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Rev. Fr. Geotech.
Numéro 168, 2021
Modélisation Physique en Géotechnique - Partie 2
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Numéro d'article | 4 | |
Nombre de pages | 14 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/geotech/2021014 | |
Publié en ligne | 7 mai 2021 |
Article de recherche / Research Article
Modélisation physique de l’initiation et la progression de l’érosion de contact au sein des digues de canaux typiques des aménagements du Rhin et du Rhône
Physical modelling for initiation and progression of contact erosion through Rhine and Rhône canal embankments
1
geophyConsult,
73000
Chambéry, France
2
Compagnie Nationale du Rhône, CACOH,
69007
Lyon, France
3
EDF, CIH,
73290
La Motte Servolex, France
4
INRAE, Aix Marseille Univ, RECOVER,
13100
Aix-en-Provence, France
★ Auteur de correspondance : remi.beguin@geophyconsult.com
Les digues des aménagements hydro-électriques du Rhône et du Rhin sont sensibles à un type d’érosion interne appelé érosion de contact et localisé aux interfaces sols fins/sols grossiers, notamment à l’interface noyau/fondation. Pour analyser ce phénomène, un programme de recherche a été mené conjointement par CNR et EDF depuis 2008, d’abord à l’échelle de l’échantillon au laboratoire LTHE (Université de Grenoble), puis à l’échelle d’un modèle physique à échelle 1 au CACOH à Lyon (Centre d’analyse comportementale des ouvrages hydrauliques, CNR). Ces essais ont d’abord démontré la possibilité de formation d’un conduit d’érosion à la base du noyau menant à une rupture rapide (Beguin et al., 2013a). Pour éviter ce type de rupture, une seconde phase a testé le rôle d’une recharge granulaire, comme parade à ce processus. Une troisième phase expérimentale s’est focalisée sur la recherche des conditions de stabilité de cette recharge, lorsque le conduit amène une forte pression hydraulique sous la recharge. Le dispositif expérimental à échelle 1 utilisé permet la construction de tronçons de digue expérimentale de 2,2 m de hauteur, 4 m de largeur et 8 m de longueur. Ces tronçons sont soumis au chargement hydraulique souhaité pendant une durée de quelques heures à deux semaines et suivis par une instrumentation adaptée. Grâce à ce modèle physique de digue de grande dimension, les scénarios de progression de l’érosion, qui mettent en jeu des échelles supérieures à celle de l’échantillon, ont été observés et analysés pour la première fois. La dernière phase expérimentale a abouti à la proposition de critères de stabilité d’une recharge granulaire vis-à-vis de ce processus d’érosion.
Abstract
The dikes of the Rhône and Rhine hydropower facilities are sensitive to a type of internal erosion called contact erosion, located at the fine soil/coarse soil interfaces, particularly at the core/foundation interface. To analyze this phenomenon, a research program has been conducted jointly by CNR and EDF since 2008, first at the sample scale at the LTHE laboratory (University of Grenoble), then at the structure scale thanks to a physical model at scale 1 in CACOH (Centre d’Analyse Comportementale des Ouvrages Hydrauliques, CNR). These tests first demonstrated that an erosion pipe could develop at the base of the core leading to a rapid failure (Beguin et al., 2013a). For controlling the risk of failure, a second phase has identified the role of a granular shell, as a barrier to this process. A third experimental phase focused on the stability conditions analysis of this shell, when the pipe brings a strong hydraulic pressure under the shell. The experimental scale 1 device used allows the construction of experimental dyke sections of 2.2 m high, 4 m wide and 8 m long. These sections are subject to the designed hydraulic loading, for a period of a few hours to two weeks, and monitored by appropriate monitoring. With this large-scale physical dike model, erosion progression scenarios involving scales larger than the sample were observed and analyzed for the first time. The last experimental phase resulted in the proposal of a stability criterion for a granular shell with respect to the contact erosion process.
Mots clés : Digue / érosion interne / érosion de contact / renard / interfaces granulaires / multi-échelle / modèle physique
Key words: Dike / internal erosion / contact erosion / piping / granular interfaces / multiscale / physical model
© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2021
1 Introduction
Les aménagements hydro-électriques des plaines alluviales des grands fleuves comme le Rhône ou le Rhin ont en majorité été réalisés sous la forme d’ouvrages « en feston ». À l’amont, le cours d’eau est dévié par un barrage dans un canal d’amenée. À l’extrémité du canal, une usine hydro-électrique turbine le débit dérivé. Enfin, un canal de fuite ramène le débit turbiné au cours d’eau. Pour chacun de ces aménagements, plusieurs dizaines de kilomètres de digues latérales ont été construites. Leur hauteur par rapport au terrain naturel varie entre quelques mètres au début de l’aménagement et 10 à 20 m au niveau de l’usine hydro-électrique. La problématique étudiée concerne 400 km le long du Rhône, plus de 150 km le long du Rhin, et la plupart des digues qui canalisent les grands fleuves dans le monde.
Les crues ont en général déposé sur le substratum des graves sableuses sur plusieurs mètres ou dizaines de mètres, qu’elles ont recouvertes de quelques mètres de limon. Les endiguements ont été réalisés avec ces matériaux. En fonction des contraintes de chaque zone, les digues sont donc soit construites entièrement en alluvions grossières, soit zonées avec un noyau en limon compacté et des recharges en graves (Fig. 1). L’étanchéité du parement amont est soit réalisée par un masque de béton, béton bitumeux ou corroi argileux, soit obtenue par le colmatage naturel des sédiments déposés par le cours d’eau. Il n’est pas rare de trouver des défauts d’étanchéité, générant des vitesses d’écoulement qui peuvent être élevées en fondation. Ces écoulements de fuite sont collectés par des contre-canaux, parfois de grande dimension (Fig. 1).
Cette configuration est propice au développement d’une érosion interne, appelée érosion de contact, à l’interface entre le noyau limoneux et la fondation alluviale. Des particules de limons du noyau sont détachées par l’écoulement au niveau de l’interface puis entraînées dans les pores des graves. Les conséquences potentielles sont la remontée de fontis, la présence de fuites chargées en limon dans le contre-canal pouvant colmater le pied d’ouvrage, ou encore la formation d’horizons décompactés par l’érosion dans le noyau. Ces signes sont régulièrement observés, parfois sur plusieurs dizaines d’années. Pourtant, à ce jour, aucun cas de rupture associé à ce mécanisme n’est recensé sur les digues du Rhône et du Rhin. On note toutefois que d’importants travaux de confortement ont été réalisés progressivement, souvent sous la forme de parois étanches, pour arrêter les fuites les plus fortes.
L’érosion de contact est aussi à envisager pour des interfaces entre couches de granulométries distinctes en fondation (strates de dépôts sédimentaires) ou au sein de l’ouvrage (interfaces drain/noyau, sommet du noyau/recharge…). La compréhension de l’initiation et de la progression du phénomène et de ses conséquences sur l’ouvrage est donc un enjeu important de sécurité pour les gestionnaires.
L’érosion de contact a été étudiée depuis les années 1950 par des essais en laboratoire sur des échantillons composés de couples sol fin/sol grossier reconstituant l’interface granulaire à l’échelle décimétrique (Istomina, 1957 ; Brauns, 1985 ; Wörman et Olafsdottir, 1992). Ces travaux ont permis d’établir les deux conditions nécessaires à l’initiation du phénomène : une condition géométrique similaire aux critères de filtre (Terzaghi, 1939 ; Sherard et Dunnigan, 1989) et une condition hydraulique exprimée en gradient ou vitesse critique pour initier l’érosion. Ces essais ont majoritairement été réalisés sur des sables au contact de graviers dans une configuration où la couche de gravier est au-dessus de la couche de sable. Aucune étude n’avait modélisé la configuration classique des digues fluviales : noyau en limon au-dessus de couches d’alluvions graveleuses. D’autre part, les phases de progression n’avaient été étudiées que numériquement (Wörman et Olafsdottir, 1992) sans prise en compte de l’intégration des processus à l’échelle de l’ouvrage.
Ces lacunes mises en évidence par le projet Erinoh (François et al., 2013 ; Chevalier et Bonelli, 2017) ont motivé le lancement en 2008 de travaux de recherche conjoints entre EDF et la Compagnie Nationale du Rhône. Ces travaux se sont organisés sous la forme d’expérimentations à différentes échelles : pore (∼millimètre/centimètre), échantillon (∼décimètre) et ouvrage (métrique/décamétrique). L’approche multi-échelle a été motivée par les objectifs suivants :
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comprendre la physique à l’œuvre à l’échelle des grains pour la mettre en équation ;
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concevoir un dispositif de laboratoire permettant de tester et comparer des échantillons de sol dans une démarche de reconnaissance géotechnique classique ;
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confirmer ces résultats à l’échelle d’un ouvrage et analyser les enchaînements de mécanismes (Fell et Fry, 2007) susceptibles d’être générés par l’initiation de l’érosion de contact.
Ce dernier point ne pouvait être étudié qu’à une échelle supérieure à celle de l’échantillon, ce qui confirmait la nécessité d’un modèle physique à une échelle proche de celle de l’ouvrage. Une des questions adressées par ces travaux était de savoir si l’érosion de contact pouvait mener à une rupture brutale, ou si cette évolution était exclue. Le retour d’expérience des essais de laboratoire tendait en effet à montrer que l’érosion de contact était un mécanisme lent. Si cette tendance avait été confirmée, elle aurait permis au gestionnaire de ne pas conforter systématiquement les zones d’incidents, mais simplement d’accentuer leur surveillance.
Fig. 1 Coupe type d’une digue en limon de la Compagnie Nationale du Rhône. Typical section of a dike with silt core of the Compagnie Nationale du Rhône. |
2 Échelle du grain et de l’échantillon
L’érosion de contact se développe au niveau d’une interface entre deux sols de granulométries suffisamment différentes pour que des grains du sol fin puissent transiter dans les pores du sol grossier. Le mécanisme de filtration géométrique qui peut survenir a déjà été largement étudié (Terzaghi, 1939 ; Sherard et Dunnigan, 1989). Lorsque ce mécanisme n’est pas efficace (filtre dit « ouvert »), l’érosion nécessite une seconde condition, hydraulique : la sollicitation de l’écoulement doit être suffisante pour détacher un grain de sol fin et le transporter. Les expérimentations menées à l’échelle des pores du sol grossier et à l’échelle de l’échantillon ont permis de proposer des formules semi-empiriques pour cette condition hydraulique, en faisant un parallèle avec l’érosion de surface en rivière et fonds marins. Les expérimentations à l’échelle du pore ont notamment été utilisées pour caractériser la sollicitation hydraulique au niveau d’une interface granulaire (Beguin et al., 2013b). À l’échelle de l’échantillon, une large gamme de types de sol, allant de l’argile au sable grossier, a été testée en combinaison avec différents sols grossiers (Brauns, 1985 ; Bezuijen et al., 1987 ; Guidoux et al., 2010 ; Beguin, 2011), permettant de confirmer les paramètres empiriques. La figure 2 illustre un essai au laboratoire pour lequel le développement d’un conduit d’érosion dans le sol fin a pu être observé et quantifié en termes de vitesse de Darcy dans les graviers initiant le processus.
Fig. 2 Illustration d’un essai d’érosion de contact à l’échelle de l’échantillon entre un gravier (en partie basse) et un limon cohésif (en partie haute). L’écoulement arrive de la droite à une vitesse de Darcy d’environ 10−2 m/s dans la couche de gravier. Illustration of a sample-scale contact erosion test between a gravel (at the bottom) and a cohesive silt (at the top). The flow comes from the right at Darcy flow rate around 10−2 m/s in the gravel layer. |
3 Description du modèle physique à l’échelle 1
3.1 Objectif
Les expérimentations à l’échelle du grain et de l’échantillon ont permis d’établir les conditions d’initiation du phénomène, de décrire les mécanismes en jeu, et d’identifier leurs cinétiques. Les sols utilisés pour ces expérimentations sont des sols réels rencontrés sur les ouvrages. Les chargements hydrauliques (gradient et vitesse) sont similaires à ce qui est estimé dans des zones d’incidents. Les chargements mécaniques sont partiellement reproduits par l’application d’une contrainte verticale sur l’échantillon compatible avec les hauteurs d’ouvrages concernées (les ouvrages les plus petits sont les plus sensibles à l’érosion interne). Les sources résiduelles d’écarts avec l’ouvrage réel proviennent des aspects suivants :
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l’échelle spatiale de l’interface soumise à l’érosion et l’épaisseur des couches de matériau où le mécanisme peut se propager ;
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la géométrie et la composition réelle de l’ouvrage, notamment lorsque celui-ci est zoné : pente de talus, agencement des couches de sol ;
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l’échelle de temps des expérimentations par rapport à celle du terrain ainsi que l’historique et la cinétique du chargement hydraulique.
Les essais sur modèle physique ont étudié les deux premiers points de cette liste. Plus précisément, leur objectif était de vérifier l’existence d’un effet d’échelle spatiale sur le seuil d’initiation, et d’étudier la progression du processus au sein d’un ouvrage pour évaluer la possibilité de mener à une brèche.
3.2 Dispositif
Un dispositif expérimental dédié a été conçu et construit au sein du laboratoire du CACOH (Centre d’analyse comportementale des ouvrages hydrauliques, CNR) afin de reproduire une digue de petite hauteur (∼ 2,2 m) correspondant à la borne basse des tailles d’ouvrages concernés, mais intégrant les différents constituants de l’ouvrage. Seule la moitié de la digue correspondant au parement aval de l’ouvrage a été reproduite pour optimiser les volumes de matériaux à utiliser et permettre de maximiser les sollicitations hydrauliques applicables. Une tranche de digue de 4 m de largeur, 8 m de longueur et de 2,25 m de hauteur était construite au sein d’une structure en béton armée, reproduisant la face aval et alimentée par un réservoir à l’amont (Fig. 3 et 4).
Le mode opératoire utilisé pour toutes les campagnes d’essais se décline en plusieurs étapes :
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construction de la digue expérimentale, avec mesures de contrôle de densité, teneur en eau et granulométrie (environ 1 semaine) ;
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application par paliers du chargement hydraulique, jusqu’à la rupture ou l’atteinte de la capacité maximale d’alimentation (durée de quelques jours à deux semaines) ;
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démontage méthodique du modèle, avec observations et prélèvements (∼ 1 semaine).
Fig. 3 Digue expérimentale en cours de construction dans le dispositif. Trial test dike under construction in the test rig. |
Fig. 4 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2010–2011. Sketch of the experimental set-up used for the 2010–2011 campaign. |
3.3 Instrumentation
Le suivi du chargement hydraulique est réalisé par des mesures de niveau d’eau par sonde ultrasons dans les réservoirs amont et aval (permettant de déterminer le gradient global) et par une mesure du débit d’entrée à l’aide d’un débitmètre électromagnétique. Le niveau dans le réservoir est régulé à une cote constante par un asservissement des vannes d’alimentation. Le suivi du champ de pression interstitielle est exécuté par des mesures de pression déportées à l’extérieur du dispositif par des tuyaux de 10 mm de diamètre. Ces piquages sont complétés par des enregistreurs de pression autonome, enterrés dans le sol à la construction de l’ouvrage, et récupérés au démontage pour collecter les données enregistrées.
Pour le suivi de l’érosion, une mesure de turbidité est installée à l’exutoire, caractérisant la concentration en particules en suspension de l’effluent (Fig. 5). Par ailleurs, les particules érodées qui sédimentent dans le réservoir aval sont régulièrement récupérées et pesées après séchage. La masse de sol érodé et transporté à l’extérieur du modèle est déduite de ces deux mesures complémentaires.
Un suivi de la topographie du modèle est effectué par un système de photogrammétrie fixé sur un cadre au-dessus du dispositif. Il permet la réalisation d’un levé topographique à une maille centimétrique à chaque déclenchement des appareils (Fig. 5).
Pour certaines expérimentations, des mesures de reconnaissances géotechniques et géophysiques ont été mises en œuvre, avec deux objectifs : (1) tester la performance de ces méthodes pour la détection de l’érosion, et (2) collecter des données spatialisées pour améliorer la compréhension des essais. Des essais au pénétromètre Panda ont été mis en œuvre avant et après érosion, permettant de confirmer l’état initial d’homogénéité du modèle et d’identifier après sollicitation les zones décomprimées. Un suivi en continu par tomographie de résistivité électrique a été également testé. Enfin, des fibres optiques ont été enterrées durant la phase de construction et connectées à des interrogateurs opto-électroniques permettant une mesure distribuée de température et de déformation à pas centimétrique ou métrique suivant les appareils utilisés.
Fig. 5 Illustrations de l’instrumentation utilisée dans le dispositif. En haut à gauche : résultats de photogrammétrie ; en haut à droite : sonde de mesure de turbidité de l’effluent ; en bas à gauche : mesures de résistivité électrique ; en bas à droite : fibre optique pour la mesure de température et déformation. Illustrations of the instrumentation used in the device. Top left: photogrammetry results; top right: turbidity measurement probe of the effluent; bottom left: electrical resistivity measurements; bottom right: optical fiber for temperature and deformation measurements. |
3.4 Matériaux
Une couche de fondation était d’abord disposée en fond de modèle. Cette couche était en grave alluvionnaire roulée 12/20 ou 20/40 mm de perméabilités respectives k = 0,7 m/s et k = 1,3 m/s sur 20 cm d’épaisseur. Par-dessus était mis en place un noyau en limon. Un limon sableux, provenant du dragage du Rhône à Bourg-Lès-Valence a été choisi pour sa forte érodabilité dans la majorité des essais. Il permettait d’étudier le cas le plus défavorable rencontré sur les ouvrages, grâce à ces caractéristiques : d50 = 0,14 mm, d85 = 0,025 mm, passant à 2 % < 0,002 mm, Cu = 85 (Fig. 6). Des limons cohésifs ont été testés (limon d’Ampuis, Fig. 6) dans les autres cas, sans que l’érosion ne s’initie au maximum des capacités de chargement hydraulique du dispositif.
La fondation était mise en place par simple déversement et légèrement compactée. Le limon était compacté au rouleau de type PV2 en couches de 20 cm, en moyenne à 1520 kg/m3 ou 92 % OPN. La teneur en eau moyenne de mise en place était de ∼ 18 % soit +2 % par rapport à la teneur en eau de l’OPN. La condition de filtre n’est pas respectée entre le noyau et la fondation : d’un point de vue géométrique l’érosion peut s’initier.
Pour la dernière partie des essais, une recharge granulaire, d’épaisseur verticale comprise entre 20 et 150 cm, est ajoutée sur le parement. Elle est soit en grave propre 20/40 ou 4/50 mm, très perméable, soit en grave sableuse suffusive de caractéristiques moyennes d10 = 0,4 mm, d50 = 13 mm, Cu = 45, et de teneur en sable variable entre 18 et 30 %. Ces alluvions ont été prélevées sur le stock de matériaux de Chavanay, qui a notamment été utilisé pour la construction des digues du Rhône.
Fig. 6 Fuseaux granulométriques des principaux sols utilisés durant les campagnes expérimentales. Grain size distributions of the main soils used during the experimental campaigns. |
4 Campagnes d’essais et résultats
Le tableau 1 liste l’ensemble des essais menés sur modèle physique de 2010 à 2014. Des essais ont ensuite été conduits en 2017–2018 sur des sols renforcés par calcification bactériologique, dans le cadre du projet BOREAL (Esnault Filet et al., 2019) mais ils ne sont pas présentés ici.
Synthèse des essais de modèles physiques réalisés de 2010 à 2014 dans le dispositif expérimental du CACOH.
Summary of the physical model tests carried out from 2010 to 2014 in the CACOH experimental set-up.
4.1 Campagne 2010–2011 (Beguin, 2011)
Les 3 premiers essais (1.1, 1.2 et 1.3, Tab. 1) ont été réalisés en fermant l’extrémité aval du dispositif avec des batardeaux amovibles, de façon à obtenir une géométrie tabulaire similaire à celle des essais à l’échelle de l’échantillon. L’objectif était à la fois de valider les performances du dispositif et de son instrumentation, et de se concentrer sur l’effet d’échelle spatial. Les phénomènes observés se sont révélés similaires à ceux de l’échelle de l’échantillon : initiation d’une érosion continue à partir de vitesses de Darcy en fondation de 2 à 5 × 10−2 m/s. Ces essais ont aussi permis d’observer des remontées de fontis en surface, et d’identifier au démontage des zones de limon décomprimé et lessivé de sa fraction fine. Ces observations recoupent celles de terrain dans les zones d’incidents et confortent la représentativité du modèle physique.
Un effet de bord à l’entrée de l’écoulement dans le modèle était suspecté de par la concentration de l’érosion à cet endroit. Plusieurs ajustements de la configuration d’alimentation en eau de la fondation ont été testés. La solution satisfaisante finalement retenue à partir de l’essai 1.5 est de reconstituer un parement amont réduit et stabilisé par du gravier (Fig. 4). Ce parement est séparé du limon par un géotextile filtrant. L’entrée de l’écoulement dans la couche de fondation est rendue progressive par l’ajout d’un triangle en gravier intermédiaire 12/20 mm. Ces problèmes illustrent les difficultés apportées par le choix initial de ne reproduire qu’une moitié de digue.
Les essais 1.4 à 1.9 ont été réalisés avec un parement aval à 3H/1V, recouvert d’une recharge de 20 à 50 cm d’épaisseur verticale. Cette configuration s’approchant du terrain a permis d’étudier la suite des phases de progression. Lors de 4 essais, après initiation de l’érosion de contact, un conduit s’est formé au-dessus de l’interface et s’est propagé pendant quelques heures à dizaines d’heures jusqu’à devenir traversant et provoquer l’apparition brutale de renards et/ou de fontis (Fig. 7). Cet évènement a été observé pour des débits transitant dans la fondation de 8 à 20 l/s, correspondant à des vitesses de Darcy de 2 à 5 × 10−2 m/s. Le développement du conduit a été suivi par les mesures de pression interstitielle (baisse des pertes de charge dans la zone de conduit), les mesures de turbidité (forte charge en suspension), et les mesures de déformation et température par fibre optique (Fig. 8). Les déformations étaient mesurées par un maillage de fibres optiques à 20 cm au-dessus de l’interface. Elles atteignaient ± 30 μm/m (traction et compression) au début du processus mais des valeurs supérieures à 500 μm/m dans la zone de progression du conduit. Cette formation de conduit n’a été observée ni pour l’essai 1.7 en présence d’un limon plus cohésif, ni pour l’essai 1.5 pour lequel une érosion régressive en pied a été constatée, sans propagation du conduit.
Lors des essais 1.8 et 1.9, des moyens de confortement ont été testés : géotextile pour l’essai 1.8 et recharge filtrante de 50 cm d’épaisseur pour l’essai 1.9. Dans les deux cas, les confortements n’ont pas permis d’arrêter le processus, vraisemblablement par manque d’ancrage du géotextile et d’épaisseur de la recharge.
Fig. 7 Observations réalisées durant les essais. En haut à gauche : fontis en crête durant l’essai 1.8 ; en haut à droite : érosion régressive du pied de noyau durant l’essai 1.5 ; en bas à gauche : conduit traversant lors de l’essai 1.4 ; en bas à droite : conduit traversant au démontage de l’essai 1.6. Observations made during the tests. Top left: crest sinkhole during test 1.8; top right: regressive erosion of the core foot during test 1.5; bottom left: pipe during test 1.4; bottom right: pipe during dismantling test 1.6. |
Fig. 8 Mesures réalisées durant l’essai 1.6 : En haut, évolution du débit total, du niveau amont et de la concentration solide de l’effluent d’après les mesures de turbidité ; en bas, champ de déformation mesuré par fibre optique sur un plan à +20 cm au-dessus de l’interface gravier/limon. Measurements carried out during test 6: Top: evolution of the total flow, the upstream level and the solid concentration of the exit flow from turbidity measurement; bottom: deformation field measured by optical fiber on a plane located at +20 cm above the gravel/silt interface. |
4.2 Campagne 2012 (Beguin et al., 2012)
La seconde campagne expérimentale s’est focalisée sur la capacité de la recharge granulaire à stopper le développement de l’érosion. Dans cet objectif, le dispositif a été allongé pour permettre l’installation d’une recharge de 1,5 m d’épaisseur sur le noyau (Fig. 9). Du gravier en provenance du stock de Chavanay a été utilisé. Ce sol se rapproche des alluvions utilisées en recharge des digues du Rhône. Lors de ces 3 essais (2.1, 2.2 et 2.3), un conduit s’est probablement formé à l’interface et a progressé, mais n’a pas réussi à percer la recharge. Ceci a pu être déterminé d’après le suivi par fibre optique, par les mesures de pressions et les observations au démontage (Fig. 10). La pression interstitielle et les écoulements ont augmenté dans la recharge. Des zones délavées et polluées par des limons ont été identifiées au sein de la recharge. Des affaissements en crête ont aussi été constatés. Lors de l’essai 2.3, des fuites sont apparues en surface, ont raviné la recharge mais se sont ensuite arrêtées sans intervention extérieure (Fig. 11).
Les mécanismes identifiés sont des interactions dans la recharge en gravier entre suffusion (la granulométrie est instable), colmatage et évolution des zones d’écoulement. À l’état final, la recharge est colmatée par les limons. L’épaisseur mise en place est suffisante pour éviter une rupture du massif mis en pression par le conduit.
Fig. 9 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2012. Sketch of the experimental set-up used for the 2012 campaign. |
Fig. 10 Mesures lors de l’essai 2.2. À gauche : mise en charge de la recharge déduite des mesures de pressions interstitielles par capteur autonome. À droite : champ de déformation déduit des mesures par fibre optique à 20 cm au-dessus de l’interface avec la fondation. L’ellipse rouge indique la localisation du conduit. L’axe X est dans le sens de l’écoulement principal, l’axe Y est transversal et l’axe Z correspond à l’altitude. Measurements during the test 2.2. Left: hydraulic loading of the shell deduced from measurements of pore pressures by autonomous sensors. Right: deformation field deduced from optical fiber measurements over the interface with the foundation. The red ellipse indicate the pipe location. The X axis is in the main flow direction, the Y axis is transverse, and the Z axis is elevation. |
Fig. 11 Observations durant la campagne d’essai. À gauche : essai 2.1 vu depuis l’aval en fin d’essai. À droite : ravinement durant l’essai 2.3. Observations during the test campaign. Left: test 2.1 seen from downstream at the end of the test. Right: gully formation during the test 2.3. |
4.3 Campagne 2013–2014 : recherche des conditions de stabilité de la recharge
Ayant établi qu’une recharge granulaire pouvait stopper le processus, cette dernière campagne s’est focalisée sur les conditions permettant la stabilité de la recharge lorsque celle-ci est mise en pression par le développement d’un conduit dans le noyau. Pour cela, le noyau en limon a été remplacé par un noyau en sol stabilisé au liant et donc non érodable. Ce noyau était traversé par des tuyaux PVC représentant les conduits d’érosion (Fig. 12).
Deux types d’essais ont été réalisés : soit une mise en charge ponctuelle par un tuyau central (représentant le conduit d’érosion) ; soit une mise en pression longitudinale (parallèle à l’axe de la digue) par un ensemble de tuyaux et un dispositif de diffusion des écoulements à la base du noyau permettant une mise en pression linéaire. Dans le premier cas, les écoulements se diffusent radialement dans la recharge, avec une géométrie 3D. Dans le second cas, les écoulements ont une configuration 2D. Deux types de sols ont été testés :
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la grave suffusive de Chavanay utilisée comme un sol type représentant les alluvions grossières suffusives en recharge ;
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un gravier propre roulé 4/50 mm représentant des alluvions propres, ayant perdu leur fraction sableuse par ségrégation ou suffusion.
L’épaisseur verticale de recharge a varié entre 50 et 150 cm et la pente initiale de 3H/1V a été conservée pour les essais 3.1 à 3.9. Pour l’essai 3.10, plusieurs pentes ont été testées, en arrêtant l’essai dès l’initiation des mécanismes de dégradation, puis en talutant à nouveau le massif entre chaque répétition.
Différents mécanismes et modes de rupture ont été observés en fonction du type de sol et du type de chargement (Tab. 2 et Fig. 13).
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Les ruptures par fissuration suite à un léger glissement ont été retrouvées par des calculs de stabilité (logiciel TALREN, (Terrasol, 2005)), en modélisant le champ de pression interstitielle spécifique à ces conditions de mise en charge. Elles sont expliquées par l’apparition d’un plan de claquage, parallèle à la pente, sur lequel la contrainte normale de Fellenius (σn = γ.h.cos2(β), avec h : hauteur de recharge, γ : poids volumique humide de la recharge et β : angle de pente) est annulée par la pression interstitielle (Fry et al., 2015).
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Le ravinement est initié lorsque le débit linéique de suintement est trop élevé (Skoglund et Solvik, 1995), ce qui est le cas des essais avec le gravier 4/50 mm très perméable.
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Si la mise en charge est ponctuelle, une diffusion radiale des écoulements est observée (Zoueshtiagh et Merlen, 2007) entraînant une diminution rapide des pressions interstitielles et des vitesses d’écoulement. Dans cette situation, les vitesses de suintement en pied sont fortement diminuées par la diffusion, limitant le risque de ravinement. La zone de forte pression interstitielle est réduite à la zone proche du point de mise en pression, limitant le risque de glissement global. En conséquence, la rupture se produit localement, par débourrage et fluidisation, parfois favorisé par un glissement localisé.
Fig. 12 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2013–2014 sur la stabilité de la recharge. Sketch of the experimental device used for the 2013–2014 campaign on the stability of the downstream shoulder. |
Phénomènes observés en fonction du type de sol et du type de chargement hydraulique.
Phenomena observed according to the type of soil and the type of hydraulic loading
Fig. 13 Observations durant la campagne d’essai. En haut : propagation d’une érosion régressive/de ravinement lors de l’essai 3.1 ; en bas à gauche : glissement, fissuration, résurgence et ravinement lors de l’essai 3.3 ; en bas à droite fluidisation et débourrage de la recharge lors de l’essai 3.4. Observations during the test campaign. Above: regressive erosion/gullying in test 3.1; bottom left: sliding, crack, leakage and gullying in test 3.3; bottom right: blow up of the shell toe during the test 3.4. |
5 Compléments apportés par les approches numériques et analytiques
En complément des expérimentations, des modélisations numériques de l’écoulement au sein du modèle physique ont été réalisées avec les logiciels COMSOL (COMSOL v5.4) et Plaxis (Brinkgreve et al., 2016), d’abord en pré-dimensionnement puis en calcul en retour des essais, permettant par exemple le recalage des perméabilités des matériaux. Lors des essais sur la stabilité de la recharge, ces modélisations numériques ont permis de caractériser les gradients et débits de sortie, ainsi que les champs de pression interstitielle utilisés pour les calculs de stabilité (Fig. 14).
Dans l’objectif de déterminer un critère de résistance de la recharge au débourrage par fluidisation sous la poussée d’un écoulement concentré (Fig. 13 essai 3.4), facilement utilisable par l’ingénieur, des calculs analytiques ont été menés (Picault et al., 2019). Ces calculs ont été confortés par une recherche bibliographique sur la stabilité d’un massif granulaire soumis à une sous-pression. Le critère simplifié obtenu se base sur un calcul de stabilité d’un cône de sol soumis à son poids et aux forces appliquées par l’écoulement. Plusieurs hypothèses simplificatrices conservatives sont adoptées, détaillées dans Picault et al. (2019), dont notamment une diffusion de l’écoulement de type hémisphérique (source ponctuelle). Au final, il est obtenu un critère en débit de fuite et un autre en perte de charge à travers la recharge : avec H (m) l’épaisseur verticale de recharge, k (m/s) la perméabilité du sol, ic le gradient critique de Terzaghi ou gradient de boulance, din (m) le diamètre de la zone où est appliquée la pression sous le massif (diamètre du conduit dans le noyau). Cette relation a été confrontée à la fois aux résultats collectés dans la littérature et aux résultats des essais sur le modèle physique, couvrant une gamme de 4 ordres de grandeur en débit, inférieur à 21 l/s (Fig. 15). À l’exception de deux essais réalisés avec des débits très faibles (∼ml/s) toutes les ruptures ont été observées pour des débits supérieurs à celui du critère, confirmant son aspect conservatif. La représentation des hauteurs de débourrages calculées d’après la relation proposée pour la perte de charge critique met en évidence l’augmentation non linéaire de résistance avec l’augmentation de l’épaisseur de recharge et la forte influence de la dimension de la zone d’injection à la base (Fig. 16). Dans le cas des essais « CNR », cette zone était formée par l’extrémité du tuyau d’injection biseautée, et munie d’une grille (ellipse de 515 × 163 mm).
Fig. 14 Ecoulement modélisé pour l’essai 3.4 à 1,15 m de charge hydraulique. Les codes couleur correspondent aux charges hydrauliques (mCE), les flèches rouges aux vitesses d’écoulement. Modeled flow for test 3.4 at 1.15 m level of hydraulic head. The color code corresponds to the hydraulic head values (mCE), the red arrows to the flow velocities. |
Fig. 15 Confrontation du critère analytique de débit critique de débourrage par fluidisation (percement par un écoulement concentré) aux résultats expérimentaux de la littérature et aux résultats des essais sur le modèle physique CNR avec claquage (points verts). Confrontation of the analytical criterion of the critical flow rate for blow out with the experimental results of the literature and the results of the tests on the CNR physical model with blow-out (green symbols). |
Fig. 16 Critère de perte de charge critique au débourrage par fluidisation en fonction de la hauteur de recharge pour différents diamètres d’injection à la base : comparaison du critère analytique avec les résultats des essais sur modèle physique à la CNR. Criterion of critical hydraulic head for blow out in function of the height of the shell for various injection diameter: comparison of the analytical criterion with the tests on the CNR physical model. |
6 Conclusion
6.1 Apports de la modélisation physique
La création d’un modèle physique de grande dimension avait pour objectif initial d’étudier l’effet d’échelle et les conditions de rupture par érosion de contact à l’échelle de l’ouvrage. Ces objectifs ont été remplis. De plus, d’autres avantages de cet outil de grande envergure sont apparus au cours des différentes campagnes.
Le premier est la faculté de découvrir l’enchaînement des mécanismes d’érosion interne et de stabilité et leurs interactions avec l’ouvrage. De nombreux essais n’ont pas suivi le déroulement initialement prévu suite à la survenance de phénomènes non anticipés : effet de bord à l’entrée des modèles 1.1 et 1.2, érosion régressive à l’essai 1.5, ravinement pour l’essai 3.1, absence de rupture lors de l’essai 3.5… A posteriori, après analyse des données collectées et des observations, ces phénomènes ont pu être compris. Toutefois, c’est la réalisation des modèles physiques qui a permis d’en démontrer l’existence et d’en souligner l’importance.
Un second élément est la possibilité d’utiliser une instrumentation exhaustive incluant des capteurs centimétriques noyés dans le matériau. Ceci permet une densité de mesures inégalée sur le terrain et autorisant un suivi précis des phénomènes. D’autre part, l’usage de moyens de mesures identiques à ceux pouvant être mis en œuvre in-situ (pénétromètre, résistivité, fibre optique) permet de retranscrire plus aisément les conclusions obtenues sur le modèle aux sites réels en termes de contrôle et de surveillance des ouvrages.
Enfin, le modèle physique facilite l’appropriation, la diffusion et la vulgarisation des résultats par des observations visuelles concrètes des phénomènes. Le dispositif expérimental a fait l’objet de nombreuses visites, présentations scientifiques et articles. L’ingénieur ne peut que rarement observer un conduit d’érosion en cours de développement et démonter un ouvrage en détaillant la structure du sol endommagé. L’observation détaillée des phénomènes est une démonstration indispensable de leur existence et une illustration de leurs conséquences lorsqu’ils vont au-delà des connaissances ou à l’encontre des habitudes de la profession.
6.2 Application pratique des résultats et perspectives
Le premier résultat de ces travaux de recherche est la confirmation à l’échelle de l’ouvrage d’un critère en vitesse critique, trouvé en laboratoire, pour déterminer les conditions hydrauliques d’initiation de l’érosion de contact. Ce seuil passe par un minimum pour les sols les plus érodables (exclusion faite des sols dispersifs) de l’ordre de 1 × 10−2 m/s de vitesse de Darcy dans le sol grossier. Cette valeur est citée dans le bulletin CIGB no164 sur l’érosion interne dans les barrages (CIGB, 2016).
Le second résultat est l’identification et la description détaillée des mécanismes de progression de l’érosion de contact dans l’ouvrage : fontis, sols décomprimés et lessivés, colmatages mais aussi érosion de conduit menant à la brèche. Cette dernière possibilité a été observée sur de multiples essais. Les sols et les chargements hydrauliques utilisés dans les modèles sont mis en place dans les situations les plus défavorables du terrain : limon sableux très érodable, grave suffusive ou grave lessivée en fondation, vitesses de 2 à 5 × 10−2 m/s. Ces conditions rares expliquent les zones d’incident sur les endiguements fluviaux et cette observation expérimentale confirme la possibilité d’une rupture rapide initiée par érosion de contact.
Le troisième enseignement est lié au rôle de la recharge granulaire. La campagne de 2012 a confirmé que cet élément pouvait être une barrière efficace contre le processus de rupture rapide par conduit. Ce constat expérimental est une explication convaincante de l’absence de rupture sur les ouvrages réels. Avec les critères de résistance d’une recharge granulaire en présence d’un conduit ou d’une fracturation hydraulique dans le noyau établis sur la dernière campagne expérimentale, ces éléments sont suffisamment étayés pour pouvoir par exemple être utilisés et justifier la tenue de la recharge granulaire dans une démarche d’analyse de risque pour des Études De Danger (EDD).
En perspective, ce dispositif expérimental a vocation à être réutilisé pour investiguer d’autres aspects des processus d’érosion, comme l’érosion de contact au sommet du noyau en limon ou la surverse des ouvrages en matériaux grossiers. L’expérience acquise sur l’ensemble de ces campagnes a conduit à identifier les points clés de la réussite de ces essais de grande ampleur et donc de coût unitaire élevé : (1) réaliser des essais préliminaires à échelle décimétrique pour vérifier les hypothèses sur le fonctionnement hydraulique et les mécanismes attendus ; (2) prévoir suffisamment de temps d’analyse pour dépouiller les résultats et ajuster éventuellement le dispositif après le premier essai d’une nouvelle campagne ; (3) conserver de la souplesse pour adapter le programme expérimental au fil des résultats.
Références
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Citation de l’article : Rémi Beguin, Laurence Duchesne, Christophe Picault, Jean-Jacques Fry, Jean-Robert Courivaud, Pierre Philippe. Modélisation physique de l’initiation et la progression de l’érosion de contact au sein des digues de canaux typiques des aménagements du Rhin et du Rhône. Rev. Fr. Geotech. 2021, 168, 4.
Liste des tableaux
Synthèse des essais de modèles physiques réalisés de 2010 à 2014 dans le dispositif expérimental du CACOH.
Summary of the physical model tests carried out from 2010 to 2014 in the CACOH experimental set-up.
Phénomènes observés en fonction du type de sol et du type de chargement hydraulique.
Phenomena observed according to the type of soil and the type of hydraulic loading
Liste des figures
Fig. 1 Coupe type d’une digue en limon de la Compagnie Nationale du Rhône. Typical section of a dike with silt core of the Compagnie Nationale du Rhône. |
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Dans le texte |
Fig. 2 Illustration d’un essai d’érosion de contact à l’échelle de l’échantillon entre un gravier (en partie basse) et un limon cohésif (en partie haute). L’écoulement arrive de la droite à une vitesse de Darcy d’environ 10−2 m/s dans la couche de gravier. Illustration of a sample-scale contact erosion test between a gravel (at the bottom) and a cohesive silt (at the top). The flow comes from the right at Darcy flow rate around 10−2 m/s in the gravel layer. |
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Fig. 3 Digue expérimentale en cours de construction dans le dispositif. Trial test dike under construction in the test rig. |
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Fig. 4 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2010–2011. Sketch of the experimental set-up used for the 2010–2011 campaign. |
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Fig. 5 Illustrations de l’instrumentation utilisée dans le dispositif. En haut à gauche : résultats de photogrammétrie ; en haut à droite : sonde de mesure de turbidité de l’effluent ; en bas à gauche : mesures de résistivité électrique ; en bas à droite : fibre optique pour la mesure de température et déformation. Illustrations of the instrumentation used in the device. Top left: photogrammetry results; top right: turbidity measurement probe of the effluent; bottom left: electrical resistivity measurements; bottom right: optical fiber for temperature and deformation measurements. |
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Fig. 6 Fuseaux granulométriques des principaux sols utilisés durant les campagnes expérimentales. Grain size distributions of the main soils used during the experimental campaigns. |
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Fig. 7 Observations réalisées durant les essais. En haut à gauche : fontis en crête durant l’essai 1.8 ; en haut à droite : érosion régressive du pied de noyau durant l’essai 1.5 ; en bas à gauche : conduit traversant lors de l’essai 1.4 ; en bas à droite : conduit traversant au démontage de l’essai 1.6. Observations made during the tests. Top left: crest sinkhole during test 1.8; top right: regressive erosion of the core foot during test 1.5; bottom left: pipe during test 1.4; bottom right: pipe during dismantling test 1.6. |
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Fig. 8 Mesures réalisées durant l’essai 1.6 : En haut, évolution du débit total, du niveau amont et de la concentration solide de l’effluent d’après les mesures de turbidité ; en bas, champ de déformation mesuré par fibre optique sur un plan à +20 cm au-dessus de l’interface gravier/limon. Measurements carried out during test 6: Top: evolution of the total flow, the upstream level and the solid concentration of the exit flow from turbidity measurement; bottom: deformation field measured by optical fiber on a plane located at +20 cm above the gravel/silt interface. |
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Fig. 9 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2012. Sketch of the experimental set-up used for the 2012 campaign. |
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Fig. 10 Mesures lors de l’essai 2.2. À gauche : mise en charge de la recharge déduite des mesures de pressions interstitielles par capteur autonome. À droite : champ de déformation déduit des mesures par fibre optique à 20 cm au-dessus de l’interface avec la fondation. L’ellipse rouge indique la localisation du conduit. L’axe X est dans le sens de l’écoulement principal, l’axe Y est transversal et l’axe Z correspond à l’altitude. Measurements during the test 2.2. Left: hydraulic loading of the shell deduced from measurements of pore pressures by autonomous sensors. Right: deformation field deduced from optical fiber measurements over the interface with the foundation. The red ellipse indicate the pipe location. The X axis is in the main flow direction, the Y axis is transverse, and the Z axis is elevation. |
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Fig. 11 Observations durant la campagne d’essai. À gauche : essai 2.1 vu depuis l’aval en fin d’essai. À droite : ravinement durant l’essai 2.3. Observations during the test campaign. Left: test 2.1 seen from downstream at the end of the test. Right: gully formation during the test 2.3. |
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Fig. 12 Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la campagne 2013–2014 sur la stabilité de la recharge. Sketch of the experimental device used for the 2013–2014 campaign on the stability of the downstream shoulder. |
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Fig. 13 Observations durant la campagne d’essai. En haut : propagation d’une érosion régressive/de ravinement lors de l’essai 3.1 ; en bas à gauche : glissement, fissuration, résurgence et ravinement lors de l’essai 3.3 ; en bas à droite fluidisation et débourrage de la recharge lors de l’essai 3.4. Observations during the test campaign. Above: regressive erosion/gullying in test 3.1; bottom left: sliding, crack, leakage and gullying in test 3.3; bottom right: blow up of the shell toe during the test 3.4. |
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Fig. 14 Ecoulement modélisé pour l’essai 3.4 à 1,15 m de charge hydraulique. Les codes couleur correspondent aux charges hydrauliques (mCE), les flèches rouges aux vitesses d’écoulement. Modeled flow for test 3.4 at 1.15 m level of hydraulic head. The color code corresponds to the hydraulic head values (mCE), the red arrows to the flow velocities. |
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Fig. 15 Confrontation du critère analytique de débit critique de débourrage par fluidisation (percement par un écoulement concentré) aux résultats expérimentaux de la littérature et aux résultats des essais sur le modèle physique CNR avec claquage (points verts). Confrontation of the analytical criterion of the critical flow rate for blow out with the experimental results of the literature and the results of the tests on the CNR physical model with blow-out (green symbols). |
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Fig. 16 Critère de perte de charge critique au débourrage par fluidisation en fonction de la hauteur de recharge pour différents diamètres d’injection à la base : comparaison du critère analytique avec les résultats des essais sur modèle physique à la CNR. Criterion of critical hydraulic head for blow out in function of the height of the shell for various injection diameter: comparison of the analytical criterion with the tests on the CNR physical model. |
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