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Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 148, 2016
Numéro d'article 2
Nombre de pages 15
Section Géologie de l’ingénieur
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2016010
Publié en ligne 16 novembre 2016

© CFMS – CFGI - CFMR – CFG, Published by EDP Sciences 2016

1 Introduction

Le grand tunnel du Chambon est un ouvrage d’une longueur totale de 780 m situé sur la route départementale RD1091 (ancienne route nationale RN91), reliant Grenoble et Briançon par la vallée de la Romanche, et traversant une partie du versant nord de la retenue du barrage hydroélectrique du Chambon. Un tronçon d’un linéaire d’environ 30 m du tunnel connaissait depuis de très nombreuses années des désordres structurels notables. Le 10 avril 2015, le Conseil départemental de l’Isère (CD38), maître d’ouvrage, a été contraint de fermer le tunnel à la circulation compte tenu de l’aggravation de ces désordres. En surface, à l’aplomb de la zone des désordres dans le tunnel, ont été observés le développement et la propagation dans le versant de fractures délimitant un volume en mouvement estimé par la suite de l’ordre de 600 000 m3 à partir de l’analyse des reconnaissances disponibles par les géologues mobilisés par l’évènement (CD38, bureau d’études SAGE, EDF, service RTM de l’Isère et Cerema).

Les déformations dans le tunnel en profondeur, ainsi que les déplacements en surface du glissement, ont continué à régulièrement augmenter jusqu’à début juillet 2015 et ont contribué à l’abandon des travaux de réparation lancés en urgence par le CD38 (réalisation d’une contre-voûte en béton). Au cours du mois de juillet 2015, le glissement de terrain, dont le pied est très probablement situé au fond de la retenue, a connu deux périodes de grands déplacements, pendant lesquelles une rupture brutale a été redoutée :

  • la première, du 4 au 6 juillet 2015, s’est produite alors que le niveau d’eau de la retenue était maintenu à un niveau constant depuis le 10 avril 2015 ;

  • la seconde, du 25 au 27 juillet 2015, est intervenue suite à une élévation de quelques mètres du niveau d’eau de la retenue.

Les risques associés à une éventuelle rupture brutale (formation de vagues sur la retenue, phénomènes de run-up, nuage de poussières, etc.) ont nécessité une gestion de crise mobilisant de nombreux acteurs et l’adoption par le préfet de l’Isère de mesures spécifiques pour assurer la sécurité des personnes et des ouvrages lors de ces deux « crises ».

Depuis fin juillet 2015, les déplacements en surface du glissement se poursuivent, en étroite relation avec les variations du niveau d’eau de la retenue et la pluviosité.

Le présent article expose, dans une première partie, une description du site complétée par celle du glissement, puis, dans une dernière partie, une interprétation de ces désordres comme les manifestations d’une rupture progressive du versant.

2 Description du site

Le glissement de terrain affecte un versant de la vallée de la Romanche dans le massif de l’Oisans, au niveau de la falaise de la Berche surplombant la retenue du barrage du Chambon à Mizoën (Fig. 1).

thumbnail Fig. 1

Localisation du glissement du Chambon (Kasperski et al., 2016).

Chambon landslide location (Kasperski et al., 2016).

2.1 Contexte géomorphologique

Le glissement de terrain concerne la partie inférieure du versant nord de la vallée, qui présente une direction générale est-ouest, quasi orthogonale à la direction des grandes structures géologiques. Entre les cotes NGF +985 (fond supposé de la retenue) et +1 165 (escarpement principal du glissement au niveau d’une rupture de pente naturelle), le versant présente un dénivelé de 180 m et une pente moyenne de l’ordre de 40°. La vallée glaciaire de la Romanche présente un profil typique en auge : le glissement s’est développé au niveau du flanc légèrement plus raide de l’auge, immédiatement en deçà du niveau supposé du rebord d’auge (existence probable d’un épaulement glaciaire au-dessus de la cote NGF +1170).

Le mouvement de versant est situé au pied d’un vaste cirque d’érosion, dominé par des sommets culminant à près de 2 000 m d’altitude et marquant la bordure méridionale du plateau d’Emparis. Cette forme d’érosion est profondément incisée par quatre cours d’eau de direction parallèle (nord-nord-est–sud-sud-ouest). La partie occidentale du cirque, où se sont installés les hameaux de Singuigneret et des Aymes (à 200 m en amont de l’escarpement principal du glissement, cf.Fig. 1), présentant des pentes plus faibles, est soumise à des phénomènes érosifs moins intenses et est recouverte par la végétation.

La consultation d’anciennes cartes disponibles, notamment l’atlas des routes de France du milieu du xviiie siècle et la carte d’état-major du milieu du xixe siècle, indique qu’avant la mise en eau du barrage, l’ancienne route passait en fond de vallée sur la rive gauche de la Romanche et que le site de l’actuel glissement occupait une partie de la rive concave d’un coude de la rivière (Fig. 2).

Le pied du versant baigne en permanence dans la retenue du barrage hydroélectrique du Chambon, dont le niveau varie entre les cotes NGF +980 (cote minimale d’exploitation) et +1040 (cote maximale historique d’exploitation). La dernière vidange totale a été réalisée en 1993. Le barrage du Chambon a subi entre 2012 et 2014 des travaux lourds de confortement, concentrés en partie supérieure de l’ouvrage entre la cote NGF +1000 et le sommet à la cote NGF +1042. Le niveau d’eau de la retenue a été maintenu inférieur à la cote NGF +1010 pendant toute cette période. Le 10 avril 2015, au moment de la décision de fermeture du tunnel, la procédure de requalification du barrage allait débuter. Le niveau d’eau se situait à la cote NGF +1006, soit 36 m en deçà de la crête du barrage, et a été maintenu à cette cote jusqu’à début juillet 2015 par décision préfectorale, afin de ne pas risquer d’interagir avec le phénomène de glissement en cours.

thumbnail Fig. 2

Extrait de l’atlas des routes de France concernant la petite route de l’Oisans reliant Grenoble à Briançon, établi vers 1750.

Extract of the French roads atlas for the Oisans short road between Grenoble and Briançon, established circa 1750.

2.2 Contexte géologique

Le versant instable est constitué de schistes relativement homogènes (marnes métamorphisées) d’âge aalénien, faisant partie du flanc oriental du synclinal du Praouat de direction nord-nord-est–sud-sud-ouest (Gidon, 2001). Le cœur du synclinal du Praouat, constitué par les marno-calcaires du Bajocien, plus résistants à l’érosion et armant la falaise de la Berche, est situé à l’Ouest du glissement. À l’est, au niveau de la tête du grand tunnel du Chambon côté La Grave, les schistes sont en contact avec le Toarcien schisteux, de couleur plus sombre. Le synclinal du Praouat fait partie de la série de plis affectant la couverture jurassique du bloc cristallin d’Emparis au niveau de l’hémigraben du Ferrand (Fig. 3). Le contact entre le bloc cristallin des Grandes Rousses et celui d’Emparis se fait par l’intermédiaire d’un accident tectonique majeur, appelé faille du Chambon et situé à environ 1 km à l’Ouest du site du glissement.

Les anciens terrains sédimentaires présents dans la partie inférieure du versant ont été intensément plissés et déformés. En surface, les schistes présentent un débit feuilleté, sont très altérés et peu résistants (Fig. 4). On note une constance de l’orientation de la schistosité (S1 : N10°E à N35°E–50°SE à 70°SE), rentrante dans le massif, de même direction et quasi orthogonale à la stratification parfois difficile à identifier (S0 : N0°E à N10°E–45°NW à 55°NW). En profondeur, les schistes sont plus sains et compacts. La majeure partie du linéaire du grand tunnel du Chambon est d’ailleurs non revêtue.

thumbnail Fig. 3

Coupe géologique le long de la vallée de la Romanche (Gidon, 2001).

Geological cross-section along the Romanche Valley (Gidon, 2001).

thumbnail Fig. 4

Affleurement de schistes altérés à proximité du glissement.

Outcrop of weathered schists close to the landslide.

2.3 Contexte sismique

Une dizaine de séismes ont été enregistrés dans le secteur de La Grave entre juillet 2014 et juin 2015, tous de magnitude locale ML relativement faible, comprise entre 1,1 et 2,8 (source : Sismalp). Le dernier séisme notable dans la région (ML = 4,8) remonte au 7 avril 2014 ; son épicentre était situé près de Jausiers (04), à environ 80 km au Sud-Est du site du glissement. D’après Kasperski et al. (2016), le mouvement de terrain a montré une légère sensibilité aux vibrations engendrées par des tirs de reconnaissance réalisés à proximité début novembre 2015 dans le cadre de l’étude de faisabilité d’un tunnel de dérivation profond (Fig. 1).

2.4 Contexte météorologique

D’après les relevés de la station météorologique de l’EDF de La Grave, les mois précédant l’aggravation des désordres dans le tunnel début 2015 ont été caractérisés par une pluviosité légèrement inférieure à la normale (Fig. 5).

Une fonte de la neige due à un radoucissement soudain des températures a été observée sur les sommets fin mars 2015. La première « crise » de juillet 2015 a été précédée par une période sèche d’une durée de 17 jours et la seconde « crise » de juillet 2015 par quelques épisodes pluvio-orageux d’intensité faible à moyenne (Fig. 6).

thumbnail Fig. 5

Précipitations mensuelles à La Grave entre avril 2014 et juillet 2015.

Monthly precipitation in La Grave between April 2014 and July 2015.

thumbnail Fig. 6

Précipitations journalières à La Grave en juin et juillet 2015.

Daily precipitation in La Grave in June and July 2015.

2.5 Contexte hydrogéologique

En pied de versant, il existe très probablement, dans les schistes supposés relativement perméables (en raison du débit feuilleté de la schistosité rentrante dans le massif), une nappe d’accompagnement en équilibre avec le niveau d’eau de la retenue. Aucune donnée piézométrique n’est cependant disponible pour confirmer cette hypothèse.

De plus, les fissures du massif rocheux sont le siège de circulations d’eau préférentielles, dont une partie est interceptée par le tunnel. Ces venues d’eau, ainsi que l’eau de la source des Aymes, la plus proche du glissement de terrain en surface, sont basiques (pH entre 7,5 et 8,3). Elles présentent une minéralisation élevée (conductivité supérieure à 600 μS/cm), voire, pour certains points de mesures, une minéralisation très élevée (conductivité entre 1 000 et 1 250 μS/cm) (Fig. 7 et 8). Ces hautes valeurs de conductivité pourraient révéler de longs trajets ou de longs temps de séjour de l’eau dans les fissures des formations carbonatées de la couverture jurassique.

Depuis le début des mesures ponctuelles en juin 2015, la conductivité de l’eau de la source des Aymes a présenté :

  • des valeurs minimales fin juin 2015 et en juillet 2015 (significativement inférieures aux valeurs de conductivité mesurées à la même période en 2016). Ces valeurs font suite aux fortes pluies de mai 2015 et début juin 2015 (Fig. 5) ;

  • une valeur maximale fin février 2016, avant la fonte de la neige ;

  • une diminution progressive en mars 2016 et en avril 2016, pendant et après la fonte de la neige ;

  • une augmentation progressive pendant les périodes relativement sèches lors de l’automne 2015 et de l’été 2016.

Il est donc possible que les valeurs minimales enregistrées en juin 2015 et en juillet 2015 correspondent à une période de plus fort débit de la source des Aymes, en relation avec des circulations d’eau plus importantes dans le massif.

thumbnail Fig. 7

Conductivité électrique des venues d’eau dans le tunnel (repérées par leurs points métriques notés PM) en juillet 2015 et en septembre 2015.

Electrical conductivity of water inflows in the tunnel (identified by their metric points noted PM) in July 2015 and in September 2015.

thumbnail Fig. 8

Conductivité électrique de l’eau de la source des Aymes entre juin 2015 et août 2016.

Electrical conductivity of Aymes spring water between June 2015 and August 2016.

2.6 Historique des désordres affectant le grand tunnel du Chambon

Le percement du grand tunnel du Chambon (visant à rétablir la route nationale RN91 déplacée par la construction du barrage) a débuté en 1931 et a été achevé au début de l’année 1933, avant le premier remplissage de la retenue entre avril 1935 et octobre 1935 (Bourgin, 1935). D’après les archives du chantier, le tunnel a été creusé à l’explosif en sections divisées et selon deux attaques, avec galerie d’abattage en clé (1931), puis élargissement à la section définitive (1932).

Les travaux côté La Grave ont été rendus délicats par la découverte en novembre 1931 d’une fracture longue de 130 m et large de 0,5 m (entre les PM40 et PM160), remplie de matériaux « plus terreux et instables », de même direction que la galerie d’avancement. Au cours de l’année 1932, la mise à la section définitive dans cette même zone a également été problématique (importants travaux de purge, éboulement d’un volume de 200 m3 de la voûte, comblement des zones purgées ou éboulées avec du béton maigre).

Par la suite, le secteur situé entre les PM60 à PM90, très humide, n’a cessé de subir des désordres (chutes d’écailles détachées du toit, fissuration de la voûte, etc.) (Fig. 9) et a fait l’objet de travaux lourds de réparation par la Direction départementale de l’équipement de l’Isère (DDE38), notamment à la fin des années 1970 (renforcement de la voûte maçonnée originelle par une voûte en béton armé, clouage de blocs de béton instables, etc.). Cette voûte, sous une faible hauteur de couverture (de l’ordre de 30 à 40 m), était notamment affectée par un réseau de fissures biaises en échelons, se relayant avec des fissures longitudinales et transversales, en particulier au niveau du piédroit côté retenue. Pour suivre les déformations de l’ouvrage, un profil de mesures extensométriques 5 points a été mis en place au PM69 en juillet 1979 et ausculté jusqu’en avril 2015 (Fig. 10) par la DDE38 puis le CD38.

Des déformations, d’amplitude relativement faible mais de vitesse croissante par paliers, étaient mesurées au niveau du profil PM69 depuis 1979, avec une composante transversale légèrement déjetée vers l’aval du versant et une tendance à l’aplanissement de la voûte. Par exemple, concernant la base extensométrique 2–4 mesurant la divergence horizontale entre piédroits, on note une succession de quatre paliers de durée de plus en plus courte (Fig. 10) :

  • le premier d’une durée d’au moins 20 ans (depuis le début des mesures jusqu’à l’automne 1999), caractérisée par une faible vitesse d’ouverture (+0,8 mm/an) ;

  • le deuxième d’une durée de 15 ans (de l’automne 1999 jusqu’au printemps 2014), avec une vitesse d’ouverture légèrement supérieure (+1,8 mm/an) ;

  • le troisième d’une durée de neuf mois (du 15 avril 2014 au 21 janvier 2015), avec une vitesse d’ouverture en augmentation sensible (+3,1 mm/an) ;

  • le quatrième d’une durée de 2,5 mois (du 21 janvier 2015 au 7 avril 2015), marqué par une augmentation brutale de la vitesse d’ouverture (+31,9 mm/an).

Début avril 2015, les désordres évolutifs (notamment la fissuration et le décollement d’un bloc de plusieurs mètres cubes de la voûte en béton) ont conduit le CD38 à fermer préventivement le tunnel à la circulation.

thumbnail Fig. 9

Fissuration affectant le tunnel relevée lors de l’inspection détaillée de 2005 avant transfert au CD38.

Structural disorders affecting the tunnel identified during the 2005 detailed inspection before its transfer to CD38.

thumbnail Fig. 10

Mesures extensométriques au niveau du profil PM69 entre juillet 1979 et avril 2015.

Extensometric measurements at the PM69 profile between July 1979 and April 2015.

3 Description du glissement de terrain

3.1 Mécanisme

Le CD38 a observé dès le 12 avril 2015 des fractures en surface dans le versant à l’aplomb de la zone des désordres dans le tunnel (futur escarpement principal). Les observations de terrain, réalisées par les géologues du CD38, du bureau d’études SAGE et de l’EDF, ont mis en évidence une propagation des fractures latérales du glissement du haut vers le bas à une vitesse moyenne de l’ordre de 3 m/j (soit 10 à 15 cm/h), jusqu’à atteindre la cote NGF +1006 (niveau d’eau de la retenue) le 26 mai 2015. Par ailleurs, les vitesses des déplacements en surface, suivis par géodésie par le CD38 depuis fin mai 2015, ont augmenté de manière continue jusqu’à début juillet 2015.

Les observations de terrain et l’analyse des résultats des reconnaissances engagées par le CD38 (relevés LiDAR, reconnaissances géophysiques, sondages destructifs et mesures des déplacements en surface) révèlent un glissement de terrain bien délimité, avec une surface en forme de cuillère, un escarpement principal en vaste arc de cercle et des déplacements présentant une double composante translationnelle et rotationnelle (Fig. 11 et 12). Le glissement a un dénivelé d’environ 180 m et une largeur d’environ 100 m. L’épaisseur maximale des terrains en mouvement serait de l’ordre de 25 à 30 m dans la zone en sommet de glissement où des reconnaissances géophysiques ont été réalisées. Aucune donnée inclinométrique n’est disponible dans cette zone. Le bourrelet de pied est situé au fond de la retenue sous le niveau d’eau (Fig. 13).

Le contrôle structural du glissement de terrain n’est pas évident, même si le flanc occidental semble être conforme à la schistosité. Au cours des mois de juin 2015 et de juillet 2015, la masse en mouvement s’est progressivement fracturée en trois grands compartiments, présentant chacun sa propre cinématique, le plus volumineux et le plus actif étant le compartiment basal no 1 (Fig. 12).

Pour illustrer les effets potentiels de l’augmentation du niveau d’eau de la retenue sur la stabilité du glissement, une analyse à l’équilibre limite de la stabilité d’un talus simple, affecté par un glissement plan passant par le pied du talus, selon la configuration présentée sur la Figure 14, a été réalisée en conditions drainées.

Le coefficient de sécurité Fs pour la surface de glissement considérée peut s’exprimer par la relation suivante :où :

  • Tmax désigne la résistance au cisaillement le long de la surface de glissement ;

  • T, l’effort tangentiel réellement mobilisé le long de la surface de glissement ;

  • W, le poids du compartiment potentiellement instable, donné par la relation suivante :

  • Uw, l’action de la nappe extérieure, donnée par la relation suivante :

  • Uw, l’action de la nappe intérieure, donnée par la relation suivante :

La Figure 15 représente l’évolution du coefficient de sécurité Fs en fonction des hauteurs d’eau Hw et Hw en considérant les hypothèses suivantes : H = 180 m, α = 35°, β = 40°, φ = 35° (supposé constant tout le long de la surface de glissement) et γh = 20 kN/m3.

L’analyse montre que :

  • le coefficient de sécurité Fs augmente lorsque la hauteur d’eau dans la retenue Hw augmente en conservant Hw > Hw (cas 1 et 2 de la Figure 15). Le cas 1 représente le cas particulier caractérisé par l’absence de nappe intérieure ;

  • le coefficient de sécurité Fs reste constant lorsque les hauteurs d’eau Hw et Hw sont en parfait équilibre et augmentent ou diminuent selon la même vitesse (cas 3 de la Figure 15) ;

  • le coefficient de sécurité Fs diminue lorsque les hauteurs d’eau Hw et Hw augmentent selon la même vitesse en conservant une différence (Hw − Hw) positive et constante (cas 4 de la Figure 15).

Une analyse globale de stabilité du même talus pour des ruptures circulaires menée avec la méthode analytique de Duncan et Buchigani (1975) conduit aux mêmes résultats. Cette méthode permet la prise en compte explicite de l’effet stabilisateur apporté par la nappe extérieure.

Pour la configuration présentée à la Figure 11, des calculs ont été réalisés par la méthode de Carter au moyen du logiciel Geostab, en considérant une nappe dans le versant en équilibre avec le niveau de la retenue et des caractéristiques de résistance au cisaillement constantes le long de la surface de glissement (c = 0 kPa et φ = 35°). Avec un niveau d’eau à la cote NGF +1006, le coefficient de sécurité calculé est égal à 1,056 et est donc proche de 1. La variation relative du coefficient de sécurité, en fonction de la variation du niveau d’eau de la retenue et par rapport à la situation de référence avec un niveau d’eau à la cote NGF +1006, est illustrée sur la Figure 16. À géométrie du versant et de l’angle de frottement constant, une montée du niveau de l’eau au-dessus de cette cote de référence entraîne une diminution relative du coefficient de sécurité (environ −6 % à la cote maximale d’exploitation, inférieure à la cote critique au-delà de laquelle le coefficient de sécurité augmente à nouveau), alors qu’une baisse du niveau d’eau entraîne une augmentation relative du coefficient de sécurité (environ +5 % en cas de vidange totale). Ces résultats, différents de ceux mis en évidence pour le cas d’un glissement plan (Fig. 15), sont concordants avec ceux présentés par certains auteurs (CIGB, 2002).

Les effets potentiels de l’augmentation du niveau d’eau de la retenue sur la nappe intérieure, et donc sur la stabilité d’un versant d’une retenue, dépendent donc en grande partie de la perméabilité en grand du massif (CIGB, 2002) :

  • pour un massif considéré comme relativement peu perméable, la montée du niveau d’eau peut augmenter la stabilité d’un éventuel glissement de terrain ;

  • pour un massif considéré comme relativement perméable, la montée du niveau d’eau peut n’avoir aucun effet sur la stabilité (pour un glissement plan, cas d’une nappe intérieure en parfait équilibre avec le niveau d’eau de la retenue, rendu possible par une vitesse d’élévation suffisamment lente) ou avoir un effet défavorable (aggravé par les perturbations engendrées à l’intérieur du versant par la montée du niveau d’eau de la retenue et conduisant à une mise en pression des circulations d’eau existantes dans les fissures du massif).

Il en est de même pour les effets potentiels d’une diminution du niveau d’eau de la retenue :

  • en cas de dissipation rapide des pressions interstitielles à l’intérieur du versant, l’abaissement du niveau d’eau peut améliorer la stabilité du versant ;

  • en absence de dissipation rapide de ces pressions interstitielles, l’abaissement du niveau d’eau peut avoir un effet très défavorable sur la stabilité (situation de vidange rapide).

thumbnail Fig. 11

Coupe transversale schématique du versant instable.

Schematic cross-section of the unstable slope.

thumbnail Fig. 12

Différents stades d’évolution du glissement de terrain fin juin 2015 à gauche, début juillet 2015 au centre et fin juillet 2015 à droite (avec compartiments numérotés, arbre repère sur le glissement et cote NGF du niveau d’eau de la retenue).

Different stages of the landslide at end-June 2015 (left), early July 2015 (middle) and end-July 2015 (right) (with numbered compartments, landmark tree on the landslide and reservoir water level).

thumbnail Fig. 13

Bourrelet de pied dans la retenue en mars 2016.

Landslide toe in the reservoir in March 2016.

thumbnail Fig. 14

Configuration du cas simple étudié.

Configuration of the simple studied case.

thumbnail Fig. 15

Évolution du coefficient de sécurité en fonction du niveau d’eau dans la retenue dans le cas simple d’un glissement plan.

Safety factor evolution with the reservoir water level fluctuation in the simple case of a planar slip surface.

thumbnail Fig. 16

Évolution du coefficient de sécurité en fonction du niveau d’eau dans la retenue.

Safety factor evolution with the reservoir water level fluctuation.

3.2 Première « crise » de juillet 2015

Les vitesses maximales de déplacement atteintes en pied ont été de l’ordre de 50 à 65 cm/j et les déplacements totaux en tête ont été de l’ordre de 4 à 5 m. Les déformations internes au sein de la masse en mouvement (fracturation, etc.) ont été relativement importantes au cours de cet épisode.

La Figure 17 représente l’allure des courbes donnant l’inverse des vitesses (1/Vm24) en fonction du temps obtenues pour les cibles topographiques C2, C10, C14, C20 et C21, jugées représentatives en surface du glissement, auscultées toutes les heures par le CD38. Vm24 désigne la vitesse moyenne sur 24 heures.

Cinq phases successives peuvent être distinguées :

  • une longue phase de tendance globalement linéaire et convergente, depuis le début des mesures fin mai 2015 et jusqu’à la nuit du 4 au 5 juillet 2015. Pendant cette phase, le déclenchement d’une éventuelle rupture brutale pouvait être régulièrement pronostiqué à partir de l’extrapolation linéaire des courbes donnant l’inverse des vitesses Vm24. À partir de l’instant où la tendance quasi linéaire a été perdue, plus aucun pronostic n’a pu être formulé ;

  • le maintien de vitesses élevées sans accélération notable pendant environ 24 heures le 5 juillet 2015 ;

  • une accélération brutale, limitée dans le temps (environ quatre heures) et selon une tendance asymptotique, dans la nuit du 5 au 6 juillet 2015 ;

  • puis, un nouveau palier de vitesses globalement constantes d’environ 24 heures le 6 juillet 2015 ;

  • enfin, une phase de diminution brutale des vitesses à partir du 7 juillet 2015.

Quelques jours avant cette première « crise », une rupture brutale étant redoutée, EDF avait réalisé des calculs de hauteur de vagues basés sur des hypothèses conservatives (méthode empirique de Heller, volume glissé d’un million de mètres cubes, vitesses d’entrée dans l’eau égales à 10 m/s et à 30 m/s). Les résultats de ces calculs, avec un niveau d’eau de la retenue considéré à la cote NGF +1006, étaient les suivants :

  • hauteur maximale des vagues sur le lac : 18 à 40 m ;

  • hauteur du phénomène de run-up sur le versant opposé : 50 à 140 m ;

  • hauteur maximale des vagues au niveau du barrage : 2 à 4 m (sans incidence sur la structure de l’ouvrage selon l’avis des experts de l’EDF en charge de son suivi).

Compte tenu de la tendance d’évolution du glissement et des résultats des calculs de hauteur de vagues, le préfet de l’Isère a décidé à la mise en œuvre des mesures de sécurité suivantes : suspension des navettes lacustres (en fonctionnement dès le 27 avril 2015 et remplacées par des navettes héliportées), interdiction d’accès aux berges de la retenue et aux sentiers de randonnée sur les versants sud et nord, et confinement des habitants des hameaux des Aymes et de Singuigneret quelques heures avant une éventuelle rupture brutale. Les habitants n’ont pas été évacués car le scénario d’une régression du glissement vers l’amont jusqu’aux hameaux a été écarté, notamment sur la base des observations de terrain et de l’analyse du contexte géomorphologique du site (diminution de la pente en amont de l’escarpement principal). Les mesures de sécurité ont été maintenues jusqu’à mi-août 2015.

La rupture brutale n’étant pas intervenue, il a été décidé dans les jours suivants :

  • d’examiner la faisabilité technique d’une purge au moins partielle du glissement par terrassement et minage. Cette solution présente toutefois de nombreuses difficultés et incertitudes techniques, qui ont rapidement conduit à l’écarter ;

  • d’évaluer la sensibilité du glissement aux variations du niveau d’eau de la retenue, dans le but d’accélérer si possible le phénomène géologique, afin notamment d’envisager dans de meilleures conditions de sécurité la réalisation du chantier de la route de secours RS1091 en rive gauche de la retenue (Fig. 1) et la reprise des navettes lacustres.

Pour répondre à ce dernier point, un protocole de montée par paliers suivie d’une descente rapide du niveau d’eau a été mis en œuvre sur quelques jours mi-juillet 2015 par l’EDF. Les principaux résultats obtenus ont été les suivants (Fig. 18) :

  • une augmentation des vitesses a fait suite à une élévation du niveau d’eau de la retenue de +3,5 m en 127 heures entre les cotes NGF +1006 et +1009,5 (vitesse moyenne de montée du plan d’eau : +0,7 m/j). Le délai de réaction a été estimé de l’ordre de 24 heures ;

  • une diminution des vitesses a fait suite à une descente du niveau d’eau de la retenue de −3,5 m en 34 heures entre les cotes NGF +1009,5 et +1006 (vitesse moyenne d’abaissement du plan d’eau : −2,5 m/j). Cette situation ne correspond pas à une situation de vidange rapide.

Ces résultats sont concordants avec ceux des calculs du cas 4 de la Figure 15 et de la Figure 16, réalisés avec l’hypothèse d’un massif relativement perméable en grand et d’un niveau piézométrique dans le glissement supérieur ou égal à la cote du niveau d’eau de la retenue.

thumbnail Fig. 17

Évolution de l’inverse des vitesses (1/Vm24) en j/mm début juillet 2015.

Evolution of 1/Vm24 curves at early July 2015.

thumbnail Fig. 18

Évolution des vitesses Vm24 pour deux cibles en pied de glissement en juin et juillet 2015 (source des données brutes : CD38).

Evolution of Vm24 velocities for two geodetic targets close to the landslide toe in June and July 2015 (source of raw data: CD38).

3.3 Seconde « crise » de juillet 2015

Compte tenu des résultats du protocole et dans le but d’accélérer le glissement, le préfet de l’Isère a décidé d’élever le niveau d’eau de la retenue jusqu’à la cote NGF +1014,5 à partir du 20 juillet 2015, en débutant en parallèle la procédure de requalification du barrage.

Trois seuils (tels que présentés sur la Figure 19 pour la cible C10) ont été définis pour chaque cible afin de suivre l’accélération attendue des vitesses de déplacement suite à l’élévation du niveau d’eau :

  • un seuil de préalerte égal à la vitesse maximale mesurée lors du protocole de montée puis descente du niveau d’eau de la retenue de mi-juillet 2015 ;

  • un seuil d’alerte égal à la vitesse maximale mesurée lors de la première « crise » de juillet 2015 ;

  • un seuil « éboulement imminent » fixé a priori à 1 300 mm/j, qui correspond à la vitesse maximale mesurée immédiatement avant la rupture brutale du glissement de talus de Selborne en Grande-Bretagne en 1989 (Petley, 2004).

Une fois le seuil « éboulement imminent » atteint et en cas de poursuite d’une accélération des déplacements en surface selon une tendance nette, le pronostic du déclenchement d’une rupture brutale devient de l’ordre de 24 heures. Il n’est donc pas nécessaire de fixer avec exactitude le seuil « éboulement imminent » car, à ce stade d’évolution du glissement, les vitesses de déplacement en surface évoluent très rapidement : la vitesse mesurée au niveau de la cible C10 a ainsi augmenté de 1 300 à 2 000 mm/j en un intervalle de temps de dix heures le 26 juillet 2015, puis de 2 000 à 3 000 mm/j en un intervalle de temps de neuf heures le même jour.

L’extrapolation linéaire des courbes donnant l’inverse des vitesses (1/Vm24) a permis la formulation de pronostics relativement fiables, régulièrement réactualisés, pendant une durée de sept jours à partir du 20 juillet 2015, même si cette période a été marquée par la succession de phases de forte accélération et de moindre accélération (Fig. 19).

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2015, alors que le niveau d’eau de la retenue avait franchi la cote NGF +1012, les vitesses de déplacement ont dépassé 7 500 mm/j, avec une tendance nette à l’accélération (cf.Fig. 19, la dernière cible disponible, C10, a été perdue en milieu de nuit). La rupture brutale n’est cependant pas intervenue, les déplacements totaux du compartiment 1 ont été estimés de l’ordre de 15 à 20 m au cours de cet épisode.

Comme pour la première « crise » de juillet 2015, le ralentissement des vitesses résulte très certainement de la modification de la géométrie du glissement induite par les grands déplacements. Le volume total de matériaux glissés et/ou éboulés au fond de la retenue au cours du mois de juillet 2015 a été estimé par l’EDF à partir de l’analyse de relevés LiDAR de l’ordre de 100 000 m3, ce qui représente environ un sixième du volume total initial du glissement.

thumbnail Fig. 19

Évolution de l’inverse des vitesses (1/Vm24) en j/mm pour la cible C10 fin juillet 2015 (source des données brutes : CD38).

Evolution of 1/Vm24 curve for the C10 geodetic target at end-July 2015 (source of raw data: CD38).

4 Interprétation

Le déclenchement du glissement du Chambon s’est produit 80 ans après le premier remplissage du barrage. Il existe de nombreux cas historiques de réactivation d’anciens mouvements de terrain au cours ou dans les mois suivant le premier remplissage d’un barrage (CIGB, 2002) : Grand Coulée aux États-Unis (Schuster, 1979), Pontesei (1959) et Vajont (1963) en Italie (Roubault, 1970 ; Panizzo et al., 2005), Grand’Maison (1986) et Puylaurent (1996) en France (Thomaïdis et al., 2001), Trois-Gorges en Chine (Cojean et al., 2002), etc.

Le glissement du Chambon présente quelques similarités avec celui des Eaux-Bonnes au début des années 1980 (Largillier, 1985), notamment concernant la lithologie, la morphologie du mouvement de terrain et l’historique des désordres. Le contexte du site du Chambon, les observations et les mesures réalisées, et le comportement du glissement de terrain en 2015 nous conduisent à proposer la succession de phases décrites ci-après, calquée sur celle plus générale proposée par Leroueil (2001).

4.1 Phase de pré-rupture jusqu’à début avril 2015

Les désordres affectant le tunnel, similaires à certains analysés par Causse (2015), étaient compatibles avec l’existence d’un mouvement de versant, très lent, selon une direction principale oblique par rapport à la direction de l’ouvrage. Cette direction principale est représentée par une flèche verte sur la Figure 9 et correspond approximativement à celle de la ligne de plus grande pente du versant. Ce dernier se trouvait très certainement dans un état proche de l’équilibre avant le début du percement du tunnel en 1931 (forte pente, érosion en pied par la Romanche, contraintes de cisaillement élevées mais inférieures à la résistance au cisaillement instantanée de pic de la matrice des schistes) et était affecté par des déformations très lentes de fluage sous cisaillement selon des mécanismes analogues à ceux décrits par Vyalov et Maksimyak (1976) : réarrangement de la structure et développement progressif de défauts (microfissuration et coalescence des fissures).

En effet, les schistes du massif, du fait de leurs principales caractéristiques physiques et mécaniques (marnes métamorphisées, fortement anisotropes, très altérables et peu résistantes), peuvent être rattachés à la famille des sols indurés roches tendres (SIRT), présentant un comportement mécanique intermédiaire entre sols et roches (Guilloux, 2005). Ces schistes sont doués de fluage et sensibles à la fatigue.

L’intensité des déformations de fluage dépend, en particulier, du rapport de contraintes q/p, où q désigne la contrainte déviatorique et p la contrainte effective moyenne régnant dans le versant (Ter-Stepanian, 1996). La présence d’eau dans le massif, en lien avec la retenue du barrage, a pu modifier l’état initial des contraintes (diminution de p en pied de versant avec q constant), ce qui a pu créer les conditions d’une augmentation de la vitesse des déformations de fluage. Les vibrations engendrées par les tirs de mines lors du percement du tunnel au début des années 1930 ont également pu avoir un impact défavorable. Au cours de cette phase de pré-rupture (« fluage profond »), les déformations de fluage se sont produites dans de larges zones du massif englobant celle du tunnel. Du fait du phénomène de concentration du fluage avec le temps, ces zones ont eu tendance à s’amincir graduellement jusqu’à former des bandes étroites et devenir le siège d’un fluage non amorti (« accéléré » ou « désordonné »). Le processus a conduit à une rupture totale en cisaillement selon une unique surface située au voisinage immédiat de la voûte du tunnel dans la zone des désordres historiques.

4.2 Phase de rupture entre début avril 2015 et début juillet 2015

Les observations de terrain nous permettent de formuler l’hypothèse du développement de la surface de glissement à travers le massif encore peu remanié selon un mécanisme de rupture progressive, du haut vers le bas, favorisé par certaines conditions réunies sur le site (champ de contraintes non homogène, comportement pré-pic supposé dilatant et comportement post-pic supposé radoucissant de la matrice des schistes, faible confinement, hautes contraintes de cisaillement).

Peu d’observations sont disponibles quant à la progression en profondeur des surfaces de glissement dans le cadre de phénomènes de type « first time failure ». La rupture brutale d’un talus de déblai d’une hauteur d’environ 9 m dans les Argiles du Gault à Selborne en Grande-Bretagne en 1989 a par exemple été réinterprétée par Petley (2004) comme une rupture progressive déclenchée artificiellement par une élévation lente et contrôlée des pressions d’eau dans le massif pendant une période de 180 jours.

L’allure des courbes donnant l’inverse des vitesses (1/V) en fonction du temps obtenues à Selborne est similaire à celle présentée sur la Figure 17 et caractérisée par la succession des trois phases suivantes : longue phase d’augmentation des vitesses selon une tendance globalement linéaire, puis phase de maintien de vitesses élevées sans accélération notable pendant plusieurs jours, suivie d’une phase d’accélération brutale, la rupture du talus marquant la fin de cette dernière phase. L’allure de ces courbes pourrait donc renseigner sur le mode de rupture du massif :

  • une tendance linéaire traduirait l’initiation et la propagation de fractures (Kilburn et Petley, 2003) ;

  • une tendance asymptotique un glissement le long d’une unique surface de rupture bien définie (Petley, 2004).

La rupture complète du glissement du Chambon a sans doute été obtenue le 5 ou le 6 juillet 2015 et il est probable que la phase d’accélération brutale observée dans la seconde partie de la nuit du 5 au 6 juillet 2015 corresponde à une mise en mouvement selon un mécanisme de glissement le long de la surface de rupture nouvellement créée.

4.3 Phase de post-rupture après début juillet 2015

La phase de post-rupture à partir du 6 juillet 2015 jusqu’à aujourd’hui est caractérisée par l’existence de phases de réactivation du glissement de terrain en relation avec des épisodes d’élévation du niveau de la retenue (requalification en deux étapes : au cours de la seconde quinzaine de juillet 2015, puis lors des mois de mai 2016 et de juin 2016) ou des périodes d’augmentation des circulations d’eau naturelles dans le massif en lien direct avec la pluviosité :

  • trois phases d’accélération des déplacements du compartiment 1 ont été observées lors de la deuxième étape de la requalification du barrage en mai 2016 et en juin 2016 :

    • une première augmentation des vitesses a fait suite à une élévation du niveau d’eau de la retenue de +9,7 m en 11 jours entre les cotes NGF +1014,6 et +1024,3 (vitesse moyenne de montée du plan d’eau : +0,9 m/j),

    • une deuxième augmentation des vitesses a fait suite à une élévation du niveau d’eau de la retenue de +5,0 m en dix jours entre les cotes NGF +1024,7 et +1029,7 (vitesse moyenne de montée du plan d’eau : +0,9 m/j),

    • une troisième augmentation des vitesses a fait suite à une élévation du niveau d’eau de la retenue de +1,3 m en trois jours entre les cotes NGF +1029,6 et +1030,9 (vitesse moyenne de montée du plan d’eau : +0,4 m/j) ;

  • le compartiment 1 du glissement a tendance à légèrement accélérer suite à certains épisodes de pluies, notamment ceux dont la hauteur de précipitations cumulée sur une période de 72 heures a été supérieure à 30 mm ;

  • les vitesses minimales du compartiment 1 ont été obtenues au cours de périodes relativement sèches (automne 2015 et début de l’hiver 2015) ou de niveaux d’eau dans la retenue très bas (avril 2016).

Ces résultats sont concordants avec ceux obtenus lors du protocole de montée puis descente du niveau d’eau mis en œuvre en juillet 2015 et de la seconde « crise » de juillet 2015.

Cependant, début juillet 2016, une augmentation sensible des vitesses a fait suite à une descente du niveau d’eau de la retenue de −8,8 m en six jours entre les cotes NGF +1028,9 et +1020,1 (vitesse moyenne de descente du plan d’eau : −1,5 m/j). Une diminution des vitesses a eu lieu dans les jours suivants suite à une élévation du niveau d’eau de la retenue de +6,1 m en six jours entre les cotes NGF +1020,1 et +1026,2 (vitesse moyenne de montée du plan d’eau : +1,0 m/j). Cette situation, qui n’a été observée qu’une seule fois depuis juillet 2015, correspond à une situation de vidange rapide et traduit l’existence d’un contexte hydrogéologique au sein de la masse en glissement beaucoup plus variable et complexe que celui qui pouvait être imaginé comme possible à partir de l’interprétation des seuls évènements de juillet 2015.

Les déplacements totaux du compartiment 1 depuis le 1er août 2015 ont ainsi atteint fin août 2016 au moins 3,5 à 4,5 m.

5 Conclusions

Le déclenchement du glissement du Chambon en 2015, selon un mécanisme de rupture progressive, fait suite à une longue phase de pré-rupture, s’étalant sur plusieurs dizaines d’années au minimum et mettant en jeu le comportement mécanique particulier des schistes armant le versant.

Le cas du glissement du Chambon illustre les difficultés parfois rencontrées pour identifier et interpréter les phénomènes en jeu (fluage, influence de la viscosité, etc.), prévoir leur évolution et anticiper la survenue d’évènements brutaux susceptibles d’impacter certains axes de communication sensibles. Au cours de la gestion des « crises », l’analyse en quasi temps réel des mesures disponibles a cependant apporté aux géologues mobilisés (CD38, SAGE, EDF, service RTM de l’Isère et Cerema) des renseignements précis sur le stade d’évolution du glissement. Elle a permis de réactualiser régulièrement la connaissance du phénomène, et ainsi de rendre l’appui technique au préfet le plus pertinent possible.

Remerciements

Les auteurs remercient particulièrement le CD38 pour la mise à disposition des données du suivi extensométrique du grand tunnel du Chambon et des données du suivi géodésique du glissement de terrain, ainsi que les géologues du bureau d’études SAGE, de l’EDF et du service RTM de l’Isère pour leur coopération lors de la gestion des « crises » et les géologues du Centre d’études des tunnels (CETU).

Références

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  • Cojean R, Caî Y, Cui Z, Fleurisson JA. 2002. Analyse et modélisation du glissement de Huangtupo (Badong, retenue du barrage des Trois-Gorges, R.P. Chine). Conditions de réactivation, méthodes de confortement et surveillance. In: Journées nationales de géotechnique et de géologie de l’ingénieur, Nancy, France. [Google Scholar]
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Citation de l’article : Laurent Dubois, Samuel Dauphin, Geneviève Rul. Le glissement du Chambon : évolution du phénomène et gestion de crise. Rev. Fr. Geotech. 2016, 148, 2.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Localisation du glissement du Chambon (Kasperski et al., 2016).

Chambon landslide location (Kasperski et al., 2016).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Extrait de l’atlas des routes de France concernant la petite route de l’Oisans reliant Grenoble à Briançon, établi vers 1750.

Extract of the French roads atlas for the Oisans short road between Grenoble and Briançon, established circa 1750.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Coupe géologique le long de la vallée de la Romanche (Gidon, 2001).

Geological cross-section along the Romanche Valley (Gidon, 2001).

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Affleurement de schistes altérés à proximité du glissement.

Outcrop of weathered schists close to the landslide.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Précipitations mensuelles à La Grave entre avril 2014 et juillet 2015.

Monthly precipitation in La Grave between April 2014 and July 2015.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Précipitations journalières à La Grave en juin et juillet 2015.

Daily precipitation in La Grave in June and July 2015.

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Conductivité électrique des venues d’eau dans le tunnel (repérées par leurs points métriques notés PM) en juillet 2015 et en septembre 2015.

Electrical conductivity of water inflows in the tunnel (identified by their metric points noted PM) in July 2015 and in September 2015.

Dans le texte
thumbnail Fig. 8

Conductivité électrique de l’eau de la source des Aymes entre juin 2015 et août 2016.

Electrical conductivity of Aymes spring water between June 2015 and August 2016.

Dans le texte
thumbnail Fig. 9

Fissuration affectant le tunnel relevée lors de l’inspection détaillée de 2005 avant transfert au CD38.

Structural disorders affecting the tunnel identified during the 2005 detailed inspection before its transfer to CD38.

Dans le texte
thumbnail Fig. 10

Mesures extensométriques au niveau du profil PM69 entre juillet 1979 et avril 2015.

Extensometric measurements at the PM69 profile between July 1979 and April 2015.

Dans le texte
thumbnail Fig. 11

Coupe transversale schématique du versant instable.

Schematic cross-section of the unstable slope.

Dans le texte
thumbnail Fig. 12

Différents stades d’évolution du glissement de terrain fin juin 2015 à gauche, début juillet 2015 au centre et fin juillet 2015 à droite (avec compartiments numérotés, arbre repère sur le glissement et cote NGF du niveau d’eau de la retenue).

Different stages of the landslide at end-June 2015 (left), early July 2015 (middle) and end-July 2015 (right) (with numbered compartments, landmark tree on the landslide and reservoir water level).

Dans le texte
thumbnail Fig. 13

Bourrelet de pied dans la retenue en mars 2016.

Landslide toe in the reservoir in March 2016.

Dans le texte
thumbnail Fig. 14

Configuration du cas simple étudié.

Configuration of the simple studied case.

Dans le texte
thumbnail Fig. 15

Évolution du coefficient de sécurité en fonction du niveau d’eau dans la retenue dans le cas simple d’un glissement plan.

Safety factor evolution with the reservoir water level fluctuation in the simple case of a planar slip surface.

Dans le texte
thumbnail Fig. 16

Évolution du coefficient de sécurité en fonction du niveau d’eau dans la retenue.

Safety factor evolution with the reservoir water level fluctuation.

Dans le texte
thumbnail Fig. 17

Évolution de l’inverse des vitesses (1/Vm24) en j/mm début juillet 2015.

Evolution of 1/Vm24 curves at early July 2015.

Dans le texte
thumbnail Fig. 18

Évolution des vitesses Vm24 pour deux cibles en pied de glissement en juin et juillet 2015 (source des données brutes : CD38).

Evolution of Vm24 velocities for two geodetic targets close to the landslide toe in June and July 2015 (source of raw data: CD38).

Dans le texte
thumbnail Fig. 19

Évolution de l’inverse des vitesses (1/Vm24) en j/mm pour la cible C10 fin juillet 2015 (source des données brutes : CD38).

Evolution of 1/Vm24 curve for the C10 geodetic target at end-July 2015 (source of raw data: CD38).

Dans le texte

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