Numéro |
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 163, 2020
Chutes de bloc, Risques Rocheux et Ouvrages de Protection (C2ROP)
|
|
---|---|---|
Numéro d'article | 1 | |
Nombre de pages | 7 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/geotech/2020010 | |
Publié en ligne | 2 octobre 2020 |
Article de recherche / Research Article
Les apports d’une dynamique de réseau pour la communauté des Maîtres d’ouvrage gestionnaires d’infrastructures soumises au risque rocheux☆
The contributions of network dynamics for the community of contracting authorities, administrators of infrastructures subject to rockfall risk
1
Pôle Alpin Risques Naturels, Bat. OSUG D, CS 40 700,
38058
Grenoble Cedex 9, France
2
Cerema Méditerrannée, Laboratoire d’Aix-en-Provence, Pôle d’Activités les Milles, avenue A. Einstein, CS 70499,
13593
Aix-en-Provence Cedex 3, France
3
SNCF RESEAU, Direction générale industrielle & ingénierie, Département voie & abords, Division patrimoine ouvrage en terre/hydraulique,
6, avenue F. Mitterrand,
93574
La Plaine St Denis Cedex, France
4
Conseil Départemental de la Savoie, Service risques naturels, Direction des Infrastructures et maintenance,
73000
Chambéry, France
5
Conseil Départemental de l’Isère, Direction des mobilités,
38000
Grenoble, France
6
Cerema Méditerrannée Agence de Sofia Antipolis,
500, route des Lucioles CS 80125,
06903
Valbonne Sophia Antipolis Cedex, France
7
EDF, CIH, Direction Technique, Service Conception Générale,
4, allée du lac de Tignes,
73290
La Motte Servolex, Savoie Technolac, France
★ Auteur de correspondance : carine.peisser@univ-grenoble-alpes.fr
Cet article présente la dynamique de réseau amorcée et renforcée au cours du Projet National C2ROP entre les Maîtres d’ouvrage (MOA) gestionnaires d’infrastructures soumises au risque rocheux. Les « Rencontres MOA Risque Rocheux » sont des rencontres techniques régulières de la communauté « Risque rocheux », occasions privilégiées pour les Maîtres d’ouvrage concernés, d’une part d’apprendre à se connaître et de partager des expériences et des outils spécifiques, d’autre part de discuter collectivement de problèmes rencontrés, de manques spécifiques identifiés, pour faire évoluer les pratiques. Les échanges générés autour de thématiques identifiées, choisies et discutées collectivement apportent nombre de réponses directes aux préoccupations quotidiennes des MOA. Outre cette richesse intrinsèque aux échanges, la dynamique de réseau a contribué à l’élaboration concertée de cinq documents communs de référence, qui se veulent des « outils-métier » au bénéfice de la communauté : deux cahiers des charges types, i) l’un pour les études d’aléa éboulement rocheux, ii) l’autre pour les travaux de protection contre les chutes de blocs, iii) un guide technique sur les ouvrages de protection, incluant les notions de coût et de maintenance, iv) un outil de formalisation et capitalisation des retours d’expérience et v) des recommandations sur la prise en compte des risques rocheux par les MOA gestionnaires d’infrastructures.
Abstract
This article presents the network dynamics which has been initiated and reinforced during the National Project C2ROP between the contracting authorities (MOA) administrators of infrastructures subjected to rockfall risk. The “Rockfall Risk MOA Meetings” are regular technical meetings of the “Rockfall Risk” community, a unique opportunity for the concerned contracting authorities to get to know each other and share experiences and specific tools, but also to collectively discuss problems and specific shortcomings, in order to make current practices evolve. The exchanges generated around given themes provide a number of direct answers to the daily concerns of the authorities. The network dynamics has also contributed to the concerted elaboration of five common reference documents, which are meant to be “business tools” for the benefit of the community: two standard specifications, i) one for rockfall hazard studies, ii) the other for rockfall protection works, iii) a technical guide on protection structures, including the notions of cost and maintenance, iv) a tool for formalising and capitalising on feedbacks, and v) recommendations on the consideration of rock risks by administrators of infrastructures. On the strength of the richness of this network dynamics and the results produced, the entire community of contracting authorities is keen to perpetuate the dynamics that has been set in motion and to keep this network alive in a sustainable manner.
Mots clés : Maîtres d’ouvrage / infrastructures / risques rocheux / partage / dynamique de réseau
Key words: Contracting authorities / rockfall risks / sharing / network dynamics
© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2020
1 Introduction
Lors de la phase d’élaboration du projet C2ROP, les acteurs de type Maître d’ouvrage (MOA) impliqués avaient exprimé une série de besoins techniques et stratégiques, sur la base des constats suivants concernant les services en charge de la gestion des risques rocheux :
-
Des lacunes sont identifiées dans l’analyse globale du risque ;
-
La gestion des risques est pour l’essentiel propre à chaque gestionnaire ;
-
Il serait nécessaire d’homogénéiser davantage les pratiques ;
-
Trop de travaux ont lieu dans le cadre de partenariats restreints ;
-
La diffusion des avancées scientifiques est trop peu développée ;
-
Il y a besoin de réviser, compléter et développer les documents de référence existants.
Il est ainsi apparu nécessaire de rassembler, au sein d’un groupe de travail spécifique, les acteurs en charge d’infrastructures linéaires (routières et ferroviaires) et ponctuelles (barrages, gares ferroviaires…), en responsabilité directe en matière d’action préventive des risques gravitaires et notamment rocheux pouvant affecter ces enjeux sensibles. Une démarche de travail collaboratif a donc été initiée à ce stade, poursuivant plusieurs objectifs :
-
Faire naître une expérience de travail en commun : partager les pratiques des uns et des autres, apprendre à se connaître, échanger et créer des habitudes de travail collectif ;
-
Mutualiser et valoriser les bonnes pratiques et expériences ;
-
Créer les conditions d’émergence de principes communs, mais aussi d’outils partagés de prévention et de gestion des risques rocheux, pour au final arriver à la formulation d’une doctrine et de principes directeurs communs en matière de gestion des risques rocheux.
Cette démarche s’est, dans un premier temps, appuyée sur le montage et l’animation d’un cycle de travail collectif et thématique comprenant des étapes de construction de référentiels communs (concepts, pratiques, méthodes) et de formalisation de propositions et d’outils à développer. Elle s’est ensuite poursuivie autour de deux axes distincts, qui se sont alimentés l’un et l’autre :
-
Les rencontres « MOA Risque Rocheux », rencontres techniques régulières ouvertes largement à la communauté des Maîtres d’ouvrage, ayant pour objectif de favoriser les échanges, les partages et la dynamique de réseau ;
-
Les groupes de travail spécifiques ayant vocation à produire des outils communs de référence.
2 Les Rencontres « MOA Risque Rocheux »
Les rencontres « MOA Risque Rocheux » à proprement parler ont été initiées en 2017, à l’issu du cycle de travail collectif mené en 2016 lors de la première tranche du projet national C2ROP. Il s’agit de rencontres techniques régulières, sur le thème spécifique des risques rocheux, visant à fédérer et animer la communauté des Maîtres d’ouvrage gestionnaires d’infrastructures exposées au risque rocheux.
Les sept temps collectifs du premier cycle, en 2016, ont concerné uniquement des partenaires de C2ROP. Ensuite, quatre rencontres en 2017 ont été ouvertes progressivement aux MOA non partenaires du projet ainsi que, selon les thèmes abordés, à l’ensemble de la communauté C2ROP (maîtres d’œuvre, bureaux d’études, entreprises, chercheurs). En 2018 et 2019, un rythme de deux rencontres par an a permis de pérenniser la dynamique engagée et d’élargir le groupe à d’autres membres. Afin de prendre en compte la répartition géographique des Maîtres d’ouvrage impliqués dans la dynamique de réseau, le lieu des rencontres a été alterné afin que chacun puisse en bénéficier au mieux : Grenoble, Lyon, Nîmes, Aix-en-Provence, Valence… La communauté nationale a ainsi été touchée largement au cours des quatre années du projet, avec une centaine de participants représentant 39 organismes, chiffre plus que doublé depuis le lancement de la démarche.
Cette dynamique de rencontres régulières représente une occasion privilégiée pour la communauté « Risque rocheux », d’une part d’apprendre à se connaître et de partager des expériences et des outils spécifiques, d’autre part de discuter collectivement de problèmes rencontrés ou de manques spécifiques identifiés, dans l’objectif de faire évoluer les pratiques.
2.1 Formalisation des besoins – Méthodologie
Au regard des besoins exprimés par les MOA en matière d’émergence d’une doctrine et d’outils communs de prévention et de gestion des risques, le Pôle Alpin Risques Naturels, chargé d’un appui d’ordre méthodologique, technique et scientifique pour animer la démarche, a mobilisé différents corpus pour structurer et conduire la réflexion collective.
Le premier cycle de rencontres a été basé sur une méthode de type « Focus Group ». Cette méthodologie s’apparente à une technique d’entretien de groupe d’expression et d’entretiens dirigés, qui vise à collecter des informations sur un sujet ciblé. Elle permet d’évaluer les besoins, les attentes, les spécifications, ou de mieux comprendre les enjeux en présence. Elle sert également à tester ou à faire émerger de nouvelles idées, inattendues au départ du processus de consultation.
Pour la structuration de la réflexion, le travail collectif s’est appuyé sur un ensemble de méthodologies issues de la cindynique, c’est à dire la science du danger. Elle a pour objet central et unique les risques, avec tous leurs caractères, leurs attributs, leurs spécifications – alors que pour les autres sciences les risques ne sont que des manifestations parmi d’autres de mécanismes plus généraux.
La cindynique a été utilisée dans les « Focus Group » comme une vision globale et systémique qui permet la prise en compte de tous les facteurs, éléments et influences qui expliquent les différents risques, déterminent leurs caractères, leur occurrence et leurs conséquences. L’approche cindinyque s’articule autour de cinq dimensions, qui permettent de se repérer dans ce qu’on peut appeler « l’hyper-espace du danger » : la dimension des faits, des modèles, des objectifs, des règles et enfin la dimension des valeurs (Fig. 1).
Au fil des premières rencontres, la réflexion guidée autour de ces concepts cyndiniques a permis de clarifier les besoins, les manques et points de blocage identifiés des MOA en matière de gestion des risques rocheux et de faire ainsi émerger les contours des outils à produire pour aller vers une formalisation et une amélioration des pratiques. En terme de doctrine, une conclusion importante à ce stade a été de souligner que les MOA impliqués n’étaient pas à proprement parler des « gestionnaires de risque » comme cela peut être le cas dans d’autre domaines – risques sanitaires, risques financiers… – mais bien des gestionnaires d’infrastructures soumises à des risques.
Au-delà de l’état des lieux des pratiques qui a pu être dressé et de l’expression des besoins communs à l’ensemble des MOA qui a pu être formalisée, ce premier cycle de travail collaboratif a surtout fait naître une dynamique très fructueuse d’échange et de partage au sein des Maîtres d’ouvrage, qu’il est apparu essentiel de poursuivre et de renforcer.
![]() |
Fig. 1 Les 5 dimensions de l’hyperespace du danger définies selon l’approche cindynique (Kervern, 1995). The 5 dimensions of hyperspace of danger defined according to the cindynic approach (risk analysis). |
2.2 Principe – Déroulé des rencontres
À partir de 2017, les rencontres « MOA Risque rocheux » ont été ouvertes plus largement qu’aux seuls MOA partenaires du projet, dans l’objectif d’enrichir les échanges initiés lors du premier cycle. Une structure type a été adoptée pour l’organisation de chaque journée, assurée par le PARN1. Une place importante a été systématiquement accordée aux temps d’échanges et de discussion, autour de trois temps identifiés : 1) Partage d’expérience, 2) Point d’avancement sur les outils collectifs en cours d’élaboration et Information sur la jurisprudence, 3) Approfondissement sur une thématique.
2.2.1 Partages d’expérience
Le retour d’expérience (REX) est un processus de réflexion et de capitalisation mis en œuvre pour tirer les enseignements, positifs et négatifs, d’actions en cours ou (le plus souvent) terminées.
Il est utilisé depuis plusieurs années de manière standard dans les grandes entreprises privées, notamment en matière de risque industriels : les groupes industriels réalisent des REX sur tous leurs incidents/accidents. Dans la communauté des risques naturels, le constat a été fait lors de l’étape précédente qu’il est nettement moins employé, en dehors de grandes catastrophes de portée plutôt régionale. Une séance de travail spécifique lors du cycle 1 a permis de commencer à élaborer un cadre, et a débouché sur la mise en place d’un groupe de travail dédié (voir §3.3).
Sur sollicitation du PARN, des MOA volontaires ont présenté lors de chaque rencontre des cas traités par leur service, qui ont été discutés collectivement pour en faire ressortir les bonnes pratiques (aspects organisationnels, solutions innovantes/pertinentes intéressantes à faire partager) et les points à faire évoluer.
Après trois années de fonctionnement, il apparaît que ces temps de retours d’expérience sont particulièrement appréciés des MOA ; ils sont une occasion privilégiée d’aborder des problèmes concrets, de partager des problématiques souvent communes et parfois récurrentes et de discuter des propositions de solutions ou d’améliorations.
Ces présentations ont également permis de faire prendre conscience collectivement à la communauté de la nécessité d’une bonne formalisation des retours d’expérience. Elles ont servi assez directement à alimenter les réflexions du groupe de travail REX.
2.2.2 Points d’avancement sur les outils collectifs en cours d’élaboration et Information sur la jurisprudence
Les participants de cinq groupes de travail mis en place ont été sollicités pour rendre compte périodiquement de l’avancée de leurs travaux respectifs (GT, voir §3) : GT « Cahier des charges – Études » ; GT « Cahier des charges – Travaux » ; GT « Ouvrages – Coûts et maintenance » ; GT « Retour d’expérience » ; GT « Principes de gestion du risque rocheux ».
Dans la mesure où les travaux de ces groupes étaient restreints à un petit nombre de partenaires C2ROP, les points d’avancement réguliers à chaque rencontre ont été des moments importants pour que l’ensemble de la communauté ait connaissance des orientations prises et puisse, le cas échéant, donner son avis ou proposer des compléments.
D’autre part, le PARN a assuré une veille sur la jurisprudence en matière d’événements « risques rocheux » impliquant des MOA, en parallèle avec l’IRMA – Institut des Risques Majeurs ; les cas identifiés ont été portés à connaissance à l’occasion des rencontres. Cette démarche de veille collégiale a elle aussi été identifiée, au fur et à mesure des rencontres, comme un des éléments indispensables de la doctrine de gestion des risques : il a ainsi été acté de l’inscrire dans le travail du groupe « Principes de gestion du risque rocheux ».
2.2.3 Approfondissement sur une thématique
Les thématiques centrales des rencontres ont été discutées collectivement d’une fois sur l’autre ; elles répondent donc à un besoin exprimé par les MOA eux-mêmes.
En fonction du thème identifié, le PARN a organisé l’intervention d’experts ciblés, qui a pour objectif de dresser un panorama des méthodes existantes et des recherches en cours, mais également de répondre directement aux questions spécifiques posées par les MOA, par exemple :
-
Méthodes d’analyse coût-bénéfice utilisées pour les inondations (juin 2017) : intervention de N. Neyret – Dreal AuRA ;
-
Normalisation dans le domaine des écrans pare-blocs déformables (avril 2018) : intervention de Marion Bost – IFSTTAR ;
-
Contraintes foncières et environnementales (octobre 2018) : intervention de Grégory Mollion – Juriste de la faculté de droit de Grenoble, et Marc Chatelain – DREAL AuRA.
L’ensemble des supports d’interventions présentées lors de chacune des rencontres représente une riche base de ressources librement accessibles2.
2.3 Des rencontres thématiques : grands thèmes abordés
Au fil des rencontres, au moins cinq grands thèmes distincts ont été traités pour couvrir des problématiques soulevées par le réseau :
-
La formalisation des retours d’expérience : plusieurs rencontres centrées sur ce thème ont permis de préciser les besoins et de contribuer, grâce à des allers-retours entre l’ensemble du réseau MOA et un groupe de travail spécifiquement dédié au sujet, à l’élaboration d’un outil de REX que chaque MOA pourra s’approprier ;
-
La prise en compte des contraintes foncières et environnementales : le partage des pratiques de chacun en matière de gestion du foncier et des contraintes environnementales a pu être complété par un panorama détaillé, sur les outils fonciers et environnementaux, la validité des conventions, la responsabilité des Maîtres d’ouvrage et des élus ainsi que des éléments de jurisprudence en la matière. La richesse des échanges directs engagés avec un juriste et un spécialiste de la DREAL ont permis d’une part d’apporter des réponses concrètes aux nombreuses questions posées, et d’autre part d’aborder une réflexion sur la gestion du processus de décision incluant en amont la prise en compte des diverses contraintes ;
-
Les contraintes d’exploitation : un partage d’expériences sur ce thème, organisé conjointement avec le Club Risque Rocheux de la COTITA Méditerranée – Conférence Techniques Interdépartementales des Transports et de l’Aménagement – portée par le Cerema, a fait ressortir que les gestionnaires connaissent globalement bien leurs infrastructures et les aléas, mais moins bien les multiples usages qui sont faits de ces infrastructures : il apparaît donc nécessaire de mieux appréhender tous les usages locaux pour mieux anticiper les contraintes d’exploitation ;
-
Les écrans de filets pare-blocs ETAG27 : cette rencontre, organisée conjointement avec la commission de normalisation « Equipements de protection paravalanche et pare-blocs » (CN PAB) du BNTRA – Bureau de Normalisation des Transports, des Routes et de leurs Aménagements – dans le cadre de la révision de la norme NFP 95-308, a permis aux structures MOA représentées, dont un gestionnaire autoroutier, de partager des retours d’expérience ciblés ; les points soulevés ont concerné autant l’établissement des marchés de travaux que la conception des ouvrages, leur mise en œuvre et le fonctionnement observé, dont le comportement sous sollicitation ; les résultats des échanges ainsi générés ont permis d’alimenter le travail de la Commission Nationale PAB ;
-
L’évaluation des vulnérabilités dans l’évaluation du risque : en s’appuyant sur des interventions d’experts ciblés présentant des méthodes d’évaluation qualitatives et quantitatives de la vulnérabilité et du risque identifiées au niveau national et transnational, les discussions entre MOA ont permis de dessiner les grandes lignes d’un outil d’évaluation des vulnérabilités, adapté aux besoins et objectifs spécifiques des MOA. Toutefois ce sujet apparaît encore pour la majorité des MOA comme le plus délicat à traiter au sein de leurs services et nécessite de poursuivre les réflexions amorcées par la dynamique du réseau.
De façon générale, les conclusions des échanges thématiques ont très largement servi à alimenter la rédaction des « Recommandations pour la prise en compte des risques rocheux par les MOA gestionnaires d’infrastructures » (§3.4).
3 Les groupes de travail MOA et productions d’outils opérationnels pour la communauté
Les actions engagées en parallèle des rencontres « MOA Risque Rocheux » ont visé à apporter aux Maîtres d’ouvrage des outils et/ou documents sur lesquels s’appuyer afin d’améliorer au sein de leur service la gestion des risques sur des enjeux linéaires (infrastructures routières et ferroviaires) ou ponctuels.
Le premier cycle de travail collectif a permis de définir cinq grands axes sur lesquels un besoin spécifique a été formalisé, et qui ont chacun abouti à la production d’un guide :
-
Des recommandations sur les grands principes de la gestion des risques rocheux (C2ROP, 2020a) ;
-
Un cahier des charges type pour les études de l’aléa rocheux (C2ROP, 2020b) ;
-
Un cahier des charges type pour les travaux (C2ROP, 2020c) ;
-
Un guide des ouvrages de protection incluant les notions de coûts et maintenance (C2ROP, 2020d) ;
-
Un outil de formalisation des retours d’expérience et de capitalisation (C2ROP, 2020e).
Pour chacun de ces cinq domaines, des groupes de travail ont été formés, associant des Maîtres d’ouvrage mais aussi selon les cas des bureaux d’études, des chercheurs et des entreprises afin de concevoir collectivement des outils et documents de référence adaptés aux besoins ou attentes de chacune des parties.
3.1 Cahiers des charges « Études » et « Travaux »
Dans le cadre du premier cycle des rencontres MOA, plusieurs constats ont été dressés sur l’hétérogénéité des études d’aléa éboulement rocheux rendues par les bureaux d’étude, qui conduit à des difficultés dans la gestion du risque rocheux à l’échelle d’une collectivité ou du réseau d’infrastructures (planification et priorisation des actions) ; il a été pointé qu’un manque de cohérence résultait pour partie de l’hétérogénéité des demandes émanant des Maîtres d’ouvrage, de l’absence de cadre normatif clair, de la réorganisation territoriale, de l’évolution de l’objectif in fine des études (de la définition de l’aléa à la définition du risque), ce qui pouvait conjointement conduire à des incompréhensions sur le contenu des missions des bureaux d’études.
Les Maîtres d’ouvrages concernés ont donc travaillé collectivement avec des bureaux d’études, dans l’objectif de rédiger des cahiers des charges communs à l’ensemble des MOA, mieux ciblés mais surtout harmonisés, afin d’obtenir de la part des bureaux d’étude des rendus homogènes, qui facilitent entre autres les comparaisons des résultats d’une étude à l’autre, et qui permettent également d’utiliser plus efficacement les données dans les évaluations de vulnérabilités et de risques.
Le premier document produit propose aux Maîtres d’ouvrage (particulièrement ceux ne disposant pas de services spécialisés) un cahier des charges type pour lancer des études d’aléa concernant les éboulements rocheux allant jusqu’à la définition des solutions de parade et le suivi d’exécution des travaux.
Il est accompagné d’une notice de rédaction, qui apporte des recommandations pour l’élaboration du cahier des clauses techniques particulières, et illustre les paragraphes types par des exemples tirés de cas pratiques.
Le cahier des charges est scindé en cinq contrats types qui s’inspirent de la norme NF P 94-500 relative à la classification des missions géotechniques, et pourront être contractualisés ensemble ou séparément en fonction du besoin du Maître d’ouvrage. Ils répondent chacun à cinq degrés d’objectifs différents correspondant à cinq étapes chronologiques allant de l’expression du besoin, jusqu’au suivi d’exécution des travaux, soit successivement :
-
Contrat no 1 : Étude de site – Définition de l’étude d’aléa : cette mission n’est à programmer que s’il elle ne peut être réalisée par les services du Maître d’ouvrage. Elle est nécessaire au bon déroulement de l’étude à suivre et constitue les données d’entrée du contrat n°2 ;
-
Contrat no 2 : Étude de site – Étude détaillée de l’aléa (équivalent de la mission G1ES au sens de la norme NF P 94-500) ;
-
Contrat no 3 : Études des parades possibles (équivalent de la mission G2AVP au sens de la norme NF P 94-500) ;
-
Contrat no 4 : Dimensionnement de la solution de parade (équivalent de la mission G2PRO de la norme NF P 94-500) ;
-
Contrat no 5 : Suivi d’exécution (équivalent de la mission G4 de la norme NF P 94-500).
En parallèle, un travail sur un cahier des charges « Travaux » a, pour sa part, rassemblé des Maîtres d’ouvrage, des Maîtres d’œuvre, des bureaux d’études, des entreprises et le Cerema. Il s’est basé sur un benchmark sur les Dossiers de Consultation des Entreprises des MOA consultés, ainsi que sur un benchmark SPS – Sécurité et Protection de la Santé.
Le document produit prend la forme d’un CCTP type « Travaux de protection contre les chutes de blocs ». Il a comme objectif de fournir aux Maîtres d’ouvrage un document type support pour la rédaction de leurs Cahiers des Clauses Techniques Particulières relatifs aux travaux de protection contre les chutes de blocs. Il ne vient pas se substituer au travail du Maître d’œuvre, mais il constitue une base dans sa réflexion pour l’établissement du marché de travaux.
Outre les généralités (Objet du marché, environnement des travaux, sécurité, cadre des interventions, normes, recommandations et guides), il couvre cinq grands domaines : i) la spécification des matériaux, ii) le mode d’exécution des travaux, iii) les contrôles, iv) les documents à fournir par l’entreprise, et v) la dénomination et présentation des ouvrages à réaliser.
3.2 Ouvrages, coûts et maintenance
Afin de permettre aux MOA d’accéder à une vision d’ensemble du domaine des ouvrages de protection contre les éboulements et les chutes de blocs, un guide synthétique a été élaboré, rassemblant des fiches techniques synthétiques par ouvrage de protection, qui précisent notamment leurs domaines d’utilisation, les principes de fonctionnement, ainsi que les coûts généralement constatés et les travaux de maintenance associés. Issu d’un groupe de travail regroupant MOA, bureaux d’études et entreprises travaux, ce guide constitue une mise à jour du catalogue des principaux dispositifs existants, prenant en compte les aspects surveillance, inspections, pathologies et maintenance de ces ouvrages.
Sur la base de recherches bibliographiques et d’une enquête menée auprès de Maîtres d’ouvrage et de bureaux d’études, un état des lieux a été dressé concernant les pratiques adoptées par les MOA pour la gestion de leur patrimoine, notamment pour la surveillance et la maintenance des ouvrages. Ce travail a été complété par une enquête spécifique sur les éléments de coûts des différents types d’ouvrages, non seulement à l’investissement, mais aussi dans les phases d’entretien et maintenance. Cela a permis de structurer une base de coûts en fonction de quelques configurations morphologiques types.
Le guide produit a ainsi vocation à être complémentaire des guides existants sur le sujet et permettra d’apporter aux lecteurs une analyse actualisée, directement en lien avec les expériences des différents contributeurs.
3.3 REX – Formalisation et capitalisation des retours d’expérience
De 2017 à fin 2019, un groupe de travail comportant des représentants de gestionnaires confrontés au risque rocheux, d’organismes scientifiques et de bureaux d’études, s’est attaché à réfléchir sur le sujet des retours d’expérience et à développer un outil pratique permettant de produire des REX plus ou moins détaillés en fonction de la gravité, en termes de conséquences, d’un événement.
Les objectifs de cet outil sont d’une part de produire des fiches de REX « standardisées » suite à événements, d’autre part de produire un catalogue de REX, et enfin de capitaliser les REX, en mettant à profit les enseignements tirés de chacun d’eux. Les destinataires en sont les gestionnaires d’infrastructures linéaires de transport, routières et ferroviaires.
Trois niveaux de REX ont ainsi été définis ; plus le niveau est important, plus il est intéressant d’analyser l’événement en profondeur :
-
Niveau 1 : pour un événement géré au niveau local, en interne par le service responsable : pas de victimes, pas d’interactions avec l’extérieur ;
-
Niveau 2 : pour un événement dont la gestion a nécessité des interactions avec l’extérieur (information des services de sécurité civile par exemple), mais dont la gestion reste assurée par le service responsable, avec application de procédures internes et une médiatisation restant locale ;
-
Niveau 3 : pour un événement dont la gestion a nécessité des interactions avec l’extérieur (intervention des services de sécurité civile) et sur lequel les procédures internes ne peuvent être appliquées : victimes décédées, médiatisation nationale…
L’outil produit prend aujourd’hui la forme d’un tableur – actuellement sous format Excel et OpenOffice, permettant non seulement de définir le niveau de REX d’un événement mais également de formaliser le REX sous la forme d’une fiche pour les niveaux 1 et 2 ; les REX de niveau 3 devront plutôt être portés par une instance décisionnelle supérieure au service gestionnaire (Ministère de l’Intérieur, Ministère de tutelle…). La sélection des critères et le calage des seuils pour définir les niveaux de REX se sont notamment basés sur des tests de l’outil demandés aux MOA gestionnaires d’infrastructures à l’occasion des rencontres du réseau, qu’ils soient partenaires ou non de C2ROP.
L’outil informatique est accompagné d’un manuel utilisateur, ainsi que d’une Note méthodologique destinée d’une part à sensibiliser les MOA à l’intérêt de réaliser des REX sur événements, d’autre part à leur présenter la méthodologie de définition des niveaux de REX. À court terme il est prévu de valoriser cet outil en développant un applicatif web.
La dynamique de réseau MOA, en favorisant les échanges et en incitant régulièrement à la capitalisation d’événements de type chute de blocs et de leur traitement, a donc permis de développer de façon interactive une méthodologie d’analyse et un outil de retour d’expérience, avec des étapes de test-validation par la communauté qui ont contribué à adapter l’outil au plus près des attentes et des besoins des Maîtres d’ouvrage.
Dans le cadre plus global de la doctrine de gestion des risques rocheux, l’intérêt de cette démarche est à la fois d’assurer une traçabilité des événements et de la façon dont ils ont été traités (important d’un point de vue juridique), mais également de se donner les moyens d’en tirer les enseignements et ainsi faire évoluer les pratiques.
3.4 Formalisation des principes de gestion du risque rocheux
Partis du constat établi lors des premières « Rencontres MOA Risque rocheux » que les gestionnaires d’infrastructure ne sont pas à la base des gestionnaires de risque, les Maîtres d’ouvrage ont souhaité travailler collectivement à la formalisation d’un document qui regroupe et formalise les principes et éléments méthodologiques pour la gestion du risque rocheux.
L’objectif d’un tel document est double : d’une part servir d’introduction au métier lors d’une prise de fonction dans la communauté des Maîtres d’ouvrage gérant des infrastructures exposées au risque rocheux ; d’autre part permettre d’identifier clairement les points sensibles et les besoins d’évolution des pratiques afin de les faire remonter au niveau national. À visée opérationnelle tout en étant vulgarisé, il s’adresse avant tout à des professionnels qui ne connaissent pas encore bien le domaine.
Le document produit, intitulé « Prise en compte des risques rocheux par les MOA gestionnaires d’infrastructures », prend la forme de recommandations (il ne s’agit pas d’un guide méthodologique). Il se limite à la gestion du risque rocheux sur les infrastructures, essentiellement de transport ; il ne s’applique ni au bâti, ni aux infrastructures industrielles, ni aux aspects d’aménagement du territoire (couverts par d’autres cadres existants). Il couvre toutes les étapes de la gestion du risque rocheux, que l’aléa soit connu (avec une politique de prévention éventuellement mise en œuvre), qu’il ne le soit pas ou qu’il soit plus important que prévu (nécessite alors une gestion dans l’urgence). Une attention particulière a été accordée pour inciter les Maîtres d’ouvrage à mettre en place une stratégie de gestion des risques, et à la faire valider par leurs instances.
De fait, ces recommandations synthétisent l’ensemble du travail engagé par les Maîtres d’ouvrage tout au long du projet C2ROP ; en particulier, les chapitres traitant des aspects juridiques, des contraintes foncières, environnementales et des contraintes d’exploitations ont été enrichis par les échanges générés lors de rencontres MOA dédiées à ces thèmes.
4 Conclusions et perspectives – Intérêts de la communauté
Les « Rencontres MOA Risque Rocheux » régulières organisées depuis 2017 sont un lieu d’échanges et de partage sur les préoccupations des Maîtres d’ouvrage gestionnaires d’infrastructures en matière de gestion des risques rocheux. Elles ont permis d’asseoir une dynamique de réseau fructueuse, en élargissant progressivement le groupe initial de 2016 à d’autres membres. Ces rencontres ont ainsi touché largement la communauté nationale « Risques rocheux » au-delà du cercle du projet C2ROP, avec une centaine de participants représentant à ce jour 39 organismes, un chiffre quasi doublé depuis le début de la démarche de réseau. Les liens créés avec la COTITA Méditerranée ont permis d’assurer des relais pour les résultats issus de C2ROP sur le risque rocheux et de toucher d’autres MOA fidèles de ces instances.
L’importance du rôle des MOA pour faire évoluer les pratiques, la réglementation (au sein du BNTRA par exemple), s’en trouve confortée.
Le partage d’expérience sur des thématiques ciblées, systématisé au fil des rencontres, est particulièrement apprécié des MOA comme des participants non MOA. Les échanges générés par les présentations de cas ont été riches en eux-mêmes, mais ont également permis d’alimenter la réflexion menée en parallèle par les groupes de travail spécifiques, qui s’est concrétisée aujourd’hui par la production de cinq outils-métier parfaitement adaptés aux attentes et besoins exprimés collectivement, au bénéfice de l’ensemble de la communauté.
Ces résultats se traduisent aujourd’hui par un souhait fort de l’ensemble de la communauté des Maîtres d’ouvrage de pérenniser la dynamique engagée et de faire vivre ce réseau de façon durable.
Références
- C2ROP. 2020a. Prise en compte des risques rocheux par les Maîtres d’ouvrage gestionnaires d’infrastructures : Recommandations. [Google Scholar]
- C2ROP. 2020b. Cahier des charges type pour l’étude de l’aléa éboulement rocheux et la définition des travaux. [Google Scholar]
- C2ROP. 2020c. Cahier des charges type pour les travaux de protection contre les éboulements rocheux. [Google Scholar]
- C2ROP. 2020d. Mémento des ouvrages de protection contre les éboulements : Maintenance et Coûts. [Google Scholar]
- C2ROP. 2020e. Aide à la formalisation de retours d’expérience à la suite d’un événement rocheux sur infrastructures de transport : Note méthodologique. [Google Scholar]
- Kervern G-Y. 1995. Eléments fondamentaux des cindyniques. Ed. Economica. Collection : Gestion Poche. 110 p. ISBN : 9782717827569. [Google Scholar]
Consultable sur http://risknat.org/ateliers-moa-c2rop/.
Citation de l’article : Carine Peisser, Nathalie Berenger, Florence Belut, Anne Lescurier, Valentin Le Bidan, Anne-Gaelle Ruiz, Jean-Luc Genois, Marie Malascrabes, Patrick Divoux, Magali Huteau. Les apports d’une dynamique de réseau pour la communauté des Maîtres d’ouvrage gestionnaires d’infrastructures soumises au risque rocheux. Rev. Fr. Geotech. 2020, 163, 1.
Liste des figures
![]() |
Fig. 1 Les 5 dimensions de l’hyperespace du danger définies selon l’approche cindynique (Kervern, 1995). The 5 dimensions of hyperspace of danger defined according to the cindynic approach (risk analysis). |
Dans le texte |
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.