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Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 169, 2021
Hommage à Pierre Habib et Pierre Duffaut
Numéro d'article 5
Nombre de pages 14
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2021028
Publié en ligne 15 octobre 2021

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2021

1 Introduction

Les recommandations pour la conception, le calcul, l’exécution et le contrôle des Tirants d’ancrage (1re édition en 1972) ont traversé le temps et les six éditions successives ont amélioré et mis à jour les textes en s’appuyant notamment sur les retours d’expérience des praticiens, ceci jusqu’à la toute dernière édition parue en 2020. Cependant, la philosophie générale de ces recommandations n’a pas changé de manière fondamentale et les contributions très importantes de Pierre Habib aux premières éditions restent d’actualité (Habib et al., 1986).

En effet, Pierre Habib s’est beaucoup impliqué dans l’élaboration des éditions TA86 et TA92, notamment en tant que président des groupes de travail qui se sont constitués pour la rédaction de ces recommandations. Il a su, par son charisme technique et une approche pragmatique, faire la promotion des tirants d’ancrage pour « qu’ils demeurent un dispositif compétitif et sûr ».

Il note en 1986 que les tirants d’ancrage constituent « une solution élégante » pour assurer la stabilité de grandes fouilles ou de radiers soumis à de fortes pressions hydrostatiques, lorsque les efforts sont très importants.

Il relève aussi, lors de la parution du TA86, après une vingtaine d’années de pratique par les entreprises spécialisées, que les pathologies restent tout de même modérées. Il indique que « les premières versions des recommandations (TA72 & TA77) y sont sans doute pour quelque chose » et que tous les acteurs de la construction, ont finalement « conscience que la fonction qu’on demande de remplir aux tirants d’ancrage doit être assurée avec une grande sûreté ».

Au sein des groupes de travail, il a apporté toute son expertise éclairée pour que les recommandations soient parfaitement ajustées sur les objectifs de performance recherchés, tout en prenant en considération le caractère évolutif des technologies. Enfin, il soulignait à chaque instant toute la richesse d’un travail collectif en remerciant vivement tous les membres des groupes de travail.

L’originalité de ces textes peut être soulignée par le fait que l’on s’intéresse, dès les premières éditions, à la totalité du cycle de vie des Tirants d’Ancrage, depuis la conception, jusqu’au suivi à long terme pendant toute la durée de service des ouvrages concernés.

Cet article retrace une expérience particulière de grands projets complexes dont la conception géotechnique s’est largement appuyée sur la technologie des tirants d’ancrage précontraints avec une application rigoureuse des éditions successives des recommandations évoquées ci-avant.

Dans les exemples cités, on s’attarde sur la conception générale mais aussi sur les grands principes des contrôles d’exécution qui sont essentiels pour gérer les risques et garantir la pérennité des ouvrages géotechniques. Enfin on présente des exemples de suivi à long terme de ces ouvrages, les mesures de suivi constituant un REX précieux pour la conception et le suivi de nouveaux ouvrages du même type.

2 Utilisation des tirants d’ancrage dans la conception de grands ouvrages

Le présent chapitre expose quelques exemples de grands ouvrages pour lesquels la conception géotechnique générale intègre l’utilisation de tirants d’ancrage précontraints dans les sols (Fig. 1).

Pour les dernières décennies, les exemples sont très nombreux et on se limitera dans cet article aux typologies suivantes :

  • murs de soutènement dans les versants en limite d’équilibre ;

  • confortement de glissement de terrain ;

  • renforcement de fondations de viaducs ;

  • renforcement de barrages par tirants verticaux ;

  • ancrage dans le sol de câbles porteurs pour structures suspendues.

Pour chacun des cas présentés, on expose succinctement le contexte géologique et géotechnique, la démarche générale de conception et les méthodes utilisées. On évoque la conception générale de l’ouvrage géotechnique et la conception du tirant lui-même.

Il existe bien sûr d’autres applications des tirants précontraints en situation provisoire (phases travaux) ou définitive comme les écrans verticaux de soutènement du type parois moulées ou la stabilisation de radiers soumis à des sous-pressions hydrostatiques par exemple.

thumbnail Fig. 1

Coupe type tirant.

Ground anchor cross section.

2.1 Murs de soutènement dans les versants en limite d’équilibre.

2.1.1 Contexte général

Les REX concernent les murs de soutènement construits pour les autoroutes alpines entre 1986 et 2008, totalisant plus de 50 000 m2 de murs ancrés et plus de 5000 tirants d’ancrage précontraints.

Les versants traversés sont souvent très raides avec une pente transversale corrélée avec les caractéristiques de cisaillement des sols (pentes proches de l’équilibre limite).

Les contextes géotechniques sont variés et les sols meubles sont représentés par :

  • des éboulis de pente avec une matrice sableuse à silto-argileuse ;

  • des dépôts fluvioglaciaires silteux, sableux ou sablo-graveleux ;

  • des moraines plus ou moins argileuses.

Du point de vue hydrogéologique, on relève l’existence de nappes perchées isolées et des circulations hydrauliques diffuses.

2.1.2 Contexte géotechnique et conception générale

Dans la suite de ce chapitre, on expose plus particulièrement les ouvrages de soutènement de l’autoroute A40 qui sont les plus anciens (près de 35 ans) et qui représentent plus de la moitié des tirants réalisés pour les autoroutes alpines.

La cluse de Nantua empruntée par le tracé de l’autoroute A40 est caractéristique des cluses du Jura avec une vallée très étroite, surmontée par des versants raides lesquels sont dominés par des falaises. Le manque d’espace en fond de vallée a nécessité une implantation de l’autoroute dans les versants.

Ces versants ont souvent une inclinaison variable liée à la nature du sous-sol :

  • fortes pentes, supérieures à 40°, avec la présence du rocher sous une faible couverture ;

  • pentes de 30° à 40°, généralement des éboulis calcaires ; ces terrains forment de grandes masses qui intéressent le tracé sur plus de 10 km ;

  • des pentes plus douces, 20° à 25° pour les dépôts glaciaires ;

  • des pentes plus faibles, de 10° à 15° dans les combes argileuses, pouvant être le siège de glissements de terrains malgré la faible pente.

Il apparaît donc que la pente des versants, qui dépend des caractéristiques mécaniques des sols, est souvent proche de l’équilibre limite. La conception du projet a donc dû prendre en considération les conditions imposées par la stabilité des pentes.

La problématique de conception était donc :

  • de s’assurer de la stabilité naturelle des versants et des falaises dominantes ;

  • d’évaluer la stabilité à long terme sous l’effet de la construction de l’infrastructure et d’adapter le projet en conséquence ;

  • de concevoir des ouvrages permettant de garantir une stabilité, au moins dans la zone d’influence de l’autoroute, sensiblement supérieure à la stabilité initiale du versant.

Dans le secteur de la Cluse de Nantua, les études technico-économiques détaillées ont conduit à deux grands types de solutions :

  • si la pente transversale est supérieure à 35°, l’autoroute est projetée en double viaduc à flanc de versant (cf. Sect. 2.3). Il ne s’agit pas de ponts habituels destinés à franchir des brèches, mais d’ouvrages qui suivent les courbes de niveau au-dessus du sol pour éviter tout terrassement ;

  • si la pente est inférieure à 35°, le projet est réalisé en mode terrassement en essayant de s’adapter au mieux au terrain naturel, c’est-à-dire avec des chaussées décalées et dénivelées en cherchant à diminuer au maximum la hauteur des soutènements et en cherchant à équilibrer au mieux les masses de déblais/remblais sur un même profil en travers (cf. Fig. 2). L’équilibre du versant est ainsi modifié au minimum. Les murs de remblai sont des murs en sol renforcé du type Terre Armée et les murs de déblais sont des murs ancrés ou des murs cloués. La stabilité générale dans la zone d’influence des ouvrages est renforcée par les tirants d’ancrages des murs ancrés.

Sur ce projet, l’analyse détaillée de la stabilité générale des versants fut primordiale, ceux-ci étant très souvent dans un état d’équilibre limite, par leur mode de formation.

En effet, les éboulis proviennent de l’altération du substratum rocheux (calcaires ou marnes) notamment des falaises dominantes qui se sont écroulées successivement au cours des âges géologiques. Ils sont formés de débris à blocs calcaires de différentes dimensions pouvant aller jusqu’à 1 m3 avec, ou non, une matrice plus ou moins silteuse.

Dans cette zone, les études ont permis de distinguer trois classes principales pouvant former des couches plus ou moins parallèles à la pente générale du versant :

  • éboulis à gros blocs ;

  • éboulis à matrice silteuse ou argileuse ;

  • éboulis classés que l’on nomme aérés ; ils sont formés presque exclusivement de grains grossiers (cf. Fig. 3).

Des dépôts glaciaires sont généralement rencontrés en faible épaisseur au toit du substratum rocheux.

Pour déterminer les caractéristiques mécaniques de tels sols, il a été fait appel assez largement à des corrélations issues de plusieurs type d’essais, soit sur échantillons remaniés, soit en faisant appel pour une large part aux essais in situ. On peut aussi citer la réalisation d’essais in situ à la boîte de cisaillement (diamètre 600 mm) et de nombreux calculs de stabilité inverse.

thumbnail Fig. 2

Pente inférieure à 35° : solution murs de soutènement.

Slope less than 35°: retaining walls.

thumbnail Fig. 3

Vue éboulis.

View of debris.

2.1.3 Conception détaillée des murs ancrés

Comme indiqué, les tirants d’ancrage doivent assurer la stabilité générale du versant. Des études paramétriques ont conduit les concepteurs à considérer des surfaces potentielles de rupture délimitées, à l’amont et à l’aval des ouvrages de soutènement, par une distance horizontale de 3 fois la hauteur de ce soutènement. Cette valeur résulte également de l’analyse d’un grand nombre de glissements de terrains, dans des conditions géotechniques similaires (cf. Fig. 4).

Tous les tirants de ce projet sont réalisés en forage tubé, au marteau fond de trou et injection de scellement par tube métallique à manchettes. Ils sont de type P, selon la dénomination du TA2020 (Volcke, 2020).

Les longueurs totales moyennes sont variables, de 25 à 35 m. Les longueurs de scellement déterminées par une cinquantaine de tirants d’essais sont de l’ordre de 5 à 7 m, pour des tensions de service de 500 à 900 kN.

Le suivi des ouvrages est assuré par des cales dynamométriques mesurant les tensions des tirants (8 à 10 % des tirants sont équipés), par des mesures par tubes inclinométriques pour vérifier la stabilité des versants et des mesures topographiques de précision (Fig. 5).

Tous les contrôles de ces travaux ont été réalisés en suivant scrupuleusement les recommandations du TA77, puis celles du TA86 dont l’établissement a été supervisé par Pierre Habib, notamment pour ce qui concerne les essais de traction et la protection contre la corrosion.

thumbnail Fig. 4

Zone d’influence de l’ouvrage prise en compte dans le renforcement de la stabilité.

Influence zone of structure taken into account in the strengthening of stability.

thumbnail Fig. 5

Murs de soutènement ancré.

View of retaining walls.

2.2 Confortement de glissement de terrain

2.2.1 Contexte général

À proximité d’Oyonnax, sur l’autoroute A404, le versant ouest présente localement (déblai D23) une instabilité mise à jour lors de la construction. Il a été constaté que cette zone était le siège d’un glissement très ancien dont les traces sont repérables géologiquement. Celui-ci s’est trouvé réactivé lors des terrassements de l’autoroute suite à l’élimination des terrains qui assuraient la butée de pied. Les mesures d’urgence prises lors des travaux, notamment la construction d’un masque poids, n’ont pas permis de stabiliser totalement la zone, comme l’a montré le suivi continu réalisé pendant plusieurs années dans le cadre d’un plan de surveillance renforcé (inclinométrie, topographie, piézométrie). Ainsi, la bonne connaissance du phénomène et l’évaluation de son évolution probable ont conduit à envisager un confortement définitif du site pour protéger l’autoroute. Il convenait aussi d’empêcher une régression du glissement vers l’amont.

Cet exemple présenté trouve son originalité par la mise en œuvre de la méthode observationnelle intégrant deux phases de renforcements par tirants d’ancrages associés à un drainage par drains subhorizontaux.

2.2.2 Contexte géologique et modélisation géotechnique

Le glissement évoqué ci-avant concerne un versant où le substratum rocheux est subaffleurant, dont la pente naturelle est de l’ordre de 15°, entaillé en pied par le déblai de l’autoroute A404. Les désordres observés par l’instrumentation couvrent une surface de 2 hectares environ.

Le massif rocheux est constitué de bancs calcaires de l’Hauterivien, relativement compacts mais assez contrastés.

Entre ces bancs calcaires, des niveaux marneux s’intercalent. Ils sont générateurs d’instabilités. En effet, après un évènement pluvieux significatif, l’eau percole dans les diaclases des bancs calcaires qui tendent à se concentrer au niveau des plans marneux supérieurs imperméables (cf. Fig. 6). Ce contexte hydrogéologique particulier est essentiel dans l’explication du phénomène de glissement. En effet, il permet de démontrer la génération de pressions dans les fissures verticales des formations calcaires provoquant ainsi des déplacements. Ces déplacements génèrent alors une ouverture des fissures et donc une diminution des pressions d’eau et en corollaire un ralentissement des mouvements du versant. On observe ainsi des mouvements par « saccades » à la faveur des fortes pluviométries, notamment au printemps, alternés avec des périodes de relative stabilité.

thumbnail Fig. 6

Schéma de rupture.

Failure diagram.

2.2.3 Le projet de confortement

Compte tenu de l’évolution du glissement observée, les déplacements cumulés enregistrés sur quelques années atteignant 150 à 200 mm, des travaux de confortement s’imposaient. Il a été décidé la mise en œuvre de mesures de confortement progressives, basées sur les résultats de l’observation (Allagnat, 2005).

La modélisation géotechnique et hydrogéologique du glissement a été réalisée sur la base d’analyses de stabilité « rétrogrades » en considérant le versant en état d’équilibre limite. La méthode de calcul à la rupture choisie est la méthode dite des « perturbations ».

Les caractéristiques physiques prises en compte sont celles de matériaux rocheux plus ou moins compacts avec un poids volumique moyen de 24 kN/m3. Le champ de pression régnant dans les fissures a été évalué en se référant aux mesures piézométriques relevées en continu sur le site et en déterminant le fonctionnement le plus probable du réseau de drainage.

Selon les configurations géométriques (profils en travers, géométrie du modèle de rupture…) les pressions générées dans les fissures d’extension à l’amont sont variables avec une valeur maximale de 90 kPa. L’angle de frottement résiduel, obtenu par les calculs rétrogrades, est de l’ordre de phi = 12° à 14° selon les différents modèles de rupture envisagés. Avec ces hypothèses, l’amélioration de sécurité recherchée correspond à une augmentation fixée à 20 % environ du coefficient global de sécurité.

Une étude technico-économique relativement détaillée a été entreprise pour examiner plusieurs solutions de confortement (drainage, terrassement, confortement par clouage ou tirants d’ancrage…), selon les critères principaux suivants : maîtrise des déplacements, coût, fiabilité à long terme, maintenance et gêne à l’exploitation de l’autoroute pendant les travaux.

En définitive il a été retenu les principes suivants :

  • drainage préalable dans la partie amont du glissement et observation sur une durée d’une année environ ;

  • travaux de confortement selon deux solutions :

    • drainage complémentaire + confortement par deux poutres ancrées ;

    • drainage complémentaire + confortement par poutres ancrées de longueur réduite + substitution des terrains servant de butée de pied par des matériaux frottants.

Les travaux ont été lancés, selon la solution no1 avec un phasage qui porte sur le nombre de tirants effectivement mis en œuvre (cf. Fig. 7). La tranche ferme des travaux représente 55 % du nombre total des tirants. En revanche, les poutres ancrées sont dimensionnées et réalisées pour l’éventualité d’un complément de renforcement avec 100 % des tirants d’ancrage. Ces compléments pouvant ne pas être engagés en fonction de l’efficacité réelle mesurée du drainage par drains subhorizontaux.

thumbnail Fig. 7

Travaux de drainage et confortement.

Drainage and consolidation works.

2.2.4 Le suivi de la réalisation des travaux

Les travaux ont donc consisté en :

  • des drains subhorizontaux de longueur 25 à 30 m, forés à l’amont du glissement et à partir des deux plateformes réalisées pour la construction des poutres ancrées ;

  • des tirants d’ancrage précontraints de tension de service variable de 1050 à 1350 kN, de longueur totale 25 à 40 m et avec des longueurs de scellement de 6 à 7 m. La première phase des travaux représente 116 tirants d’ancrage les poutres en béton armé étant réalisées pour accueillir la totalité des 212 tirants.

Un suivi très détaillé a été réalisé pendant les travaux avec une instrumentation conçue à la fois pour le suivi de la construction mais aussi pour le suivi à long terme (cf. Fig. 8 et 9).

Ces mesures ont montré assez rapidement l’efficacité des mesures de drainage par une diminution généralisée des niveaux piézométriques malgré des conditions pluviométriques très défavorables et on a pu observer une stabilisation des mouvements lors de la mise en tension des tirants.

Ces constats ont été confirmés par le suivi à long terme et les travaux de seconde phase (tirants complémentaires) n’ont finalement pas été nécessaires (cf. Fig. 10).

thumbnail Fig. 8

Principe instrumentation.

Schematic diagram of monitoring.

thumbnail Fig. 9

Influence des travaux de confortement sur les déformations mesurées par inclinométrie.

Influence of consolidation work on the displacement measured by inclinometry.

thumbnail Fig. 10

Vue générale des travaux.

General view of works.

2.3 Renforcement de fondations de Viaducs

Les viaducs de Neyrolles et Sylans, dont les principes de fondations sont présentés ci-après, ont été construits entre 1984 et 1988 (Guerpillon et al., 1987). Le viaduc des Neyrolles est constitué de deux tabliers de longueur 780 m. Le viaduc de Sylans est également constitué de deux tabliers, avec une longueur 1270 m.

2.3.1 Cadre géologique et géotechnique

2.3.1.1 Structure géologique générale

Le cadre géologique est complexe dans son ensemble mais relativement simple à l’échelle des fondations : il s’agit de dalles de calcaires et marnes crétacées subhorizontales chevauchées par des calcaires jurassiques en bancs verticaux, formant des falaises au-dessus du tracé autoroutier.

L’érosion de cette falaise fortement tectonisée a répandu sur les gradins crétacés un manteau d’éboulis plus ou moins épais (5 à 30 m) qui masque totalement le toit du substratum rocheux (cf. Fig. 11).

thumbnail Fig. 11

Coupe géotechnique.

Geotechnical cross section.

2.3.1.2 Les terrains de couverture

Formés par la désagrégation des falaises surincombantes, ils se répartissent en cinq classes : éboulis à gros blocs, éboulis à matrice silteuse, éboulis à matrice argileuse, éboulis cimentés et éboulis « aérés ». Ces derniers sont les plus critiques vis-à-vis de la stabilité des versants.

2.3.1.3 Les terrains rocheux

Il s’agit de calcaires et de marnes de l’Hauterivien en bancs peu épais (0,20 à 0,30 m) et en alternance, et de calcaires plus massifs du Valanginien supérieur. La stratification est partout proche de l’horizontale.

2.3.1.4 Tectonique fracturation et géomorphologie

Les failles sont très rares (décrochement subverticaux) par contre la diaclasation est très régulière selon les directions N020E et N120E, à pendage subvertical. Ce réseau de discontinuités a une influence primordiale sur le modelé des falaises enterrées sous les éboulis : on a constaté en effet que les promontoires et les reculées du substratum reflétaient fidèlement les directions de diaclasation du massif rocheux.

Le modelé glaciaire a produit enfin un relief à l’inverse de celui causé par les agents météoriques : falaises raides dans les marnes et replats structuraux dans les calcaires.

2.3.1.5 Hydrogéologie

Il n’existe pas de nappe dans ces versants, mais seulement quelques nappes perchées isolées et des écoulements à l’interface éboulis/rocher.

2.3.1.6 Éléments géotechniques

De nombreuses campagnes de reconnaissances par puits à la pelle, forages destructifs ou carottés, puits d’essai de 2,20 m de diamètre, avec essais de laboratoire et in situ, ont permis de déterminer les caractéristiques géomécaniques des principaux types de terrains.

Éboulis Ø’ C’ kPa E pression MPa Pl–Po MPa Rc MPa γ kN/m3
Éboulis argileux 25° 15
Éboulis silteux 38–42° 0–20 1,4–60 0,2–4 18,5–21
Éboulis aérés 36–38° 3–5 0,7–8 0,2–1,1 14,5–18
Éboulis cimentés 3,5
Éboulis à gros blocs 37–43°

Rocher Rc (MPa) Rt (MPa) E (MPa) Vl m/s γ kN/m3

Calcaires 20–100 2–8 10 000 3800–5600 26–27
Marnes < = 30 2–3 600 1800–4000 24–26

2.3.2 Conception des fondations

2.3.2.1 Choix du type de fondation

Dans les pentes d’éboulis, le substratum rocheux se situe généralement à une profondeur de 5 à 30 m. Compte tenu de la nature de ces terrains, se pose alors le problème des fondations dont l’objectif est d’éviter au maximum les terrassements pour ne pas engager la stabilité générale du versant.

Une analyse comparative de différentes solutions fut entreprise lors des études d’avant-projet.

Les solutions de fondations sur micropieux ou sur semelle renforcée par des tirants d’ancrage précontraints sont a priori intéressantes car elles font participer les terrains de couverture dont les caractéristiques sont élevées dès 5 à 10 m de profondeur. Cependant, il s’avère que ces deux types de fondations nécessitent des confortements complémentaires car les efforts de chargement sont transmis au versant dès les premiers mètres. Dans ces conditions, les fondations associant les terrains de couverture ne sont pas économiques.

Il a donc été retenu une solution simple de fondation constituée par un puits unique de 4,00 à 4,50 m de diamètre descendant les charges jusqu’au substratum avec un encastrement dans ce dernier. Ce type de fondation peut être exécuté par des moyens légers qui perturbent au minimum l’équilibre des pentes.

2.3.2.2 Principes de dimensionnement

Le choix de la méthode de calcul, et surtout celui des sollicitations et réactions du sol autour du puits, a fait l’objet de nombreuses itérations.

En principe, il est possible d’estimer les efforts dans la fondation et les contraintes sur le sol et le substratum rocheux par les méthodes au coefficient de réaction ou par la théorie de « poussée-butée ». La première méthode a été retenue car elle permet de mieux estimer les déplacements de la fondation et en fixer les limites. Le puits de fondation est alors considéré comme un massif rigide dans un sol pseudo-élastique et tournant autour du centre instantané de rotation, le sol opposant une réaction élastique proportionnelle au déplacement. Le calcul de la rotation permet de déterminer les contraintes appliquées au terrain et les efforts dans le puits. Les frottements sur les parois cylindriques latérales et sous la base sont négligés. Cette méthode permet de déterminer la profondeur d’encastrement et la nécessité éventuelle de renforcement en tête de puits par tirants d’ancrage, destinés à diminuer les moments d’encastrements au niveau du substratum rocheux.

2.3.2.2.1 Hypothèses principales

Le principe et les hypothèses de calcul sont présentés sur la figure 12.

Les modules de réaction des terrains ont été évalués à partir des essais pressiométriques Ménard mais aussi par des essais de chargement in situ. La réaction est négligée en partie supérieure du puits.

En ce qui concerne les conditions aux limites en contraintes et déplacement, les concepteurs ont limité la contrainte sous la base à 2,5 MPa, les déplacements en tête du puits à 2 cm et sa rotation à 10−3 rad.

L’application des efforts de renversement en tête de fondation conduit à une augmentation des contraintes à l’aval et une diminution des contraintes à l’amont. Il a donc été pris en compte une poussée amont.

Par ailleurs, la prise en compte des mouvements éventuels du versant dans les éboulis superficiels est modélisée par une poussée d’écoulement. Pour tenir compte de l’incertitude sur l’intensité réelle des poussées développées par un éventuel mouvement de versant, qui conduisent à des efforts très importants, le ferraillage des puits est systématiquement surabondant et des réservations sont prévues pour la mise en place de tirants d’ancrage supplémentaires.

thumbnail Fig. 12

Hypothèses de dimensionnement.

Soil structure interaction hypothesis.

2.3.2.2.2 Appui et encastrement au substratum rocheux

L’encastrement des puits au rocher tient compte de la présence de falaises enterrées à proximité de la base du puits et de la décompression du massif rocheux.

Certaines fondations ont fait l’objet d’essais dilatométriques destinés à vérifier les caractéristiques mécaniques du massif rocheux en mesurant l’influence de la fracturation par plusieurs cycles de chargement.

La stabilité du déblai à l’amont de la plate-forme de travail est assurée, en cas de terrains meubles, par une coque semi-cylindrique en béton armé ancrée par des tirants d’ancrage latéraux.

2.3.2.2.3 Instrumentation

L’application de cette méthode de calcul à l’ensemble des fondations sur puits unique permet de déterminer la profondeur d’encastrement et la présence éventuelle de tirants d’ancrage en tête de fondation, destinés à diminuer les moments d’encastrement appliqués au substratum rocheux, les contraintes sous la base et les déplacements du tablier.

Les tirants additionnels sont mis en place, suivant les zones, dès la construction, ou après avoir détecté les indices de mouvement du versant d’éboulis. Dans le premier cas, les déplacements de la pile vers l’amont ont été mesurés lors de la mise en tension et ils restent très faibles et inférieurs à ceux estimés par le calcul, ce qui tend à montrer le caractère plus rigide de la fondation.

Une auscultation a été mise en place pour vérifier le fonctionnement des fondations sur puits unique et la stabilité du versant d’éboulis (cf. Fig. 13).

Les tirants destinés à assurer la stabilité des soutènements de plate-forme font l’objet d’un contrôle par cales dynamométriques. Il en est de même pour les tirants de tête de puits lorsque ceux-ci sont mis en place dès la construction.

Pour deux puits jugés représentatifs, de conditions aux limites défavorables, leur fonctionnement est vérifié par la mesure des contraintes à l’interface sol-puits et des déformations du béton (respectivement par capteurs de pression totale et extensomètre à cordes vibrantes ou tubes inclinométriques noyés dans la fondation).

D’autre part, la surveillance du versant d’éboulis est assurée, outre par les mesures topographiques de précision, par des mesures inclinométriques destinées à détecter d’éventuels mouvements et par des mesures extensométriques de déformation du versant d’éboulis. La parade à d’éventuels mouvements est la mise en place de tirants additionnels en tête de puits dans les réservations prévues à cet effet.

Trente ans après la mise en service, le suivi de l’instrumentation a démontré la bonne stabilité des fondations sur puits et le bon comportement des tirants d’ancrage précontraints (Fig. 14).

thumbnail Fig. 13

Schéma instrumentation.

Schematic diagram of monitoring.

thumbnail Fig. 14

Travaux de fondations sur puits.

View of foundation works.

2.3.3 Synthèse

En synthèse, le contexte géologique singulier concernant ces deux viaducs exceptionnels de l’autoroute A40 a conduit les concepteurs à imaginer des fondations sûres tout en préservant une relative adaptabilité aux conditions géologique et géotechnique rencontrées lors des travaux. Il a alors été choisi de mettre en œuvre les principes d’une conception interactive bien adaptée à la topographie complexe du toit du substratum rocheux et à sa fracturation. En outre, un suivi rigoureux du comportement des fondations a permis de confirmer la fiabilité des solutions mises en œuvre, avec la possibilité de renforcer le système de fondation par des tirants d’ancrage additionnels.

La réalisation des tirants d’ancrage s’est appuyée de manière rigoureuse sur les recommandations TA86, dont Pierre Habib a assuré la supervision. Pour le suivi à long terme, on peut noter que les concepteurs ont choisi d’aller au-delà de ces recommandations, avec la mise en œuvre d’un plan de surveillance renforcé (Fig. 15).

thumbnail Fig. 15

Viaduc de Sylans.

General view of Sylans viaduct.

2.4 Renfoncement de barrages par tirants verticaux

Les exemples présentés dans ce chapitre sont tirés de la littérature disponible, notamment celle de SIF.GROUTBOR, filiale Suisse de SOLETANCHE BACHY, concernant le renforcement de 3 barrages en Suisse (La Maigraude, l’Illsee et l’Hongrin). Les conditions spécifiques de chacun de ces ouvrages ne sont volontairement pas détaillées ici, mais on tente d’en tirer une synthèse des spécificités communes à de tels ouvrages (Hanna, 1982 ; Widmann et Schwarz, 1995 ; Viret et al., 2003).

2.4.1 Contexte général

En général, les études détaillées du comportement de ces barrages ont conduit à projeter des travaux de confortement soit pour prendre en compte les évolutions de la réglementation sismique, soit pour répondre à une évolution défavorable de la fondation (circulations hydrauliques et évolutions défavorables des terrains d’assise).

Dans ces deux cas, le recours à des tirants d’ancrage verticaux précontraints a été privilégié. À ces travaux de renforcement de la stabilité des barrages, sont le plus souvent associées des injections dans le massif de fondation pour limiter les circulations hydrauliques et améliorer les caractéristiques mécaniques des sols de fondations.

Les spécificités de tels projets de renforcement sont principalement :

  • le recours à des efforts verticaux dans les tirants d’ancrage, très supérieurs à la moyenne,

  • les longueurs de forages verticaux très importantes ;

  • des tolérances géométriques contraignantes ;

  • les conditions de réalisation difficiles (forages traversant la structure du barrage, travaux en altitude, …) (Fig. 16).

thumbnail Fig. 16

Vue barrage de l’Illee (Suisse).

General view of Illee dam (Switzerland).

2.4.2 Conception des renforcements par tirants d’ancrage

Pour les exemples précités, la conception détaillée des tirants d’ancrage se base sur des investigations géologiques et géotechniques spécifiques :

  • forage carotté en gros diamètre sur des profondeurs supérieures à la longueur des tirants ;

  • essais d’eau (Lugeon et Lefranc) dans les bétons du barrage et dans les terrains de fondation ;

  • mesure de la déviation des forages ;

  • essais de laboratoire du type mécanique des roches.

D’autre part, des tirants d’essais (3 à 4 unités) sont systématiquement réalisés, avec des essais de fluage.

Les tirants admettent des longueurs totales de 40 à 50 m et des capacités en service variables de 2250 à 3960 kN par unité.

Les longueurs de scellement sont de l’ordre de 10 m en moyenne. Concernant la protection contre la corrosion, les armatures (torons d’acier) des tirants sont isolées sur toute leur longueur par une gaine continue en PEHD, lisse sur la longueur libre et annelée sur la longueur de scellement.

2.4.3 Spécificités pour la réalisation et les contrôles

La pérennité des travaux de confortement repose pour une grande part, sur les performances et la qualité d’exécution des scellements des tirants d’ancrage. Ainsi, un pré-forage permet la réalisation, si nécessaire, d’une pré-injection au coulis de ciment avant la réalisation du scellement.

D’autre part, les tolérances de verticalité des forages sont relativement sévères (inférieures à 1 %).

La normalisation suisse impose un contrôle de l’isolation électrique de l’armature permettant de vérifier la continuité de celle-ci et donc une bonne protection contre la corrosion. Un contrôle systématique est réalisé en fin de travaux sur tous les tirants après leur mise en tension.

Les contrôles à long terme reposent à la fois sur le bon comportement des tirants d’ancrage dans le temps (suivi continu des efforts de précontrainte et de la résistivité électrique) et d’autre part, sur les mesures des déformations de l’ouvrage (mesures topographiques de précision, clinométrie, pressions interstitielles dans la fondation…) (Fig. 17).

thumbnail Fig. 17

Équipement des tirants verticaux par hélicoptère.

Tie anchor equipment.

2.5 Ancrage au sol de câbles porteurs pour structures suspendues

Ce chapitre évoque les fondations du viaduc suspendu de Chavanon avec notamment l’ancrage dans le sol des câbles de suspente. Du point de vue structurel, il s’agit d’un pont mixte à double suspension axiale, de 360 m de portée. Le tablier d’une largeur de 22 m culmine à environ 700 m d’altitude, soit 100 m au-dessus de la rivière Chavanon qu’il franchit. Les pylônes situés sur chaque rive présentent une hauteur de 70 m environ (cf. Fig. 18).

thumbnail Fig. 18

Coupe en long du viaduc.

Longitudinal section of viaduct.

2.5.1 Contexte géologique

Du point de vue géologique, le viaduc du Chavanon est construit sur le socle géologique constitué par une formation de migmatites à tendance gneissique à biotite et sillimanite appelée « migmatites du Chavanon ». Les reconnaissances géotechniques par sondages ont montré une variabilité importante de l’épaisseur de la couverture d’altération (de quelques mètres à 7–8 m).

L’analyse géologique structurale est relativement complexe avec une dissymétrie marquée entre le versant Est (Puy-de-Dôme) et le versant Ouest (Corrèze) et une répartition très hétérogène du degré de fracturation et de répartition des fissures ou fractures.

2.5.2 Contexte des fondations

Les pylônes supportant le câble de suspente, situés sur chaque rive, sont fondés assez classiquement sur des puits de diamètre 8,50 m peu profonds (4 à 8 m en fonction des caractéristiques mécaniques des terrains rocheux).

La problématique principale réside dans l’ancrage du câble de suspente et des efforts considérables à reprendre (de l’ordre de 125 MN). Cette fonction d’ancrage est réalisée par l’intermédiaire de chambres d’ancrage qui sont excavées dans le rocher à environ 60 m en arrière des culées du viaduc. Elles présentent une géométrie très exiguë de 5,60 m de largeur, pour 20 m de profondeur et 25 m de longueur en tête.

Ces chambres d’ancrage comportent une poutre curviligne en béton armé, de 2 m d’épaisseur, dans laquelle viennent s’appuyer à la fois les tirants d’ancrage (côté amont) et les barres de connexion au câble porteur du pont suspendu (côté aval) (Fig. 19).

Chaque chambre d’ancrage comporte 43 tirants 19T15S de 25 à 30 m de longueur avec une longueur de scellement de 10 m. Chaque tirant admet une tension de service de 2850 kN.

Le dimensionnement de la capacité d’ancrage du câble de suspente par des tirants d’ancrage précontraints porte sur deux points essentiels :

  • la capacité des scellements à reprendre les efforts de précontrainte appliqués, avec notamment la vérification de l’absence de fluage, en tenant compte de l’entraxe relativement réduit entre les zones de scellement des tirants ;

  • stabilité globale et déformations limitées du « bloc rocheux » dans lequel sont scellés les tirants.

Pour le premier point, des reconnaissances géologique et géotechniques profondes (avec notamment des essais Lugeon et essais dilatométriques réalisées dans des sondages carottés) ont été réalisées afin de s’assurer de la capacité du rocher pour les scellements en recherchant les formations de migmatites compactes et peu fracturées.

Pour le second point, une analyse structurale détaillée a permis d’évaluer les dimensions et les caractéristiques du « bloc rocheux » sollicité par les scellements des tirants et vérifier ainsi la sécurité par rapport à une rupture potentielle globale. Les tirants sont aussi disposés en éventails, avec des longueurs alternées, pour éviter une trop grande proximité des zones de scellement et mobiliser un « bloc rocheux » de plus grande taille (Fig. 19).

thumbnail Fig. 19

Vue d’une chambre d’ancrage.

View of anchoring chamber.

2.5.3 La réalisation et le suivi des tirants d’ancrage.

Tout d’abord, la longueur de scellement a été évaluée à partir d’essais préalables réalisés avec des tirants scellés dans des formations rocheuses semblables, avec des profondeurs et des inclinaisons équivalentes. Deux tirants d’essais ont été réalisés sur chaque culée.

Ces essais ont fait l’objet de paliers de fluage longs (72 h) pour garantir l’absence de risque de fluage et donc la pérennité du système d’ancrage du câble de suspente.

Les forages ont fait l’objet d’essais spécifiques tels que des essais Lugeon et des diagraphies + endoscopies pour un tirant sur cinq. Les investigations complémentaires réalisés en cours de travaux ont permis d’adapter la procédure de scellement des tirants.

Chaque culée comportant 43 ancrages est équipée de 6 capteurs dynamométriques pour assurer le suivi des efforts de précontrainte pendant la durée de service de l’ouvrage. En outre, les têtes d’ancrage sont toutes filetées, permettant ainsi un contrôle périodique de l’effort par pesage au vérin hydraulique (Fig. 20).

thumbnail Fig. 20

Viaduc de Chavanon.

General view of Chavanon viaduct.

3 Contrôles d’exécution

Ce chapitre expose le REX sur l’exécution des tirants d’ancrage précontraints dans une gamme d’ouvrages finalement assez variée, sachant que ceux-ci concernent des ouvrages définitifs avec en corollaire un niveau de garantie très exigeant.

Les contrôles d’exécution réalisés pour tous ces ouvrages sont présentés ci-après selon l’ordre de réalisation des différentes opérations.

3.1 Contrôle des forages

Chaque forage fait l’objet d’un relevé consigné dans un rapport de forage en notant en particulier :

  • des indications sur la nature et les propriétés des terrains rencontrés (couleur des cuttings par exemple) ;

  • les arrivées d’eau éventuelles,

  • les vitesses d’avancement et les incidents éventuels de forage ;

  • le mode de soutènement du forage et dans le cas de pré-injection, les quantités mises en œuvre.

Dans certains cas, notamment pour les tirants de forte capacité (barrage, ponts suspendus…) les rapports de forage intègrent également les essais spécifiques réalisés en forage (trajectoire, diagraphies, essais Lugeon…).

Les forages des tirants ne peuvent remplacer des sondages reconnaissances mais ils constituent, par leur nombre important, une source précieuse d’informations géologiques et géotechniques.

3.2 Contrôle des opérations de scellement

De la même manière que pour les opérations de forages, chaque tirant fait l’objet d’un rapport de scellement qui consigne :

  • la méthode d’injection utilisée,

  • le nombre et l’ordre des différentes passes d’injection réalisées ;

  • les consommations unitaires par passe et les pressions de mise en œuvre.

En général, les pressions et les volumes font l’objet d’enregistrement automatique facilitant le suivi et l’analyse des données en temps réel. Ces enregistrements permettent de détecter des éventuelles anomalies du scellement liées, par exemple, à des contrastes importants de perméabilité au coulis des terrains.

3.3 Contrôle de la mise en tension

Le contrôle rigoureux de la mise en tension de chaque tirant est essentiel pour assurer la garantie du bon fonctionnement à long terme de l’ouvrage. En effet, chaque tirant est soumis à une épreuve avec une tension largement supérieure à la tension de service ce qui permet finalement de tester chaque tirant de l’ouvrage.

Toutes les mises en tension ont fait l’objet d’un rapport qui regroupe en général :

  • le programme de mise en tension (ordre, épreuve, tension de blocage, allongement théorique, …) ;

  • mesure de déplacement du scellement ;

  • mesure des tassements des structures d’appui ;

  • détermination de la longueur libre apparente.

3.4 Suivi géotechnique des travaux

Outre le suivi des opérations de forage, d’injection de scellement et de mise en tension, les travaux ont fait l’objet d’un suivi géotechnique très détaillé de la part des géotechniciens de la maîtrise d’œuvre. Ce suivi s’apparente à une mission du type G4, mise en œuvre avant même que celle-ci soit définie par la norme NFP 94500.

Il s’agissait de suivre les travaux avec une présence quasi permanente pour s’assurer que les observations géologiques et géotechniques corroborent bien les hypothèses prises en compte lors de la conception des ouvrages.

Les nombreux forages réalisés pour de tels ouvrages, même s’ils n’ont pas la même précision que les sondages d’investigations délivrent des informations très nombreuses et souvent très pertinentes pour adapter les travaux si nécessaire.

4 Suivi à long terme

Le suivi à long terme de ces ouvrages géotechniques complexes est primordial pour s’assurer de leur bon comportement pendant toute leur durée de service (90 ans pour certains d’entre eux).

En effet, il est nécessaire de s’assurer de la permanence de l’effort appliqué lors de la construction. Les principaux risques identifiés pour les ouvrages présentés sont :

  • perte de tension liée au fluage d’un scellement ou à la consolidation des sols d’appui de la structure ancrée ;

  • augmentation de la tension provoquée par un déplacement de la structure, comme par exemple le déplacement vers l’aval d’un mur ancré ;

  • corrosion des matériaux constituant le tirant avec rupture de fils d’acier constituant les torons sous tension ;

  • corrosion de la tête de l’ancrage et de son dispositif de blocage.

À noter que les risques précités peuvent être largement limités par des précautions d’exécution des travaux telles que :

  • tirants d’essai au début des travaux pour évaluer le risque de fluage ;

  • différer le blocage définitif des tirants pour « consommer » la totalité du tassement des structures d’appui avant la mise en service ;

  • recourir systématiquement à une double protection de l’armature et une parfaite protection des têtes d’ancrage pour éviter tout risque de corrosion.

Les ouvrages géotechniques présentés ont tous fait l’objet d’un plan de surveillance à long terme qui fixe le type des mesures à réaliser, leur fréquence, le mode d’analyse et les seuils à vérifier (Egis, 2020).

Ainsi, un plan de surveillance type comprend les mesures de suivi telles que :

  • suivi topographique de précision avec mesure de cibles xyz et nivellement de précision ;

  • suivi piézométrique ;

  • suivi des capteurs dynamométriques ;

  • mesure de l’isolation électrique dans certains cas ;

  • suivi inclinométrique ou clinométrique ;

  • inspections visuelles périodiques notamment des têtes d’ancrage (traces de corrosion, venue d’eau, altération de la protection…).

Pour les murs ancrés, les seuils d’alerte ont été fixés à ± 0,15x tension de blocage. Le suivi sur plus de 30 ans (cf. Fig. 21 et 22) montre une variation de la tension de l’ordre de 6–7 % en moyenne sur les 20 dernières années. À noter qu’après 30 ans seulement, 50 % environ des capteurs dynamométriques sont toujours mesurables. Le suivi des ouvrages ne se trouve pas pour autant altéré car les équipements étaient prévus en surnombre et d’autres moyens de suivi sont encore en place (inclinométrie).

Après plusieurs dizaines d’années de suivi, près de 35 ans pour certains ouvrages, on n’observe pas de pathologie majeure sur les tirants d’ancrage.

Les seules observations concernent de légères traces d’oxydation sur certaines têtes d’ancrage dont l’étanchéité n’a pas été réalisée parfaitement (venues d’eau à l’arrière des têtes).

En termes de suivi, la difficulté majeure est de maintenir les capteurs dynamométriques au-delà de 20–30 ans. Il est donc essentiel de prévoir des dispositions constructives (accès aux têtes d’ancrage, dispositif de reprise sur les têtes) permettant un contrôle de la tension au vérin hydraulique. En outre, il est aussi recommandé de prévoir des alternatives pour s’appuyer sur des mesures de déformations des ouvrages qui permettent le suivi du comportement global à très long terme de ceux-ci (Fig. 23 et 24).

thumbnail Fig. 21

Exemple suivi murs ancrés.

Example of monitoring for retaining walls.

thumbnail Fig. 22

Exemple suivi murs renforcement glissement de terrain.

Example of monitoring for lanslide consolidation.

thumbnail Fig. 23

Exemple suivi de fondations renforcées par tirants d’ancrage.

Example of monitoring for foundation.

thumbnail Fig. 24

Exemple suivi tirants d’ancrage viaduc de Chavanon.

Example of monitoring for ground anchors of Chavanon viaduct.

5 Conclusion

La technologie des tirants d’ancrage précontraints est particulièrement bien adaptée à certaines configurations d’ouvrages géotechniques complexes.

Il apparaît cependant fondamental de bien appréhender les performances des sols (mécaniques pour le scellement, stabilité pour le forage, perméabilité au coulis lors du scellement sous pression) et l’ensemble du processus de réalisation qui est une garantie pour la pérennité.

Les retours d’expérience présentés dans cet article démontrent que la performance intrinsèque et la pérennité des tirants d’ancrage est étroitement liée aux précautions apportées lors de la conception, et la réalisation des travaux, en s’appuyant largement et de manière rigoureuse sur les recommandations TA et en ayant pleine conscience de la nécessité d’appréhender le comportement à très long terme des ouvrages.

Il en ressort que les recommandations TA86, puis TA92, dont la rédaction a été étroitement supervisée par Pierre Habib, se sont avérées très utiles car parfaitement bien adaptées pour garantir la compétitivité, la sûreté et la durabilité des tirants d’ancrage.

Références

  • Allagnat D. 2005. La méthode observationnelle pour le dimensionnement interactif des ouvrages. Paris : Presses des ponts et chaussées. [Google Scholar]
  • Egis. Divers rapports internes sur la surveillance des ouvrages des autoroutes APRR et ASF. [Google Scholar]
  • Guerpillon Y, Allagnat D, Hector J. Les fondations des viaducs de l’autoroute A40 Macon-Genève dans les versants d’éboulis de pente en limite d’équilibre. In: Colloque Interaction sols-structures ENPC, 5–7 mai, Paris, 1987. [Google Scholar]
  • Hanna T. 1982. Foundations in tension. Germany: Trans Tech Publications. [Google Scholar]
  • Habib P, Logeais L, Blondeau F, et al. 1986. Recommandations TA86 concernant la conception, le calcul, l’exécution et le contrôle des tirants d’ancrage. Paris : Eyrolles. [Google Scholar]
  • Viret R, Gicot O, Lazaro P, Amberg F. 2003. Confortement du barrage de la Maigraude. In: 21e Congrès des Grands barrages, Montréal. [Google Scholar]
  • Volcke JP. 2020. Tirants d’ancrage TA2020 Règles professionnelles relatives à la conception, au calcul, à l’exécution, au contrôle et à la surveillance. Les Ulis : EDP Sciences. [Google Scholar]
  • Widmann R, Schwarz H. 1995. Anchors in theory and practice. Rotterdam: A.A. Balkema, pp. 211–220. [Google Scholar]

Citation de l’article : Dominique Allagnat. REX en conception, contrôle d’exécution et suivi à long terme de tirants d’ancrages précontraints. Rev. Fr. Geotech. 2021, 169, 5.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Coupe type tirant.

Ground anchor cross section.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Pente inférieure à 35° : solution murs de soutènement.

Slope less than 35°: retaining walls.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Vue éboulis.

View of debris.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Zone d’influence de l’ouvrage prise en compte dans le renforcement de la stabilité.

Influence zone of structure taken into account in the strengthening of stability.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Murs de soutènement ancré.

View of retaining walls.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Schéma de rupture.

Failure diagram.

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Travaux de drainage et confortement.

Drainage and consolidation works.

Dans le texte
thumbnail Fig. 8

Principe instrumentation.

Schematic diagram of monitoring.

Dans le texte
thumbnail Fig. 9

Influence des travaux de confortement sur les déformations mesurées par inclinométrie.

Influence of consolidation work on the displacement measured by inclinometry.

Dans le texte
thumbnail Fig. 10

Vue générale des travaux.

General view of works.

Dans le texte
thumbnail Fig. 11

Coupe géotechnique.

Geotechnical cross section.

Dans le texte
thumbnail Fig. 12

Hypothèses de dimensionnement.

Soil structure interaction hypothesis.

Dans le texte
thumbnail Fig. 13

Schéma instrumentation.

Schematic diagram of monitoring.

Dans le texte
thumbnail Fig. 14

Travaux de fondations sur puits.

View of foundation works.

Dans le texte
thumbnail Fig. 15

Viaduc de Sylans.

General view of Sylans viaduct.

Dans le texte
thumbnail Fig. 16

Vue barrage de l’Illee (Suisse).

General view of Illee dam (Switzerland).

Dans le texte
thumbnail Fig. 17

Équipement des tirants verticaux par hélicoptère.

Tie anchor equipment.

Dans le texte
thumbnail Fig. 18

Coupe en long du viaduc.

Longitudinal section of viaduct.

Dans le texte
thumbnail Fig. 19

Vue d’une chambre d’ancrage.

View of anchoring chamber.

Dans le texte
thumbnail Fig. 20

Viaduc de Chavanon.

General view of Chavanon viaduct.

Dans le texte
thumbnail Fig. 21

Exemple suivi murs ancrés.

Example of monitoring for retaining walls.

Dans le texte
thumbnail Fig. 22

Exemple suivi murs renforcement glissement de terrain.

Example of monitoring for lanslide consolidation.

Dans le texte
thumbnail Fig. 23

Exemple suivi de fondations renforcées par tirants d’ancrage.

Example of monitoring for foundation.

Dans le texte
thumbnail Fig. 24

Exemple suivi tirants d’ancrage viaduc de Chavanon.

Example of monitoring for ground anchors of Chavanon viaduct.

Dans le texte

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