for two homothetic foundations installed on the same sand (Habib, 1985).

thumbnail Fig. 3

Résistance ultime en traction (en valeurs prototypes) déduites d’essais sur des modèles réduits d’ancres hélicoïdales de différentes taille (Schiavon et al., 2016).

Ultimate tension load (in prototype values) of helical anchor models of different size (Schiavon et al., 2016).

3 Conclusions

L’activité expérimentale en géotechnique est un domaine sur lequel j’ai eu des échanges toujours très riches avec Pierre Habib, lorsque je fréquentais le Laboratoire de Mécanique des Solides et le Groupement pour l’Étude des Structures Souterraines de Stockage, mais aussi tout au long de ma carrière. Son analyse pertinente des problématiques, des limites et intérêts des différentes approches à la disposition des géotechniciens pour dimensionner les ouvrages géotechniques, est illustrée par ses quelques apports à la modélisation physique en géotechnique.

Les discussions et observations sur les effets d’échelle de l’interaction sol-structure dans les matériaux granulaires s’appuient encore sur des résultats empiriques, et positionnées au regard de la mécanique des milieux continus. Le développement des méthodes de simulation par éléments discrets (e.g. Pham et al., 2021) pourrait dans un avenir de moins en moins éloigné, apporter des éléments concrets de compréhension et de quantification des effets d’échelle, à commencer par le cas du « poinçonnement d’une fondation ».

Références

Citation de l’article : Luc Thorel. Similitudes et effets d’échelle dans les modèles physiques. Apports de Pierre Habib. Rev. Fr. Geotech. 2021, 169, 10.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Plan d’expérience imaginé par Ovesen (1979) pour des expérimentations sur modèles réduits centrifugés de fondations superficielles (modifié par Thorel, 2013).

Experimental plan devised by Ovesen (1979) for experiments on centrifuged scale models of shallow foundations (modified by Thorel, 2013).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

La dilatance de la surface de glissement a la même amplitude (α) pour deux fondations homothétiques placées sur le même sable (Habib, 1985).

The dilatancy on the slip line has the same amplitude (α) for two homothetic foundations installed on the same sand (Habib, 1985).

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Résistance ultime en traction (en valeurs prototypes) déduites d’essais sur des modèles réduits d’ancres hélicoïdales de différentes taille (Schiavon et al., 2016).

Ultimate tension load (in prototype values) of helical anchor models of different size (Schiavon et al., 2016).

Dans le texte

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