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Rev. Fr. Geotech.
Numéro 162, 2020
Amélioration et renforcement des sols
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Numéro d'article | 4 | |
Nombre de pages | 13 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/geotech/2020002 | |
Publié en ligne | 17 février 2020 |
Article de recherche / Research Article
Instrumentation in situ, un outil pour les techniques d’amélioration des sols
In situ monitoring, a tool for the soft soil improvement
Univ. Lyon, INSA-Lyon, GEOMAS,
69621
Villeurbanne, France
★ Auteur de correspondance : laurent.briancon@insa-lyon.fr
La complexité des mécanismes régissant le comportement d’une amélioration ou d’un renforcement d’un sol compressible nécessite parfois de recourir à un suivi du comportement de l’ouvrage construit. Cette auscultation géotechnique de l’ouvrage peut prendre différentes formes allant de l’inspection visuelle à un suivi d’une instrumentation à distance en temps réel. L’instrumentation doit permettre de vérifier que les objectifs de l’amélioration ou du renforcement du sol ont bien été atteints et peut, dans certains cas, permettre d’anticiper certaines phases de construction de l’ouvrage. L’instrumentation est un domaine spécifique réservé à des spécialistes tant pour sa conception que son analyse.
Abstract
The complexity of soft soil improvement mechanisms requires sometimes a geotechnical monitoring. This geotechnical monitoring can be simple (visual inspection) or complex (automatic measurement). The instrumentation must allow checking that the targets of the soft soil improvement are reached and sometimes can allow forecasting the constructions stages. The instrumentation is a specific field reserved to geotechnical specialists for its design and its analysis.
Mots clés : instrumentation / amélioration de sol / renforcement de sol
Key words: monitoring / soft soil improvement / soft soil reinforcement
© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2020
1 Introduction
On peut distinguer deux domaines dans les techniques d’amélioration et de renforcement des sols : les améliorations sans apports d’inclusions et les améliorations avec apports d’inclusions.
Dans le premier cas, l’objectif est de diminuer l’indice des vides. Pour les sols grenus, cette diminution est obtenue en appliquant des techniques vibratoires. Pour les sols fins, la diminution d’indice des vides se fait lors de la phase de consolidation lorsque le sol est surchargé.
Dans le second cas, l’objectif est de transférer la charge appliquée par l’ouvrage vers des horizons porteurs. Les inclusions peuvent aussi homogénéiser les caractéristiques mécaniques du sol en place. Les inclusions « souples » telles que les colonnes ballastées seront considérées comme des techniques d’amélioration des sols alors que les inclusions rigides comme des techniques de renforcement des sols.
Dans le cas de sols grenus, les résultats de l’amélioration de sol sont obtenus pendant le traitement du sol et peuvent être contrôlés par des essais in situ. Dans le cas de l’amélioration des sols fins ou du renforcement par inclusions, les résultats sont obtenus pendant et après la construction de l’ouvrage et peuvent être suivis par une auscultation adaptée.
Alors, quel est l’apport de l’instrumentation dans toutes ces techniques d’amélioration ou de renforcement de sol ? Dans certains cas, ces méthodes sont encore des techniques récentes qui nécessitent un suivi pour valider leur efficacité ou pour permettre de mettre en équations les mécanismes d’interaction entre le sol et les éléments de renforcement. L’instrumentation permet tout d’abord de comprendre les mécanismes parfois complexes qui se développent dans et entre tous les différents éléments constituants l’amélioration ou le renforcement du sol. Elle permet aussi de vérifier que le dimensionnement proposé par le géotechnicien amène bien au résultat escompté. Les modélisations numériques sont parfois nécessaires pour simuler le comportement du sol renforcé et ces modèles requièrent une calibration qui est apportée par les résultats des instrumentations. Pour les techniques déjà éprouvées, l’instrumentation permet de suivre l’évolution des mécanismes au cours de la construction de l’ouvrage et de pouvoir interagir sur les phases de travaux en fonction des mesures enregistrées, on parle dans ce cas de méthode observationnelle (Allagnat, 2005). Enfin, l’instrumentation permet aussi de rassurer le maître d’ouvrage qui a accepté la méthode d’amélioration ou de renforcement du sol, le géotechnicien qui l’a proposée et l’entreprise qui l’a mise en œuvre.
2 Les principaux éléments d’une instrumentation
2.1 Le plan d’auscultation
Un plan d’auscultation doit permettre de cibler quels sont les paramètres à mesurer pour assurer un bon suivi de l’ouvrage. Ensuite, le plan d’auscultation définit la position et le nombre des points de mesure pour assurer un bon suivi des phénomènes sans les modifier par la présence de l’instrumentation. Les capteurs sont enfin choisis en fonction des spécificités du projet : étendue de mesure, conditions environnementales, budget…
2.1.1 Paramètres à suivre
Les paramètres à suivre doivent donner des informations sur le comportement de l’ouvrage et les évolutions des mécanismes dans le temps. C’est au géotechnicien de définir ces paramètres et de définir les plages de valeurs à mesurer à partir des résultats du pré-dimensionnement de l’ouvrage.
2.1.2 Points de mesure
2.1.2.1 Représentativité
Les plots instrumentés doivent être installés pour donner une image réaliste du comportement de l’ouvrage. Chaque sous ensemble géotechnique de l’ouvrage doit être instrumenté. Pour les ouvrages linéaires, les plots instrumentés doivent être répartis en tenant compte de l’hétérogénéité des terrains. Les points sensibles des ouvrages doivent être particulièrement instrumentés pour suivre leur comportement.
Enfin il faut trouver un compromis entre la taille et le nombre des capteurs pour que la mesure enregistrée soit représentative du phénomène suivi sans le modifier par leur présence et leur mise en place (c’est particulièrement le cas pour les mesures de contrainte).
2.1.2.2 Mesures directes et indirectes
L’expérience montre que plus les mesures sont indirectes, plus elles sont difficiles à interpréter et nécessitent des modélisations. Cependant les mesures indirectes peuvent parfois permettre d’accéder à un paramètre difficilement mesurable. Par exemple l’évolution de la contrainte dans le béton est un paramètre qui peut être difficile à mesurer directement (par des capteurs de pression totale) pour des raisons de mise en œuvre et de discrétion. Ce paramètre peut être déterminé à partir de la déformation qui est plus aisée à mesurer sous réserve de connaître avec précision le module de déformation du béton, son évolution avec le temps et les conditions limites.
2.1.2.3 Redondance
2.1.2.3.1 Redondance temporelle
La redondance temporelle correspond à une fréquence d’acquisition suffisante pour détecter les mesures erronées (parasite) et pour caractériser une dérive au plus tôt. L’automatisation des mesures procure aisément cette redondance temporelle ; compte tenu des évolutions généralement très lentes des phénomènes, une fréquence d’acquisition de 12 à 24 mesures par jour, habituellement adoptée pour les ouvrages de Génie Civil convient. Cette fréquence peut être augmentée pour mesurer une action ponctuelle. Pour les systèmes de mesure à très faible consommation d’énergie, une fréquence d’acquisition d’une mesure par jour peut limiter les possibilités de traitement statistique et de prévision.
2.1.2.3.2 Redondance spatiale avec des capteurs de même type
La redondance des capteurs de même technologie au sein d’un même ouvrage instrumenté permet de disposer de plus d’informations sur le comportement de l’ouvrage et d’augmenter la fiabilité des mesures et la longévité de l’auscultation. Cela permet en effet de diminuer le risque d’enregistrer une mesure erronée lorsqu’un seul capteur dérive lentement rendant son dysfonctionnement non détectable. Cela permet aussi de limiter le risque d’une perte complète de l’information lorsque la mesure est enregistrée par un seul capteur qui est défaillant.
Les retours d’expérience peuvent donner des renseignements sur les taux de défaillance des capteurs (à la mise en œuvre ou dans le temps) même si les conditions d’application sont différentes entre chaque ouvrage. Par exemple, l’utilisation de fibres optiques pour mesurer la déformation des nappes géosynthétiques a nécessité plusieurs chantiers instrumentés pour aboutir à des solutions où la fibre est directement insérée dans la nappe géosynthétique sur la chaîne de fabrication et l’établissement d’un protocole adapté pour éviter leur endommagement à la mise en œuvre (Briançon et Simon, 2017).
La redondance implique la multiplication des capteurs et donc un risque de diminuer la discrétion du dispositif d’auscultation dans l’ouvrage. Ces risques peuvent être limités par une redondance spatiale, c’est-à-dire que deux capteurs identiques ne sont pas installés l’un à côté de l’autre mais que deux sections identiques ou deux zones symétriques soumises aux même sollicitations sont instrumentées.
2.1.2.3.3 Redondance avec des capteurs de technologie différente
Mesurer la même grandeur physique avec des technologies différentes est un moyen de fiabiliser les mesures, d’augmenter le champ des mesures ou d’intégrer de nouvelles technologies moins intrusives ou ne présentant pas des garanties de durabilité, avec l’objectif de les éprouver.
Combiner une distribution de mesures ponctuelles par des mesures réparties sur une plus grande longueur mais avec une précision moindre permet d’augmenter le périmètre instrumenté de l’ouvrage et la connaissance des limites spatiales des phénomènes.
La complémentarité des technologies éprouvées et des technologies récentes permet ainsi d’obtenir un retour d’expérience sur les nouvelles technologies nécessaires à leur qualification.
2.1.2.3.4 Redondance avec des capteurs complémentaires
Il s’agit ici d’obtenir une redondance par des mesures de grandeurs différentes mais liées : contrainte / pression – déformation par exemple. Compléter des mesures directes par des mesures indirectes ou associer des capteurs de différentes technologies mesurant des grandeurs physiques liées permettent par exemple, de vérifier la cohérence des mesures et, inversement, en cas d’incohérence, de procéder à une démarche de vérification / validation des mesures.
La complémentarité implique une multiplication des capteurs qui pourrait diminuer la discrétion du dispositif d’auscultation. Il est donc nécessaire que la complémentarité soit justifiée soit par l’augmentation de la fiabilité des mesures ou par la possibilité de qualifier de nouvelles technologies prometteuses.
2.1.2.4 Discrétion
La discrétion d’une instrumentation est le pendant de sa redondance. En effet, la multiplication des capteurs n’est pas un gage de la qualité d’une auscultation. L’instrumentation mise en place ne doit pas modifier (ou le moins possible) le comportement de l’ouvrage.
Lorsque l’instrumentation est installée pendant la construction de l’ouvrage, il faut aussi s’assurer que sa mise en place ne modifie pas le phasage de la construction de l’ouvrage pour garantir une bonne représentativité de l’instrumentation.
L’instrumentation doit être aussi suffisamment discrète pour ne pas être endommagée pendant la construction de l’ouvrage ou durant son exploitation.
Par exemple, pour suivre le tassement sous un remblai en construction, il est préférable de mettre en place des capteurs de tassement à la base du remblai plutôt que d’installer des piges tassométriques (barre métallique fixée sur une platine posée à la base du remblai) qui traverseront le remblai et qui gêneront sa construction.
2.1.3 Choix du capteur
Il existe de nombreux types de capteurs, l’objectif ici n’est pas de les présenter, le lecteur trouvera ce niveau de détail dans les catalogues des fabricants de capteurs. La synthèse sur les technologies d’auscultation est présentée au paragraphe 3. Quelques spécifications doivent cependant être apportées pour préciser la stratégie qui doit être adoptée pour choisir les gammes de mesure et la précision attendue pour chaque capteur et leur durabilité en fonction des conditions environnementales.
2.1.3.1 Technologie
Il existe de nombreuses technologies, elles doivent être choisies en fonction des contraintes de gamme de mesure, de précision et d’environnement du site (humidité, pression d’eau, température, poussières, chocs).
Inversement, concernant les contraintes imposées par certaines technologies, citons par exemple la longueur des câbles limitée, une absence de correction de dérive dans le temps, une durée de vie limitée ou un besoin d’énergie électrique incompatible avec les possibilités de mise en place sur le site.
Des capteurs de différentes technologies peuvent être installés pour une même auscultation tout en veillant à l’homogénéité et la compatibilité des différents matériels de la chaîne d’auscultation.
2.1.3.2 Plages de mesure et précision
Les plages de mesure doivent être précisées à partir des résultats des calculs du comportement des ouvrages. Ce sont donc des données d’entrées qui doivent être fournies pour définir les gammes adéquates. Concernant la précision des capteurs, elle est donnée en général en pourcentage de la pleine échelle de la mesure et sera donc définie à partir des gammes de mesure choisies. La précision peut aussi être différente en fonction de la technologie employée. Ce paramètre peut donc orienter le choix de la technologie du capteur. Un capteur est considéré comme « bon » s’il a une résolution 5,10−4 fois meilleure que son étendue de mesure.
2.1.3.3 Discrétion
La notion de discrétion se retrouve aussi dans le choix des capteurs et de leur câblage. En effet la présence d’un capteur doit modifier le moins possible le phénomène qu’il mesure. Il est donc nécessaire de choisir des capteurs et des moyens de mise en place les moins intrusifs possibles. Cependant la taille du capteur doit lui permettre d’enregistrer une mesure représentative. Il faut donc trouver un compromis entre discrétion et représentativité de la mesure pour sélectionner les capteurs idoines. Par exemple les capteurs de pression utilisés comme capteurs de tassement hydrauliques sont beaucoup moins intrusifs pour mesurer le tassement que des piges tassométriques, ils peuvent être utilisés pour mesurer le tassement différentiel d’un sol renforcé par inclusions rigides sans contraintes pour le terrassier lors de la mise en œuvre (Briançon et Simon, 2017).
2.1.3.4 Conditions environnementales
Les conditions environnementales (température, corrosion, humidité, immersion…) doivent être connues pour choisir les capteurs adaptés ou les protéger vis-à-vis de ces conditions. La fiche technique de chaque capteur donne les conditions environnementales dans lesquelles ils fonctionnent (plage de température, nature du matériau du corps du capteur…). Il faut donc anticiper dès le choix des capteurs, les différentes conditions environnementales subies pendant toutes les phases de l’auscultation qui peuvent s’étendre sur plusieurs années.
L’auscultation géotechnique implique également de prendre en compte des risques particuliers à bien identifier en amont de manière à prévenir la dégradation de l’instrumentation mise en place.
2.1.3.5 Capteur de référence
L’intégration de capteurs de référence peut s’avérer intéressante pour lever certaines incertitudes de mesure, ou pour s’affranchir de l’influence de phénomènes « parasites » ou encore pour quantifier une « dérive » de la chaîne complète de mesure. Ces capteurs de référence peuvent être soit intégrés dans l’ouvrage instrumenté soit dans des éprouvettes témoins. Dans le premier cas, la difficulté est de s’assurer que le capteur de référence est bien isolé des phénomènes de la grandeur mesurée tout en étant sollicité par les paramètres d’influence. Dans le second cas, les éprouvettes témoins n’étant pas soumises aux paramètres d’influence, l’analyse est rendue plus délicate. Pour illustrer le premier cas, dans le cadre du projet national ASIRI (2012), une expérimentation en vraie grandeur a été faite sur un remblai sur inclusions rigides. Des extensomètres à cordes vibrantes avaient été installés dans la partie haute des inclusions rigides pour évaluer leur déformation et calculer la contrainte à partir du module du béton. Deux éprouvettes de béton avaient aussi été instrumentées par extensomètres à cordes vibrantes et installées horizontalement au niveau des têtes d’inclusions afin que les capteurs ne soient pas mécaniquement sollicités (Briançon et Simon, 2011).
Certains capteurs requièrent ce capteur de référence. Par exemple, une fibre optique à réseaux de Bragg est sensible aux variations de température et aux variations de déformation. Lorsqu’elle est utilisée pour mesurer la déformation, elle doit être accompagnée par une fibre optique non sollicitée mais soumise aux même conditions de température permettant d’effectuer les corrections.
2.2 La mise en œuvre et la maintenance
2.2.1 Rapport d’installation
Le rapport d’installation est un élément important d’une mission d’auscultation. Ce rapport doit présenter tous les instruments mis en place, leur position, le mode opératoire de mise en place de l’instrumentation ainsi que toute la chaîne de mesure. Les fiches qui décrivent les caractéristiques de chaque instrument doivent être annexées à ce document, notamment leur courbe d’étalonnage. Le rapport d’installation doit aussi donner l’équation permettant de passer du signal transmis à la mesure physique et doit donner les valeurs initiales ou « zéro » de chaque instrument de mesure. Le rapport doit présenter le schéma de connexion des capteurs à la centrale d’acquisition.
Enfin tout problème rencontré lors de la mise en place de l’instrumentation pouvant avoir des conséquences sur l’auscultation de l’ouvrage doit être rapporté dans ce document.
2.2.2 Vérifications métrologiques
Lors du choix d’une chaîne de mesure, de nombreux paramètres doivent être pris en compte, dont un certain nombre de caractéristiques métrologiques. Il est important de pouvoir effectuer la « vérification » et la « confirmation » métrologiques. La vérification consiste à comparer le capteur ou la chaîne de mesure à un étalon et s’assurer qu’elle est conforme aux spécifications attendues (celles du constructeur ou celles définies par l’utilisateur en fonction de son besoin réel). En cas de non-conformité, il convient de s’interroger sur l’incidence que les écarts constatés peuvent avoir sur les mesures précédemment réalisées, et envisager une correction. Si la chaîne de mesure le permet, la mesure est ajustée (réglage) pour la remettre à l’intérieur des tolérances des spécifications attendues. Une comparaison à l’étalon est à nouveau effectuée « après ajustement » (ou après réglage). Si un réglage n’est pas possible, il faut soit déclasser la chaîne de mesure (modification des spécifications), soit mettre en place un processus de correction, soit remplacer l’élément non conforme de la chaîne de mesure.
La chaîne de mesure pourra ainsi être « confirmée » et maintenue en service.
La période entre deux vérifications est à optimiser en fonction des qualités intrinsèques de la chaîne de mesure. La stabilité dans le temps et l’insensibilité aux influences de l’environnement, la connaissance de la chaîne de mesure (lorsque plusieurs vérifications ont été faites) sont quelques exemples de critères qui vont avoir une influence sur la périodicité de vérification.
Sachant qu’une vérification a un coût (prestataire à payer ou capteur de référence à posséder et temps à passer, etc.), des vérifications à intervalles définis sont effectuées de manière à obtenir le meilleur équilibre entre le coût et le risque d’avoir une mesure erronée.
Ce qui vient d’être décrit est valable lorsque le capteur (unité mobile) est accessible et que son étendue de mesure peut être volontairement modifiée. En auscultation géotechnique, le capteur est souvent inaccessible lorsque l’auscultation est lancée, d’où l’importance de la redondance qui va permettre d’effectuer des comparaisons entre capteurs de technologies différentes, déceler un comportement incohérent d’un capteur par rapport à un autre. Lorsque c’est possible, une mesure ponctuelle peut être déployée pour valider un ou plusieurs points de mesure et lever un doute. Par exemple, lors d’une mesure de niveau dans un piézomètre, un contrôle ponctuel à la sonde de niveau manuelle peut être effectué pour permettre de valider la valeur actuelle du capteur en place et éventuellement de compenser une dérive sur le long terme.
En tout état de cause, la validité des mesures collectées doit être regardée avec attention même si l’instrumentation mise en place semble donner des mesures correctes.
2.2.3 Maintenance et protection
La maintenance des chaînes de mesure et particulièrement des sondes est un paramètre majeur pour leur fiabilité et leur coût à l’usage. Ce paramètre doit être pris en compte au moment du choix, car il a un impact sur le coût global du suivi de l’instrumentation. Une sonde inclinométrique nécessite par exemple d’être étalonnée tous les ans (NF P94-156, 1995).
Il est préférable de choisir des capteurs robustes, peu sensibles aux paramètres d’environnement, avec par exemple des indices de protections (IP) importants et adaptés aux conditions d’utilisation. Si leur coût à l’achat est un peu plus élevé, il est très probable que sur le long terme le coût d’usage sera bien inférieur.
La gestion de l’énergie est un point qui peut amener à mettre en place un plan de maintenance. Lorsque le système est entièrement autonome sur batteries avec ou sans panneaux solaires, il convient de bien évaluer les autonomies, prévoir une batterie de rechange en charge, prête à être installée dès que la batterie en place montre une baisse de capacité critique (l’état de la batterie peut être suivi dans les données enregistrées). Les batteries s’usent et perdent de leur capacité au fil du temps, il faut donc planifier également, sur les auscultations de long terme, le remplacement des batteries. Les panneaux solaires peuvent également se dégrader ou être endommagés au cours d’une auscultation. Il est donc prudent d’avoir dans les données enregistrées une information sur l’état de fonctionnement du panneau solaire et une autonomie sur batterie permettant d’avoir suffisamment de temps pour organiser le remplacement d’un panneau solaire endommagé.
2.3 Acquisition, transmission et partage des données
La chaîne de mesure, du capteur à la visualisation des mesures, nécessite une transmission des mesures du capteur à la centrale d’acquisition (ou à l’unité mobile) puis un transfert de cette mesure vers un emplacement de stockage (serveur, ordinateur, cahier) où elle sera traitée puis rendue visible et partagée.
Différents moyens de transmission, d’acquisition, de transfert, de gestion des alertes et de visualisation des données sont envisageables en fonction du besoin d’auscultation requis et donc du risque lié à l’ouvrage.
2.3.1 Transmission et acquisition
Les moyens de transmission des mesures vont du relevé manuel (retranscription d’une mesure visuelle ou mesure à l’aide d’une unité mobile) lors d’une visite technique à une transmission filaire ou sans fil d’une centrale d’acquisition vers un serveur et une base de données.
La centrale d’acquisition a pour fonction principale d’interroger les capteurs à une fréquence prédéfinie et de réceptionner la mesure transmise par le capteur. Elle peut aussi les alimenter, faire des premières vérifications automatiques de la qualité du signal reçu. Les mesures sont ensuite stockées temporairement puis transférées à une fréquence prédéfinie. La gestion des alertes en cas de dépassement de seuil peut être intégrée directement dans les centrales d’acquisition.
Il existe de nombreuses centrales d’acquisition sur le marché permettant d’interroger tous les types de capteurs. Pour certains capteurs spécifiques, des conditionneurs doivent être rajoutés à la centrale d’acquisition. La centrale d’acquisition est un élément sensible du dispositif d’auscultation et doit être installée dans un coffret la protégeant des conditions environnementales. Les centrales d’acquisition sont alimentées électriquement par batteries rechargeables qui peuvent soit être changées manuellement soit connectées en continu (avec un régulateur) sur une alimentation (secteur, photovoltaïque). L’alimentation du dispositif d’auscultation doit être dimensionnée en fonction des besoins en énergie dépendant du nombre de capteurs, et de leur type, de la fréquence d’acquisition, de la fréquence du transfert…
2.3.2 Transfert et stockage
Dans le cas de mesures par unité mobile, le transfert des données enregistrées se fait en général au bureau en connectant l’unité mobile à un ordinateur. Les données doivent être stockées avant et après leur traitement. Il est donc nécessaire de prendre certaines dispositions pour assurer un stockage fiable dans le temps.
Dans le cas d’utilisation de centrales d’acquisition, le transfert peut aussi être fait de façon manuelle en intervenant directement sur le site. L’amélioration des moyens de transmissions et leur faible coût rendent très attractif le transfert automatique qui peut se faire par liaison filaire RTC (ligne téléphonique analogique) par fibres optiques ou par réseau sans fil (Radio, GSM, GPRS).
Cette automatisation du transfert permet de recevoir les mesures en temps réel si cela s’avère nécessaire, de gérer les alertes en cas de dépassement de seuil, d’intervenir à distance sur le paramétrage de la centrale d’acquisition, de sécuriser le transfert et le stockage des mesures.
La première phase d’acquisition et de transfert permet de récupérer la mesure sur un serveur FTP (File Transfer Protocol) dédié et sécurisé. Les fichiers déposés sur le serveur sont ensuite lus par des routines ETL (Extract Transform Load) qui classent et mettent au bon format les mesures pour ensuite les intégrer dans des bases de données, il s’agit de la « bancarisation ». Enfin, ces bases de données sont ensuite utilisées pour gérer et exploiter les mesures.
Pour assurer la sécurité et la rapidité du processus de transfert, les serveurs dédiés peuvent être hébergés dans un Data-Center disposant d’une bande passante très importante. Une sauvegarde complète du serveur est en général effectuée quotidiennement et rapatriée dans l’infrastructure du géotechnicien assurant l’auscultation afin de rétablir rapidement le service en cas de défaillance.
2.3.3 Traitement et visualisation
L’interface de consultation des mesures est un outil pratique pour la gestion des auscultations géotechniques et permet un dimensionnement observationnel de l’ouvrage. L’accès au portail web de gestion et de consultation des données est sécurisé pour être accessible uniquement aux acteurs du projet. Ce portail permet généralement de :
-
accéder à toutes les données de l’instrumentation (type de capteurs avec leurs caractéristiques, géolocalisation des capteurs);
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gérer à distance les centrales d’acquisition (modification des fréquences d’acquisition, gestion des seuils d’alerte);
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visualiser les mesures souvent présentées sous forme de graphique ;
-
télécharger les données.
Le système doit aussi être capable de gérer automatiquement les alertes : envoi de sms et d’e-mail en cas de dépassement de seuils.
Toutefois, ce dispositif coûteux, couramment utilisé dans les constructions en sites urbains, sera mis en place uniquement si un risque de désordre sur les avoisinants est identifié. Par exemple, le doublement d’une voie ferrée en zone compressible nécessitant un renforcement du sol sans arrêt de la circulation peut nécessiter ce type de dispoitif (Alexiew et Vogel, 2002 ; Gartung et Verspohl, 1996).
2.4 Traitement et interprétation des mesures
2.4.1 Interprétation des mesures
L’interprétation des mesures doit permettre de comprendre le comportement de l’ouvrage et de prévoir les évolutions des mécanismes. Cette interprétation doit être faite par un géotechnicien et être adaptée aux phases de construction de l’ouvrage.
2.4.2 Rapport d’auscultation
Des rapports d’auscultation doivent être rédigés pendant le suivi de l’ouvrage à une fréquence préalablement définie. Ces rapports consistent à :
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rédiger un bilan de l’état de l’ouvrage à partir des données antérieures et des visites sur sites si nécessaire ;
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traiter et analyser la qualité des mesure ;
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présenter les mesures sous forme de graphiques clair ;
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interpréter les résultats des mesures ; mettre en évidence, le cas échéant, les anomalies dans le comportement de l’ouvrage et leur évolution dans le temps ;
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conclure sur l’évolution du comportement de l’ouvrage ;
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au besoin, établir des recommandations pour des investigations complémentaires à réaliser, la modification du programme de mesure ;
-
le cas échéant, établir des recommandations pour des travaux de confortement ou de réhabilitation à réaliser et un avis sur leur urgence.
3 Les moyens de mesures
Parmi les moyens de mesures, on peut distinguer l’auscultation qui se fait par des moyens de topométrie qui ne sera pas détaillée dans ce présent article et l’instrumentation qui peut se faire soit par le suivi des mesures transmises par des capteurs en place soit par des mesures ponctuelles effectuées à l’aide d’unités mobiles.
Les capteurs en place sont installés dans l’ouvrage ou sur les avoisinants. Ils permettent de faire un suivi en continu des phénomènes auscultés. Un soin particulier doit être apporté lors de leur mise en œuvre pour s’assurer que leur présence modifie le moins possible les phénomènes observés. Certains capteurs en place deviennent inaccessibles une fois installés rendant impossible dans certains cas leur maintenance métrologique et leur réutilisation sur d’autres projets.
Les unités de mesure mobiles désignent des systèmes utilisés périodiquement, lors de campagnes d’auscultation. Les mesures peuvent être réalisées en introduisant une sonde périodiquement dans un tubage installé dans l’ouvrage : sonde inclinométrique, tassomètre magnétique en forage… Ces systèmes présentent l’avantage de la maintenabilité et peuvent de surcroît être mutualisés pour l’auscultation d’une série d’ouvrages ou d’une série d’éléments auscultés d’un même ouvrage, ce qui représente un gain significatif en termes de coût. En revanche, les mesures ne sont pas acquises de manière continue rendant parfois difficile le raccordement des mesures obtenues lors de différents relevés. Elles requièrent aussi l’intervention d’un technicien pour effectuer les mesures et selon la fréquence et la durée du suivi, ces mesures peuvent s’avérer plus coûteuses qu’une instrumentation en place.
Les mesures d’amélioration et de renforcement des sols requièrent en général un suivi du déplacement (souvent vertical), parfois la pression interstitielle ou la contrainte dans le sol peuvent aussi être suivies. Nous présentons ici quelques dispositifs de mesures couramment utilisés, les schémas de principes des dispositifs présentés peuvent être trouvés dans l’article C229 des Techniques de l’Ingénieur (Briançon et al., 2016).
3.1 Dispositifs de mesure du tassement
Le tableau 1 présente les principaux dispositifs de mesure du tassement.
Le tassomètre magnétique en forage (Fig. 1a) est conçu pour mesurer le déplacement de points dans un forage. À chaque point de mesure est placée une bague magnétique entourant un élément PVC. De chaque côté de la bague un élément télescopique permet aux bagues de se déplacer et suivre ainsi le tassement du sol. Le tout est scellé au coulis de ciment bentonite dont la formulation est donnée en fonction des caractéristiques mécaniques du sol. Les bagues magnétiques suivent les déplacements verticaux du sol et leur position est repérée à l’aide d’une sonde sonore qui réagit au passage d’un champ magnétique. La sonde de mesure est composée d’un embout sensible au champ magnétique. L’embout est soutenu par un ruban gradué tous les centimètres et enroulé sur un touret. Chaque tassomètre magnétique en forage doit être rehaussé au fur et à mesure de la montée du remblai. Par ailleurs, on conseille d’installer des buses de protection en béton autour des tubes PVC dans le remblai pour éviter tout risque d’endommagement rendant ce dispositif de mesures intrusif pour les travaux de remblaiement.
L’extensomètre en forage est constitué d’une tête de mesure, de tiges en fibre de verre avec gaine PVC et de pointes d’ancrage en acier torsadé (Fig. 1b). Le mouvement relatif entre la tête de mesure et les points d’ancrage est transmis par les tiges en fibre de verre coulissant librement dans la gaine PVC, elle-même scellée au terrain par le coulis injecté dans le forage. La tête de mesure étant aussi soumise à des déplacements verticaux, un point d’ancrage dans le substratum est nécessaire pour servir de référence. La tête de l’extensomètre est protégée dans un capot et renferme les capteurs de déplacement.
La boule tassométrique de 160 mm de diamètre permet de mesurer le tassement sous le remblai par mesure de variation de pression dans la boule qui est fonction de son tassement dans le sol. Ses dimensions ne permettent pas de l’utiliser dans un sol renforcé par inclusions rigides par exemple. Chaque cellule de tassement à boule remplie à moitié de liquide est reliée par deux tubulures à une sonde de mesure. Cette sonde est placée sur une base de référence si possible hors de la zone d’influence de l’ouvrage. La sonde de mesure est déplacée de base en base pour être raccordée à différentes cellules de tassement à boule. Une légère contre pression de gaz est appliquée dans la cellule de tassement à boule par l’un des tubes, l’autre étant rempli de liquide. La sonde de mesure comprend un capteur de pression de haute précision qui permet de mesurer la différence de pression entre les deux tubes. Cette différence de pression correspond à la charge de liquide qui est variable selon le tassement de la cellule.
La pige tassométrique est composée d’une platine posée sous la base du remblai et une tige qui remonte dans le remblai à l’intérieur d’un tube. L’extrémité de la tige est mesurée par levé topométrique. Ce dispositif est peu précis et nécessite des précautions particulières pendant la mise en œuvre du remblai.
Le système de mesure par capteurs de tassement hydraulique est constitué de transmetteurs de pression pour mesure de niveau connectés en série par une ligne hydraulique à un réservoir rempli par un liquide antigel fixé sur un support disposé en dehors de l’emprise de l’ouvrage d’une part, et par une ligne électrique à la centrale d’acquisition (ou au tableau de mesures) d’autre part. Le réservoir maintient le système toujours saturé et à charge constante. Le transmetteur mesure la variation de pression entre sa position et le niveau du réservoir. Un transmetteur de référence est fixé sous le réservoir et permet de calculer le tassement des autres transmetteurs positionnés sous l’ouvrage. Chaque transmetteur est compensé en pression atmosphérique par un capillaire couplé au câble électrique (Fig. 2).
Les profilomètres sont destinés à mesurer, sur un profil horizontal, les déplacements verticaux du sol induits par la construction d’un ouvrage. Les altitudes des différents points sont déterminées par pas de mesure dans un tube guide mis en place dans une tranchée remplie de sable avant la construction. Ces mesures sont relevées par rapport à un point de référence à l’extérieur de la zone à contrôler de façon à établir un profil complet du tube. Ce point de référence est localisé à chaque extrémité du profil sur un plot béton qui permet aussi l’introduction de la sonde de mesure et son maniement par l’opérateur.
Le même principe de mesure que celui du profilomètre peut être appliqué en remplaçant le tube profilométrique par un tube inclinométrique et le profilomètre par une sonde inclinométrique horizontale.
Fig. 1 Tassomètre magnétique en forage (a) et extensomètre multipoints (b). Magnetic settlement plumb (a) and plastic rod extensometer (b). |
Fig. 2 Capteurs de tassement hydrauliques. Hydraulic settlement sensors. |
3.2 Dispositifs de mesure des déplacements horizontaux
La mesure des déplacements horizontaux est utile pour s’assurer de la stabilité du talus d’un remblai. L’inclinomètrie en forage (Fig. 3) permet de mesurer et de déterminer les déplacements horizontaux du terrain transversalement à l’axe d’un forage et sur toute sa hauteur (NF P94-156, 1995). Chaque forage situé en pied de talus est réalisé jusqu’à une zone située à une profondeur suffisante pour être considérée comme stable.
La sonde appelée torpille inclinométrique et équipée de 2 paires de roulettes renferme un ou deux capteurs d’inclinaison (en général des servo-accéléromètres) qui permettent de mesurer l’inclinaison de l’axe longitudinal de la torpille par rapport à la verticale. Cette sonde est déplacée, au bout d’un câble, dans le tubage inclinométrique.
Des séries de mesures sont effectuées à des périodes espacées dans le temps, selon des orientations opposées à 180° dans un plan passant par deux rainures opposées du tubage et selon un ou deux plans perpendiculaires définis par les rainures du tubage. Un de ces plans a été positionné préalablement de façon à correspondre à la direction des plus grands déplacements.
Les mesures sont enregistrées sur le poste de lecture et analysées. Le traitement est réalisé sur un tableur qui fait apparaître les données traitées des mesures, le graphique de la position initiale du tube inclinométrique et celui représentant l’évolution des déplacements horizontaux dans les deux axes de mesures.
Ce graphique est complété par un graphique des variations angulaire avec représentation des incertitudes de mesures.
Si le forage inclinométrique ne permet pas de disposer d’un nombre de points non affectés par les déplacements en pied de forage, un suivi topomètrique des têtes de tube peut s’avérer nécessaire.
Fig. 3 Inclinomètre vertical en forage. Vertical inclinometer. |
3.3 Dispositifs de mesure de la pression interstitielle
La pression interstitielle est mesurée par l’intermédiaire d’un capteur standard électrique (ou à corde vibrante) de pression interstitielle. Les capteurs de pression interstitielle sont mis en place dans un forage.
Dans le cas où la couche de sol auscultée serait drainée sur ses faces inférieure et supérieure, au moins un des capteurs doit être installé au milieu de la couche du sol compressible afin de mesurer la valeur maximale de pression interstitielle durant la phase de consolidation.
3.4 Dispositifs de mesure de la contrainte
La mesure du transfert de charge peut s’avérer être une mesure intéressante lorsque le sol est renforcé par des inclusions rigides afin de vérifier l’efficacité de la technique en contrainte bien que l’objectif à atteindre soit un critère de tassement. Des capteurs de pression totale (Fig. 4) peuvent être installés sur les têtes des inclusions pour en vérifier le bon transfert. La mesure de pression étant plus fiable lorsque le capteur est positionné sur une surface rigide, l’installation sur les inclusions sera privilégiée. Toutefois, des mesures qualitatives peuvent être réalisées lorsque ces capteurs sont installés dans le sol.
Le capteur de pression totale permet de mesurer l’augmentation de contrainte normale appliquée sur le coussin du capteur rempli d’huile. Le coussin qui se compose de deux plaques soudées bord à bord est connecté à un capteur de pression. Le diamètre du coussin est adapté à la section de l’inclusion.
Le capteur de pression totale est installé sur un lit de sable (5 cm d’épaisseur) sur la tête de l’inclusion rigide et recouvert par une couche de sable (5 à 10 cm d’épaisseur). Il doit être de même forme et de même section que la tête de l’inclusion. L’horizontalité du capteur doit être vérifiée avant recouvrement. Les câbles sont enfouis dans une tranchée sablée jusqu’au point de mesure.
Fig. 4 Capteurs de pression totale. Earth pressure cells. |
3.5 Dispositifs de mesure de la déformation
La mesure de la déformation est particulièrement intéressante pour vérifier le bon fonctionnement d’une nappe géosynthétique mise en place pour renforcer la base d’un remblai. Ces nappes sont utilisées par exemple dans les plateformes granulaires intercalées entre les inclusions rigides et l’ouvrage pour favoriser le transfert de charge vers les inclusions (Briançon et Simon, 2017).
Différents types de capteurs peuvent être utilisés pour mesurer cette déformation : des jauges de contraintes fixées sur les géosynthétiques (Almeida et al., 2007), des extensomètres à cordes vibrantes plutôt adaptés à la mesure sur des géogrilles (Chen et al., 2008) ou plus récemment des fibres optiques pour réaliser des mesures ponctuelles (Réseaux de Bragg) ou réparties (Réflectométrie Rayleigh ou Brillouin).
L’utilisation des fibres optiques donne de très bons résultats (Briançon et Simon, 2011, 2017) en termes de précision, de durabilité et de facilité de mise en œuvre sous réserve de suivre quelques précautions lors de leur installation. Ces capteurs peuvent être directement insérés dans la nappe géosynthétique de renforcement ou dans des bandes géosynthétiques à poser sur la nappe de renforcement.
3.6 Unités mobiles et centrales d’acquisition
3.6.1 Lecteurs mobiles
Les capteurs en place peuvent être connectés à une centrale d’acquisition mais aussi être suivi ponctuellement à l’aide d’un lecteur mobile. Ce lecteur doit être adapté à la technologie du capteur : un calibreur de boucle (Fig. 5a) pour les capteurs en courant 4–20 mA ou un appareil de mesure portable et autonome de mesure de fréquence (Fig. 5b) pour les capteurs à corde vibrante par exemple.
Les sondes des unités mobiles de mesures sont en général accompagnées de leur lecteur enregistreur (Fig. 3).
Fig. 5 Calibreur de boucle (a) et appareil de mesures portable pour capteurs à corde vibrante (b). Current loop calibrator (a) and handheld readout unit for vibrating wire sensors (b). |
3.6.2 Centrales d’acquisition
Les capteurs en place peuvent aussi être connectés à une centrale d’acquisition. Ces centrales peuvent accepter des capteurs de différentes technologies (courant, tension, fréquence…), les alimenter et récupérer leur signal de sortie qui est converti en mesure physique. Ces centrales peuvent être autonomes si elles sont alimentées (sur secteur, par un panneau solaire ou une batterie) et peuvent transmettre les mesures si elles disposent d’un modem intégré. Ces centrales sont dimensionnées en fonction du nombre de capteurs et doivent être installées dans une armoire de protection (Fig. 6).
Fig. 6 Exemples de centrales d’acquisition. Renforcement de sol du bâtiment ICEDA (Briançon et al., 2015) (a) et amélioration de sol d’un remblai autoroutier sur inclusions rigides (Briançon et al., 2018) (b). Examples of data loggers. Soil reinforcement of industrial building ICEDA (Briançon et al., 2015) (a) and pile-supported embankment of a highway (Briançon et al., 2018) (b). |
3.7 Moyens de mesures adaptés à la technique d’amélioration de sol
Le tassement est souvent le paramètre mesuré dans les techniques d’amélioration de sol puisque c’est un paramètre à maîtriser par ces techniques. D’autres mesures physiques peuvent être suivies comme le transfert de charge ou les variations de pressions interstitielles. Enfin, pour certaines techniques, l’instrumentation peut être complétée ou même remplacée par des contrôles (essais géotechniques in situ). Le tableau 2 présente les mesures requises par techniques d’amélioration de sol.
Technique d’amélioration de sol nécessitant une instrumentation.
Soft soil improvement technique requiring a monitoring.
4 Exemples d’ouvrages instrumentés
4.1 Remblai ferroviaire de traversée des marais de la Virvée
La nouvelle ligne LGV reliant Tours à Bordeaux traverse de nombreuses zones compressibles qui nécessitent des améliorations de sol.
Parmi les ouvrages prévus se trouvent 3 remblais situés en zone compressible sur la commune de Cubzac-les-Ponts (33), en rive droite de la Dordogne. Dans cette zone, le sol compressible est constitué d’argile et de tourbe sur une dizaine de mètres de profondeur. Pour diminuer le tassement et accélérer le temps de construction, une amélioration de sol a été initialement dimensionnée. Elle est composée d’inclusions rigides béton battues dans un maillage carré de 1,6 m de côté et coiffées de dallettes carrée de 0,7 m de côté (Fig. 7a).
Basée sur les résultats du projet national ASIRI (Briançon et Simon, 2011), une solution d’amélioration avec des géogrilles en remplacement des dallettes coiffant les inclusions rigides a été proposée. Ce renforcement est apporté par des géogrilles en fibres de PVA haute ténacité (alcool polyvinylique) enduites type NOTEX C PVA (Texinov) pour assurer une bonne durabilité des matériaux, le corps du remblai étant traité à la chaux. Chaque géogrille a une résistance à la rupture en traction de 800 kN/m dans le sens production et 30 kN/m dans le sens trame. La direction principale de la géogrille inférieure est orientée perpendiculairement à l’axe de la voie et située à une cote de +2,8 NG ; celle de la nappe supérieure est orientée selon l’axe de la voie, elle est située à une cote de +3,10 NGF (Fig. 7b).
Le pré-dimensionnement réalisé par Terrasol a mis en évidence tout l’intérêt de cette nouvelle solution. Ces calculs ont été établis pour une raideur de géogrilles J = 13 000 kN/m (évaluée à 2 % de déformation). Un plot expérimental a été conçu et instrumenté pour valider la solution proposée.
Le plot expérimental a été mis en œuvre sur le tracé de la LGV. Il permet de reproduire les conditions de deux mailles courantes. Les talus sont réglés à 2H/1V. Les géogrilles sont disposées parallèlement aux files d’inclusion. La direction principale de la géogrille inférieure est orientée perpendiculairement à l’axe de la voie ; celle de la nappe supérieure est orientée selon l’axe de la voie.
Le plot avec les dallettes a une maille de 1,6 m, les trois plots avec les géogrilles ont des mailles de 1,6, 1,7 et 1,8 m.
L’instrumentation du plot expérimental (Fig. 8) est constituée de :
-
tassomètres magnétiques en forage (constitués de 6 bagues);
-
capteurs de tassement (transmetteurs de pression) au niveau N0 (+2,50 NGF) et N2 (+3,80 NGF);
-
capteur de force (uniquement pour la section avec dallette);
-
capteurs de pression totale positionnés sur le sol et sur les inclusions au niveau N0 (+2,50 NGF) et N1 (+3,20 NGF);
-
capteurs de déformation à fibres optiques insérés dans les géogrilles.
Les capteurs électriques sont connectés à deux centrales d’acquisition Datataker. Les mesures tassomètriques sont réalisées à l’aide d’une sonde à une fréquence adaptée au phasage de la construction de l’ouvrage. Les mesures optiques sont enregistrées à l’aide d’un analyseur optique.
Le suivi et l’interprétation des mesures collectées à la suite de la mise en place du remblai ont montré que les calculs de dimensionnement faits en préalable à l’édification des plots ont évalué un ordre de grandeur correct des contraintes appliquées sur les têtes d’inclusion, et de celles appliquées au sol entre les inclusions, au même niveau ou au toit du matelas. Le report presque complet des charges du remblai sur les têtes d’inclusion a été confirmé, comme prévu par le modèle de calcul. Les mesures montrent que des valeurs stabilisées des contraintes ont pu être atteintes moins de deux semaines après la fin d’édification du remblai sur chacun des quatre plots. Cette observation met en évidence l’efficacité des dispositifs de renforcement de la solution variante avec géogrilles. Pour le tassement, on observe que, comme pour les contraintes, des valeurs stabilisées ont été atteintes moins de deux semaines après la fin d’édification du remblai. Cette stabilisation constatée dans tous les capteurs placés au niveau des têtes d’inclusions s’est maintenue sur une période d’environ 100 jours.
La mobilisation des géogrilles a révélé des déformations conformes à celles du modèle de calcul. La géogrille inférieure est la plus mobilisée. Les déformations les plus élevées sont atteintes à proximité des inclusion ; elles augmentent avec la maille du renforcement. Ces résultats sont conformes à ceux des expérimentations en vraie grandeur menées dans le cadre du projet national ASIRI (Briançon et Simon, 2011).
Au regard des résultats du plot expérimental et du dimensionnement, il a donc été validé de mettre en œuvre des inclusions de longueur 13 à 14 m (selon les niveaux du toit de la couche de sable et gravier) avec une plateforme granulaire renforcée par deux géogrilles et selon un maillage de 1,8 × 1,8 m. Par rapport au prédimensionnement initial préconisant une maille carrée de 1,55 m, les quantités d’inclusions ont ainsi été diminuées de 28 %, grâce à ce plot d’essai.
Fig. 7 Solutions d’amélioration de sol envisagées (Briançon et al., 2014). Soft soil improvement solutions proposed (Briançon et al., 2014). |
Fig. 8 Instrumentation (Briançon et al., 2014). Monitoring (Briançon et al., 2014). |
4.2 Remblai de pré-chargement des voiries de l’IKEA à Bayonne
Les préchargements réalisés de septembre 2013 à août 2015, dans le cadre des travaux de voiries et réseaux divers des nouveaux magasins IKEA et du forum commercial IKEA Centre Bayonne ont fait l’objet d’une instrumentation et d’un dimensionnement interactif de la méthode observationnelle (Binda et al., 2016).
L’entreprise COLAS Sud-Ouest, en groupement avec Franki et Botte Fondations, puis avec Solétanche Bachy et Franki Fondations, s’est vu attribuer ce marché qui aura nécessité 550 000 tonnes de matériaux de préchargement. Par ailleurs 2000 km de drains verticaux ont été foncés, certains jusqu’à 55 m de profondeur, ce qui constitue une particularité unique en France.
Sur l’ensemble du site, les alluvions, d’une épaisseur de 20 à 50 m, proviennent du remplissage d’un ancien affluent de l’Adour. Ces alluvions sont de nature argilo-sableuse vasarde, très compressibles, présentant parfois de la matière organique.
L’objectif principal du préchargement était de limiter les tassements différentiels, entre les voiries et les bâtiments, à 10 cm après dix ans de mise en service des magasins. Les objectifs secondaires étaient d’obtenir une consolidation de 95 % à 6 mois et d’observer le fluage pendant 4 mois. La solution optimisée a permis de réduire les préchargements à une durée moyenne de 6 mois avec une consolidation de 90 % atteinte au bout de 4 mois et 2 mois d’observation du fluage.
Une instrumentation a été installée suivant 13 profils de mesures : Chacun de ces profils comportaient au minimum :
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1 profilomètre hydrostatique ;
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2 ou 3 capteurs de pression interstitielle ;
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2 boules tassométrique ;
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1 tassomètre de profondeur pour certains profil ;
-
1 inclinomètre flottant ou ancre ;
-
plusieurs plots topographique ;
-
1 piézomètre ;
-
1 pige topographique remontant d’une plaque posée au niveau du TN.
Cette instrumentation a été complétée par des essais de contrôle au CPTu avec essais de dissipation avant chargement et après déchargement.
La redondance des instruments a permis de recouper les résultats fournis par les différents dispositifs. Ces comparaisons ont permis d’écarter avec certitude les instruments de mesures dont les résultats présentaient des incohérences. Enfin, la densité et la fiabilité des mesures ont permis d’identifier très rapidement les dérives potentielles sur les objectifs de fluage. Il a donc été possible d’anticiper la mise en place d’actions correctives maîtrisées, sans pénaliser les dates de livraison des différentes plateformes.
5 Conclusion
La méthode observationnelle est bien adaptée aux techniques d’amélioration et de renforcement des sols ; l’instrumentation est l’un des principaux éléments de cette méthode. Par ailleurs, l’instrumentation d’ouvrages réels est un moyen incontournable pour développer de nouvelles techniques d’amélioration et de renforcement de sols, les ouvrages instrumentés du projet national ASIRI (2012) en sont un parfait exemple. L’instrumentation d’un ouvrage est une opération délicate, sa réussite requiert son acceptation par tous les acteurs de la construction de l’ouvrage, elle doit s’intégrer dans les travaux en étant le moins intrusive possible, spatialement et temporellement. Une bonne instrumentation associée à la méthode observationnelle peut apporter des éléments essentiels pour optimiser les coûts et les délais de travaux nécessitant une amélioration ou un renforcement de sol. L’instrumentation seule est souvent mise en place uniquement pour le suivi du comportement des ouvrages sans pour autant avoir à optimiser la conception des ouvrages. L’instrumentation est réservée à des spécialistes ayant des compétences métrologiques et géotechniques.
Références
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Citation de l’article : Laurent Briançon. Instrumentation in situ, un outil pour les techniques d’amélioration des sols. Rev. Fr. Geotech. 2020, 162, 4.
Liste des tableaux
Technique d’amélioration de sol nécessitant une instrumentation.
Soft soil improvement technique requiring a monitoring.
Liste des figures
Fig. 1 Tassomètre magnétique en forage (a) et extensomètre multipoints (b). Magnetic settlement plumb (a) and plastic rod extensometer (b). |
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Dans le texte |
Fig. 2 Capteurs de tassement hydrauliques. Hydraulic settlement sensors. |
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Dans le texte |
Fig. 3 Inclinomètre vertical en forage. Vertical inclinometer. |
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Dans le texte |
Fig. 4 Capteurs de pression totale. Earth pressure cells. |
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Dans le texte |
Fig. 5 Calibreur de boucle (a) et appareil de mesures portable pour capteurs à corde vibrante (b). Current loop calibrator (a) and handheld readout unit for vibrating wire sensors (b). |
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Dans le texte |
Fig. 6 Exemples de centrales d’acquisition. Renforcement de sol du bâtiment ICEDA (Briançon et al., 2015) (a) et amélioration de sol d’un remblai autoroutier sur inclusions rigides (Briançon et al., 2018) (b). Examples of data loggers. Soil reinforcement of industrial building ICEDA (Briançon et al., 2015) (a) and pile-supported embankment of a highway (Briançon et al., 2018) (b). |
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Dans le texte |
Fig. 7 Solutions d’amélioration de sol envisagées (Briançon et al., 2014). Soft soil improvement solutions proposed (Briançon et al., 2014). |
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Fig. 8 Instrumentation (Briançon et al., 2014). Monitoring (Briançon et al., 2014). |
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