Accès gratuit
Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 166, 2021
Modélisation Physique en Géotechnique - Partie 1
Numéro d'article 3
Nombre de pages 9
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2021004
Publié en ligne 22 février 2021

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2021

1 Introduction

Les pieux géothermiques (ou pieux énergétiques) sont les pieux de fondation équipés d’un système échangeur de chaleur entre les locaux qui ont besoin d’être chauffés et/ou rafraîchis et le terrain environnant ; on les appelle aussi « fondations thermoactives ». Pendant sa durée de vie, un pieu géothermique subit des cycles annuels de température avec une amplitude de l’ordre d’une vingtaine de degrés. Ces cycles thermiques engendrent des cycles de dilatation/contraction thermique du pieu qui influencent par la suite son comportement mécanique. Il est donc nécessaire de comprendre l’effet de ces cycles thermiques sur le comportement mécanique de tels pieux de fondation.

Plusieurs travaux de recherche ont été menés pour étudier le comportement thermomécanique des pieux géothermiques. À côté des méthodes théoriques se basant sur le transfert de charge (Suryatriyastuti et al., 2014 ; Pasten et Santamarina, 2014), des méthodes numériques utilisant les éléments finis (Yavari et al., 2014a ; Saggu et Chakraborty, 2015 ; Olgun et al., 2015 ; Ng et al., 2016 ; Di Donna et Laloui, 2015), les modèles physiques (à l’échelle réelle ou à l’échelle réduite) sont aussi utilisés (Ng et al., 2014 ; Laloui et al., 2003 ; Bourne-Webb et al., 2009). Ces travaux ont mis en évidence les déformations et contraintes additionnelles, dans les pieux, liées à ces variations thermiques, dépendant de l’amplitude des cycles thermiques, des conditions aux limites et des propriétés hydromécaniques du terrain.

Par rapport aux modèles physiques à l’échelle réelle (essais en place), les modèles à l’échelle réduite (en laboratoire) ont le mérite de pouvoir mieux contrôler les conditions aux limites et multiplier le nombre d’essais (donc le nombre de paramètres à étudier). Quelques expériences ont été réalisées en centrifugeuse (Stewart et McCartney, 2013 ; Ng et al., 2014, 2015) mais le nombre de paramètres étudiés reste limité.

Cet article présente une synthèse du programme d’expérimentation mené à l’École des Ponts ParisTech depuis 2010 sur un modèle physique à l’échelle réduite en laboratoire en condition 1 × g. Les résultats obtenus, principalement à travers deux thèses de doctorat (Yavari, 2014 ; Nguyen, 2017), ont été publiés dans plusieurs articles (Kalantidou et al., 2012 ; Yavari et al., 2014b, 2016 ; Nguyen et al., 2017, 2020). Dans cet article, nous présentons d’abord le développement du modèle physique d’un pieu géothermique et discutons le choix des dispositifs et procédures d’essai. Ensuite, quelques résultats représentatifs sont montrés dans le cas d’un sable (à l’état sec) et d’une argile (à l’état saturé).

2 Développement du modèle physique d’un pieu géothermique

Le modèle physique est présenté dans la figure 1 et les détails sur les dimensions et les capteurs sont présentés dans la figure 2. Le pieu est installé au milieu d’une cuve remplie de sol compacté. Une structure métallique est utilisée pour maintenir un réservoir d’eau se trouvant au-dessus de pieu. Un capteur de force est installé en tête du pieu pour mesurer la force transmise par le réservoir d’eau sur le pieu. Trois capteurs de déplacement sont attachés à la tête du pieu pour mesurer le tassement/soulèvement du pieu. Cinq jauges de déformation sont collées le long du pieu ; elles permettent de calculer l’effort axial le long du pieu. Plusieurs capteurs de température sont installés dans le sol et à l’intérieur du pieu. Plusieurs capteurs de pression totale sont aussi installés dans le sol à différents endroits et directions. Les détails de ce modèle sont présentés ci-dessous (voir aussi Yavari, 2014).

Le pieu modèle est un tube en aluminium à bout fermé ayant des diamètres intérieur et extérieur de 18 mm et 20 mm, respectivement. Les jauges de déformation sont collées sur la surface extérieure du pieu, à 100, 200, 300, 400, et 500 mm de la pointe du pieu. Après le collage de ces jauges, une couche de sable a été ajoutée et fixée par une colle Araldite, sur toute la surface extérieure du pieu. Le sable utilisé est le sable de Fontainebleau NE34 (avec un diamètre médian D50 = 0,21 mm, Feia et al., 2016). Ce traitement permet de reproduire la rugosité de la surface d’un pieu foré, technique souvent utilisée pour un pieu énergétique. Après ce traitement, le pieu modèle a été soigneusement étalonné sous différentes charges axiales et températures afin d’établir la relation entre les signaux donnés par les jauges de déformation et les conditions appliquées (effort axial et température). La précision des mesures d’effort axial obtenues par les jauges de déformation est estimée à 20 N (Yavari, 2014).

Pour contrôler la température du pieu, un cryostat est utilisé. Le réservoir du cryostat, rempli d’eau, est connecté avec un tube métallique (2 mm de diamètre intérieur) plié et inséré à l’intérieur du pieu modèle. Le pieu modèle est lui aussi rempli d’eau pour assurer le bon échange thermique entre sa paroi et le tube échangeur métallique. Une pompe péristaltique assure la circulation d’eau entre le cryostat et le pieu afin de contrôler la température du pieu.

Pour mesurer la température, les capteurs PT1000 (sonde métallique ayant un diamètre de 5 mm et une longueur de 50 mm) sont utilisés. Un capteur est placé à l’intérieur du pieu, à une distance de 300 mm de la pointe. Les autres capteurs sont placés dans le sol, à différentes profondeurs et distances du pieu (voir Fig. 2). La température de l’eau dans le cryostat est imposée avec une fluctuation de ± 0,1 °C et la précision des capteurs de température PT1000 est aussi de ± 0,1 °C.

La pression totale dans le sol est mesurée par des capteurs Kyowa (série PS) installés à différents endroits et orientations. Ces capteurs ont la forme d’une pastille très fine (6 mm de diamètre et 0,6 mm d’épaisseur) et permettent de mesurer la pression totale appliquée sur sa surface dans la gamme de 0–100 kPa, avec une précision de ± 1 kPa.

thumbnail Fig. 1

Schéma du modèle réduit d’un pieu géothermique.

Schematic view of the small-scale geothermal pile.

thumbnail Fig. 2

Détails des capteurs du modèle réduit.

Details of the sensors of the small-scale model.

3 Procédures expérimentales

Les expérimentations ont été réalisées sur du sable de Fontainebleau à l’état sec et de l’argile Kaolin à l’état saturé. Le programme de chargement inclut les essais mécaniques (chargement et déchargement axial en tête du pieu) et les essais thermomécaniques (chargement axial en tête du pieu suivi de cycles de variations de température du pieu en maintenant constante la charge mécanique).

Le sable de Fontainebleau NE34 a une masse volumique des grains solides ρs = 2,65 Mg/m3, un indice des vides maximal emax = 0,884, un indice des vides minimal emin = 0,557 (Feia et al., 2016). Le sable est compacté dans la cuve par couche de 100 mm d’épaisseur. La densité moyenne de la couche est contrôlée par la masse du sol utilisé pour compacter. Avant le compactage, le pieu est préalablement fixé dans sa position finale grâce à une barre métallique qui sera enlevée après le compactage. Le compactage du sable est réalisé manuellement grâce à une dame légère en bois pour atteindre une densité sèche ρd = 1,54 Mg/m3, correspondant à une densité relative de 50 %. Les capteurs de température et de pression totale sont installés au fur et à mesure du compactage. Après le compactage, les mesures par un appareil KD2 Pro donnent une conductivité du sable de 0,2 ± 0,01 W/(m.K) et une capacité thermique volumique de 1,2 ± 0,1 MJ/(m3.K).

L’argile Kaolin (Speswhite clay) a une limite de liquidité wL = 57 %, une limite de plasticité wP = 33 %, et une masse volumique des grains solides ρs = 2,60 Mg/m3 (Frikha, 2010). Pour préparer le massif de sol, l’argile est d’abord mélangée avec de l’eau pour avoir une teneur en eau de 29 %. Ensuite, le sol humide est compacté directement dans la cuve par une dame vibrante par couche de 50 mm pour atteindre une densité sèche moyenne de la couche ρd = 1,45 Mg/m3 (degré de saturation égal à 95 % ; indice des vides égal à 0,79). Avant le compactage, le pieu est fixé au préalable dans sa position finale grâce à une barre métallique qui sera retirée après le compactage. Pour compacter le sol autour du pieu, une dame métallique a été utilisée afin de ne pas toucher le pieu pendant le compactage. Un carottage a été réalisé à la fin du compactage montrant que la densité du sol est homogène après le compactage sur toute la profondeur de la cuve (Nguyen et al., 2020). Après le compactage, le massif de sol a été saturé par injection d’eau à partir du bas de la cuve. Dans le premier essai (Yavari, 2014), la saturation du massif d’argile a pris plusieurs mois. Pour accélérer cette étape, une plaque poreuse a été placée au fond de la cuve et une couche géotextile a été installée sur la paroi intérieure de la cuve. Ces dispositifs permettent d’emmener l’eau directement du bas de la cuve vers le haut de l’extérieur du massif de sol. Cela a permis de réduire le temps de saturation du massif à 45 jours (Nguyen et al., 2020). Après la phase de saturation, les mesures par un appareil KD2 Pro donnent une conductivité thermique de l’argile saturée de 1,5 ± 0,1 W/(m.K) et une capacité thermique volumique de 3,3 ± 0,3 MJ/(m3.K).

Le but des essais de chargement mécanique est de déterminer la capacité portante du pieu sous charge axiale. Pour cela, la charge axiale à la tête du pieu est augmentée par palier de 50 N. Chaque palier est maintenu pendant une heure, selon le protocole recommandé par la norme Afnor (1999). La charge de rupture du pieu est conventionnellement définie comme l’effort normal appliqué sur le pieu qui produit un déplacement en tête égale à 10 % du diamètre du pieu (2 mm dans ce travail).

Pour les essais de chargement thermomécanique, une charge mécanique est d’abord appliquée en tête du pieu. Ensuite, le pieu est refroidi et/ou réchauffé pendant que la charge mécanique est maintenue constante. L’amplitude des cycles thermiques est de ± 1 °C autour de la température initiale du pieu. Cette amplitude est très petite par rapport à des variations de température observées dans des pieux énergétiques qui peuvent atteindre jusqu’à ± 20 °C (Di Donna et Laloui, 2015). Effectivement, dans le cas d’un pieu modèle réduit, les dimensions du pieu modèle sont de l’ordre de 20 fois plus petites que celles d’un pieu réel. En conséquence, sa déformation sous contrainte mécanique est aussi 20 fois plus petite (Laloui et al., 2006). Pour cette raison, l’amplitude de la variation de température a été diminuée par 20 fois afin de réduire les déformations thermiques de 20 fois dans le modèle réduit (voir Tab. 1).

Tableau 1

Propriétés du modèle physique et du prototype en vraie grandeur correspondant.

Properties of physical model and the corresponding prototype.

4 Résultats principaux

Plusieurs essais ont été réalisés. Dans cet article quelques résultats représentatifs sont présentés. Dans la suite, les résultats obtenus sur du sable sec sont d’abord présentés. Ensuite, nous présentons les résultats obtenus avec de l’argile à l’état saturé.

4.1 Résultats avec du sable sec

La figure 3 présente les résultats obtenus sur trois essais de chargement mécanique. Dans cette figure, le déplacement normalisé est égal au déplacement mesuré en tête du pieu divisé par le diamètre du pieu. Les résultats obtenus avec trois essais sont très similaires montrant la bonne répétabilité de la procédure expérimentale adoptée. À partir de ces courbes, la charge de rupture du pieu (correspondant à un déplacement normalisé de 10 %) a été estimée à 500 N.

Dans la figure 4, les résultats obtenus pendant un cycle thermique (sous une charge axiale de 150 N, soit 30 % de la charge de rupture) sont présentés. La température du pieu (ligne rouge) a été maintenue à 22 °C pendant 2 h. Ensuite, elle a été montée à près de 23 °C pendant 2 h. À t = 4 h, le pieu a été refroidi à 21 °C. Deux heures après, la température du pieu est remontée à sa valeur initiale (22 °C). Pendant ces cycles, la température mesurée en différents points du sol a varié selon la température du pieu montrant un échange thermique entre le pieu et le sol. Les simulations numériques réalisées par Yavari (2014) ont prouvé que la conduction thermique est le mécanisme principal dans cet échange thermique. Concernant le déplacement en tête du pieu, un tassement a été observé à t = 4 h correspondant au refroidissement du pieu tandis que les phases de réchauffement n’ont pas engendré de déplacement du pieu.

Pour mieux comprendre le comportement du pieu pendant un cycle thermique, les résultats de la figure 4 sont présentés dans la figure 5 sous une autre forme. Dans cette figure, le déplacement normalisé (remis à zéro au début du cycle) est tracé en fonction de la température du pieu (ligne bleue). À partir de l’état initial, quand la température du pieu augmente d’un degré, le déplacement reste presque inchangé. Par contre, quand la température diminue, le déplacement varie (correspondant à un tassement à la tête du pieu) avec la baisse de température. Pendant la dernière étape de réchauffement, le déplacement reste à nouveau inchangé. Dans cette figure, une courbe d’expansion libre est ajoutée pour représenter le déplacement en tête du pieu dans le cas où la pointe du pieu est fixée et le pieu est libre de dilater/contracter suivant sa température avec le coefficient d’expansion thermique de l’aluminium (23 × 10−6 °C−1). Les résultats montrent que le déplacement mesuré pendant la phase de refroidissement est parallèle à la courbe d’expansion libre calculée. Cela signifie que la pointe du pieu n’a pas bougé et le que pieu était libre de se contracter pendant cette étape. De plus, si l’on considère que la présence du sol a peu d’influence sur la déformation thermique du pieu, on peut supposer que la pointe du pieu a tassé pendant les deux étapes d’échauffement. D’ailleurs, à l’état final, quand la température du pieu est revenue à la température initiale, un tassement cumulé irréversible est observé.

Ce tassement irréversible est tracé en fonction du nombre de cycles thermiques pour des essais soumis à différentes charges mécaniques (Fig. 6). Quatre essais ont été réalisés sous quatre valeurs de charge mécanique différentes, correspondant à 0 %, 20 %, 40 % et 60 % de la charge de rupture du pieu. Trente cycles thermiques ont été réalisés pour chaque essai. Quand le pieu n’est soumis à aucune charge mécanique (0 %), le tassement irréversible thermique est négligeable. Dans les autres cas, plus la charge mécanique est grande, plus le tassement irréversible thermique est important. De plus, pour une charge mécanique donnée, le tassement irréversible cumulé augmente rapidement pendant les premiers cycles thermiques puis l’augmentation ralentit progressivement avec le nombre de cycles. Cette tendance est en accord avec le modèle proposé par Pasten et Santamarina (2014) dont les résultats sont présentés sous forme des lignes continues dans la figure 6.

Dans la figure 7, le profil de l’effort axial le long du pieu est présenté pour un essai (20 % de la charge de rupture, effort en tête égal à 100 N). Le profil à l’état initial ressemble à un profil classique d’un pieu sous charge axiale (l’effort axial diminue progressivement avec la profondeur). Le premier échauffement augmente légèrement l’effort axial et le premier refroidissement le diminue. Après 30 cycles thermiques, les profils deviennent presque verticaux, comme si les cycles thermiques avaient annulé le frottement entre le sable et le pieu. Il est aussi noté que l’effort axial mesuré dans pieu (à 100 mm de profondeur) est supérieur à la charge imposée. Il est difficile d’attribuer totalement cette différence à un frottement négatif sur la partie haute du pieu mais nous n’avons pas trouvé d’autre explication plus plausible.

La figure 8 présente les pressions totales (verticale et horizontale) mesurées à 50 mm sous la pointe du pieu. Les valeurs à l’état initial (10 kPa en pression verticale et 5 kPa en pression horizontale) correspondent aux valeurs théoriques estimées à partir du poids du sol en utilisant un coefficient de pression des terres au repos de 0,5. D’après la relation proposée par Garnier (2001) pour du sable de Fontainebleau normalement consolidé, ce coefficient est égal à 0,4. Dans cette étude, le sol serait légèrement surconsolidé et le coefficient de pression des terres au repos devrait être plus grand que 0,4. Ces pressions ont augmenté avec l’application des charges mécaniques mais l’effet des cycles thermiques (sous charge mécanique constante) n’est pas visible.

thumbnail Fig. 3

Essais mécaniques sur du sable sec : courbes de chargement-déchargement.

Mechanical tests on dry sand: loading-unloading curves.

thumbnail Fig. 4

Résultats typiques d’un cycle thermique : données en fonction du temps.

Typical results of a thermal cycle: data versus time.

thumbnail Fig. 5

Résultats typiques d’un cycle thermique : déplacement en fonction de la température du pieu.

Typical results of a thermal cycle: displacement versus pile temperature.

thumbnail Fig. 6

Essais mécaniques sur du sable sec : tassement irréversible en fonction du nombre de cycles thermiques.

Mechanical tests on dry sand: irreversible settlement versus number of thermal cycles.

thumbnail Fig. 7

Essais mécaniques sur du sable sec : profils de l’effort axial.

Mechanical tests on dry sand: axial load profiles.

thumbnail Fig. 8

Essais mécaniques sur du sable sec : pressions dans le sol sous la pointe du pieu.

Mechanical tests on dry sand: soil pressures beneath the pile toe.

4.2 Résultats avec de l’argile saturée

La figure 9 présente les résultats obtenus dans le cadre la thèse de Nguyen (2017). Après la saturation du massif d’argile, un essai de chargement mécanique a été réalisé avec un chargement jusqu’à la charge de rupture suivi d’un déchargement complet. La charge de rupture, correspondant à un tassement de 2 mm, c’est-à-dire 10 % du diamètre du pieu, a été estimée à 500 N d’après cet essai. Ensuite, les essais thermomécaniques ont été réalisés avec le même massif. D’abord, sans charge en tête du pieu, 30 cycles thermiques (20 ± 1 °C) ont été réalisés. À la fin de ces cycles, la charge en tête a été augmentée à 100 N (20 % de la charge de rupture) avant la réalisation de 30 cycles thermiques. Cette procédure a été répétée pour 40 % et 60 % de la charge de rupture.

Le comportement du pieu sous chaque cycle est similaire à celui dans du sable sec (soulèvement de la tête du pieu pendant l’échauffement et tassement pendant le refroidissement ; possible déplacement irréversible après un cycle). Le déplacement irréversible correspondant à chaque série de 30 cycles thermiques) est présenté dans la figure 10. Pour la série sans charge verticale (0 %), les premiers cycles thermiques ont entraîné un soulèvement correspondant à 0,15 % du diamètre du pieu puis le déplacement irréversible reste constant pendant les cycles suivants. Pour les autres séries, les premiers cycles thermiques ont causé un tassement irréversible. Ce tassement reste stable pour les cycles suivants. Ces résultats ont été bien reproduits par une modélisation numérique utilisant la méthode des éléments finis (Nguyen et al., 2020). Le soulèvement observé dans le cas de 0 % de charge mécanique a été expliqué par le relâchement de contrainte autour du pieu suite au déchargement de l’essais mécanique (voir Fig. 9). Le tassement irréversible supplémentaire observé dans les cas sous charge mécanique non nulle est expliqué par le fait que les cycles thermiques réduisent progressivement le frottement entre le sol et le pieu (phénomène aussi observé pour le sable sec, montré dans la Fig. 7). Pour le cas d’une charge égale à 60 % de la charge de rupture, à partir de 10 cycles thermiques, le pieu continue à tasser quand le nombre de cycles augmente. Nous avons attribué ce phénomène à un problème technique que nous n’avons pas pu expliquer.

thumbnail Fig. 9

Résultats des essais sur l’argile saturée.

Results of tests on saturated clay.

thumbnail Fig. 10

Essais mécaniques sur de l’argile saturée : tassement irréversible en fonction du nombre de cycles thermiques.

Mechanical tests on saturated clay: irreversible settlement versus number of thermal cycles.

5 Discussions

Dans cet article les résultats obtenus dans différents travaux menés à l’École des Ponts ParisTech depuis 2010 pour étudier le comportement thermomécanique d’un pieu énergétique par modèle réduit 1 × g sont présentés. Dans cette section, nous discutons les choix techniques adoptés ainsi que les phénomènes observés.

D’abord, le pieu modèle est un tube à paroi mince en aluminium à bout fermé. Il est choisi pour représenter un pieu rigide par rapport au sol. En termes de transfert thermique, on considère que la conductivité thermique du pieu est très grande par rapport à celle du sol, ce qui implique que la température du pieu est considérée homogène pendant l’essai. Ces hypothèses sont des choix pour simplifier le modèle. En réalité, la plupart des pieux énergétiques sont les pieux forés et leur réalisation en modèle réduit serait très complexe.

Le système de chargement mécanique à la tête du pieu par un réservoir d’eau permet d’augmenter progressivement la charge appliquée à la tête du pieu en remplissant le réservoir. De plus, il permet de maintenir cette charge constante pendant toute la durée d’essai quand la température est variée. Dans les essais préliminaires, cette charge a été assurée par l’installation de poids en tête du pieu (Kalantidou et al., 2012). Cependant, la mise en place des poids a causé de petits chocs sur la tête du pieu et a influencé légèrement les résultats. Pour maintenir la charge constante à la tête du pieu, un système électronique asservi (par exemple avec une pompe hydraulique et un asservissement basé sur le lecteur du capteur de force) aurait pu être utilisé mais ce système serait plus difficile à mettre en place.

Les capteurs de pression totale ont été utilisés dans les essais avec du sable sec. La variation de contrainte dans le sol a bien été observée sous chargement mécanique. Par contre, sous des cycles thermiques, ces variations de contraintes sont tellement faibles que les capteurs n’ont pas pu les mesurer. Ces capteurs n’ont pas été utilisés pour les essais dans l’argile car le compactage de l’argile (par une dame vibrante) les aurait endommagés. D’ailleurs, pour le cas de l’argile à l’état saturé, des capteurs de pression totale devraient être accompagnés par des capteurs de pression interstitielle pour avoir une analyse complète de l’état de contrainte.

Les jauges de déformations collées sur le pieu modèle ont aussi montré correctement la variation du profil de l’effort normal dans le pieu sous chargement mécanique. Lors de cycles thermiques, la variation de ces profils est plus difficile à mesurer car la variation de température entraîne une variation volumique du pieu lui-même, sans compter l’effet de l’état de contraintes sur la déformation du pieu. D’ailleurs, ses jauges ne donnaient plus de signaux quand le sol a été saturé d’eau. Il est possible que ses jauges ne fonctionnent pas quand elles sont en contact avec de l’eau. L’utilisation de fibres optiques (Li et al., 2020) sera une alternative intéressante pour éviter ce problème.

Concernant le programme d’essai, plusieurs massifs de sables ont été créés et testés. Les résultats montrent une bonne répétabilité des procédures expérimentales appliquées. Par contre, pour l’essai visant à étudier le comportement à long terme sous 30 cycles thermiques, un seul massif de sable a été utilisé pour différentes charges en tête (Fig. 8). Nous avons adopté ce choix pour minimiser l’effet de la préparation d’éprouvette sur les résultats afin de mieux observer l’effet de la charge mécanique en tête du pieu. Par contre, pour le cas de l’essai sur l’argile saturée, un seul massif de sol a été utilisé pour l’essai mécanique et les essais thermomécaniques (Fig. 9). En fait, la préparation d’un massif d’argile prend beaucoup plus de temps (plusieurs mois) et il est donc difficile de multiplier le nombre d’éprouvettes.

Les résultats obtenus dans ces travaux ont contribué à la compréhension du comportement thermomécanique d’un pieu géothermique. D’abord, les cycles thermiques entraînent des cycles de dilatation/contraction du pieu lui-même. Dans le sol, sous contraintes et en interaction avec le sol, ces cycles de dilatation/contraction ont tendance à réduire (relâcher) le frottement entre le sol et le pieu. Cela entraîne par la suite des tassements irréversibles si le pieu est soumis à une charge en tête importante. Ces résultats sont en accord avec d’autres observations lors d’essais in situ en vraie grandeur, essais en centrifugeuse ou des calculs numériques/théoriques.

Les contributions originales de la modélisation physique en condition 1 × g ont été principalement la réalisation des essais à long terme avec 30 cycles thermiques. Un cycle thermique, qui nécessite 8 h dans ces études, prend plusieurs mois pour un essai en vraie grandeur (Nguyen, 2017). Il serait donc difficile de réaliser ces essais à long terme en vraie grandeur. Dans ces études, ces essais ont été accompagnés des calculs numériques pour mieux comprendre les phénomènes. Les limitations principales de ce travail sont liées à la considération des effets d’échelle pour différents phénomènes mécaniques et physiques. Pour prendre en compte tous ces effets, il faudrait utiliser un pieu modèle avec des matériaux plus souples que le béton (en plâtre, par exemple, comme dans le cas de Zhao et al., 2020) avec une conductivité thermique faible. Les propriétés mécanique et thermique du sol seraient aussi à modifier. D’ailleurs, les facteurs d’échelle devraient être pris en compte d’une manière plus approfondie dans l’interprétation des résultats.

6 Conclusion

Un modèle réduit a été développé pour étudier le comportement thermomécanique d’un pieu énergétique. À côté des essais mécaniques pour étudier le comportement du pieu sous charge statique axiale, des essais thermomécaniques ont été réalisés. Ces essais consistent à maintenir la charge mécanique constante en variant la température du pieu pour simuler les cycles thermiques annuels. Le comportement du pieu est observé via les capteurs de force et de déplacement en tête ; les capteurs de température et de contrainte installés sur le pieu et dans le sol complètent le système d’observation de l’interaction sol-pieu. Les essais ont été réalisés avec du sable sec et de l’argile à l’état saturé.

Les résultats obtenus ont montré une bonne répétabilité des procédures expérimentales adoptées, un bon accord avec les résultats observés par d’autres méthodes (courbe de tassement en fonction de la charge mécanique appliquée ; dilatation/contraction du pieu sous un cycle thermique ; tassement irréversible sous un cycle thermique ; transfert thermique dans le sol ; etc.). Ces résultats confirment la validité du modèle physique 1 × g pour étudier le comportement thermomécanique d’un pieu énergétique.

Grâce à ce modèle, le comportement à long terme d’un pieu, sous 30 cycles thermiques annuels, et sous différentes charges mécaniques, a été étudié. Les résultats montrent un déplacement irréversible lors des premiers cycles thermiques tandis que les cycles suivants entraînent moins de déplacement irréversible supplémentaire. Ces résultats ont été discutés à la lumière de calculs numériques et de modèles théoriques pour mieux comprendre les mécanismes mis en jeu.

Liste des notations

D50 : Diamètre médian (mm)

emax : Indice des vides maximal (−)

emin : Indice des vides minimal (−)

ρd : Masse volumique du sol sec (Mg/m3)

ρs : Masse volumique des grains solides (Mg/m3)

wL : Limite de liquidité (%)

wP : Limite de plasticité (%)

Remerciements

Une partie de ces travaux a été financée par l’Agence Nationale de la Recherche via le projet PINRJ (ANR-10-JCJC-0908).

Références

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Citation de l’article : Anh Minh Tang, Neda Yavari, Van Tri Nguyen, Jean-Michel Pereira, Ghazi Hassen. Modélisation physique du comportement thermo-mécanique d’un pieu géothermique. Rev. Fr. Geotech. 2021, 166, 3.

Liste des tableaux

Tableau 1

Propriétés du modèle physique et du prototype en vraie grandeur correspondant.

Properties of physical model and the corresponding prototype.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Schéma du modèle réduit d’un pieu géothermique.

Schematic view of the small-scale geothermal pile.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Détails des capteurs du modèle réduit.

Details of the sensors of the small-scale model.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Essais mécaniques sur du sable sec : courbes de chargement-déchargement.

Mechanical tests on dry sand: loading-unloading curves.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Résultats typiques d’un cycle thermique : données en fonction du temps.

Typical results of a thermal cycle: data versus time.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Résultats typiques d’un cycle thermique : déplacement en fonction de la température du pieu.

Typical results of a thermal cycle: displacement versus pile temperature.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Essais mécaniques sur du sable sec : tassement irréversible en fonction du nombre de cycles thermiques.

Mechanical tests on dry sand: irreversible settlement versus number of thermal cycles.

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Essais mécaniques sur du sable sec : profils de l’effort axial.

Mechanical tests on dry sand: axial load profiles.

Dans le texte
thumbnail Fig. 8

Essais mécaniques sur du sable sec : pressions dans le sol sous la pointe du pieu.

Mechanical tests on dry sand: soil pressures beneath the pile toe.

Dans le texte
thumbnail Fig. 9

Résultats des essais sur l’argile saturée.

Results of tests on saturated clay.

Dans le texte
thumbnail Fig. 10

Essais mécaniques sur de l’argile saturée : tassement irréversible en fonction du nombre de cycles thermiques.

Mechanical tests on saturated clay: irreversible settlement versus number of thermal cycles.

Dans le texte

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