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Rev. Fr. Geotech.
Numéro 170, 2022
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Numéro d'article | 4 | |
Nombre de pages | 11 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/geotech/2021031 | |
Publié en ligne | 31 janvier 2022 |
Article d’ingénierie / Engineering Article
Histoire de l’usage des modèles de propagation de blocs dans un organisme gérant des problématiques de risques naturels en montagne
History of the use of block propagation models in a French agency managing natural hazards in the mountains
1
Office National des Forêts (ONF) – Restauration des Terrains en Montagne (RTM), Agence Alpes du Nord,
Grenoble, France
2
Office National des Forêts (ONF) – Agence Études Direction Territoriale Auvergne-Rhône-Alpes,
Chambéry, France
3
Office National des Forêts (ONF) – Direction des Forêts et des Risques Naturels (DFRN),
Toulouse, France
* Auteur de correspondance : remy.martin-02@onf.fr
Le service de Restauration des Terrains en Montagne de l’Office National des Forêts est un acteur historique de la prévention contre les chutes de blocs en montagne. Pour les besoins de la cartographie des aléas et du dimensionnement d’ouvrages de protection, il a suivi l’évolution des moyens techniques depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Ces dernières années, des réflexions se poursuivent sur l’aléa rocheux dans différents groupes de travail mandatés par l’État ou fédérant les experts privés et publics du domaine. Le développement des moyens informatiques et l’augmentation de la précision des données topographiques ont rendu la réalisation de calculs trajectographiques de plus en plus accessible et ont permis de mener des campagnes de simulations de grande envergure. Cet article présente l’histoire de l’utilisation des outils trajectographiques par le service de Restauration des Terrains en Montagne. L’objectif est d’aider à la compréhension de certains choix méthodologiques qui perdurent encore aujourd’hui pour éclairer les réflexions en cours. Il s’inscrit en parallèle des rapports publics établis pour le compte du Ministère de la Transition Écologique avec d’autres organismes d’État.
Abstract
The Department “Restauration des Terrains en Montagne” of the National Forestry Office in France is a historical player in the prevention of rockfalls in the mountains. For the purposes of the hazards mapping and the sizing of protection structures, it has followed the evolution of technical means from the 1980s to the present day. In recent years, reflections on rockfall hazard have continued in various working groups mandated by the State or bringing together private and public experts in the field. The development of computer resources and the increase in the accuracy of topographic data have made the realization of trajectographic calculations more and more accessible and have made it possible to carry out large-scale simulation campaigns. This article presents the history of the use of trajectographic tools by the Mountain Terrain Restoration Service. The aim is to help the understanding of certain methodological choices that still persist today in order to inform the ongoing reflections. It is in parallel with the public reports drawn up on behalf of the Ministry of Ecological Transition with other State bodies.
Mots clés : aléa rocheux / calcul trajectographique / PPR / dimensionnement ouvrage de protection
Key words: rockfall hazard / block propagation models / PPR: Hazard Prevention Plan / design of protection works
© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2022
1 Introduction
Ses missions et les demandes des décideurs ont conduit le service de Restauration des Terrains en Montagne (RTM) de l’Office National des Forêts (ONF) à développer une expertise en chutes de blocs, pour le zonage de l’aléa et pour le dimensionnement des mesures de protection. Depuis une cinquantaine d’années, il accompagne ainsi les Maîtres d’Ouvrages et doit suivre le développement de nouveaux outils et notamment ceux de calculs de la propagation des blocs (ou calculs trajectographiques). Il existe différentes méthodes ou approches de la propagation : des méthodes simplifiées utilisant des critères morphologiques (du type de la ligne d’énergie) et des méthodes de calcul des trajectoires par des outils trajectographiques (calculs plus ou moins complexes des phases de rebond, des phases de vol entre rebond et des phases d’arrêt).
Les outils numériques ont pris une place centrale dans l’expertise en chutes de blocs. C’est d’abord l’utilisation des modèles en 2D (plus précisément en 1D sur un profil) qui s’est largement répandue. Aujourd’hui, ce sont les modèles en 3D qui sont largement utilisés sachant qu’il s’agit en fait principalement de modèles en 2.5D (ou quasi 3D) et que seuls quelques modèles sont réellement en 3D, avec prise en compte des effets de forme des blocs et de la pénétration dans le sol qui restent du domaine de la recherche. L’accès facilité aux moyens de calculs informatiques et à des données topographiques de meilleure précision ont contribué à leur multiplication. Devant ce constat, des travaux de comparaison des modèles de calcul ont été engagés dans le cadre du projet national C2ROP – Chutes de blocs, Risques Rocheux et Ouvrages de Protection (Bourrier, 2020). Or, l’expérience développée par le RTM n’a jamais été publiée, en dehors de travaux récents avec le Centre d’Étude et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement (Cerema) et l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) (Cerema et ONF-RTM, 2020). Elle peut être utile à la compréhension des pratiques passées et actuelles. Cet article vise à combler ce manque en retraçant cette expérience du RTM autour de l’usage des modèles et outils de calcul de la propagation des blocs qui a débuté dans les années 1980.
2 Une collaboration historique avec l’ADRGT pour le développement des méthodes
L’Association pour le Développement des Recherches sur les Glissements de Terrains (ADRGT) a développé un outil de calcul trajectographique des chutes de blocs (Azimi et al., 1982), dont la première version date de 1976. P. Desvareux et C. Azimi, ses principaux concepteurs, ont mené des réflexions sur son usage, d’une part pour le zonage (à l’époque les cahiers des charges ne donnaient pas de seuils) et d’autre part pour le dimensionnement d’ouvrages. Deux documents ont alors été rédigés à l’attention du service RTM, qui travaillait régulièrement avec l’ADRGT, pour favoriser l’intégration de ces méthodes de calcul : le premier dans les années 1980 (voir Sect. 2.1), le second en 2004 pour tenir compte de l’évolution des outils de calcul (voir Sect. 2.2). Mettre en œuvre des calculs trajectographiques pour chaque étude de zonage apparaissant très lourd, le RTM a accompagné l’ADRGT pour développer une méthode simplifiée de zonage, basée sur des abaques établis selon des critères morphologiques (voir Sect. 2.3) (Azimi et Desvarreux, 1998). Des formations des agents RTM par l’ADRGT ont alors eu lieu jusqu’au début des années 2000 pour faciliter le suivi et la mise en œuvre de ces méthodes.
2.1 La méthode ADRGT développée dans les années 1980
La méthodologie, élaborée dans les années 1980, était une proposition de l’ADRGT pour répondre aux problématiques de zonage et de dimensionnement d’ouvrages. Les premiers éléments de méthodologie formulés par C. Azimi et P. Desvarreux, repris ici, sont extraits du rapport « Études de risques de chutes de blocs et de protection de La Monta » (SAGE, 1993) :
« Application de la méthode de calcul ADRGT :
1. Détermination des zones de risques en site dangereux
On effectue, pour des données de départ fixées, et un profil de propagation fixé, une série de 100 calculs. On analyse la répartition statistique des abscisses d’arrêt Xar sur l’ensemble de la pente si celle-ci est régulière (absence de vires intermédiaires étendues) ou sur la partie inférieure de la pente si celle-ci est irrégulière. On peut donc déterminer des valeurs moyennes et des écarts-type d’où, par ajustements avec des fonctions de répartition simples, on peut déterminer les probabilités d’atteinte de différentes parties du versant.
Rem. importante : cette probabilité ne prend pas en compte la probabilité à priori de chute de blocs. Elle est déterminée pour des événements considérés comme certains.
2. Détermination de protection sous forme d’un obstacle vertical
On effectue une série de calculs jusqu’à obtenir 100 blocs qui atteignent l’obstacle (ou 500 calculs de lâcher de blocs). On analyse la répartition statistique des hauteurs et énergies de passage. On peut d’après ces éléments dimensionner l’obstacle sous forme de piège à blocs ou filets pare-pierres ».
Ces éléments étaient généralement annexés aux rapports de l’ADRGT des années 1980–1990. Pour la détermination des zonages, la méthode ADRGT ne prenait en compte que l’aléa de propagation, en considérant une probabilité de départ égale à 1. Les seuils, encore souvent utilisés aujourd’hui, datent de cette période : seule la probabilité d’atteinte (p) est considérée avec des seuils fixés à 10−2, 10−4 et 10−6 (voir Tab. 1). Nous n’avons plus de trace du processus de choix de ces valeurs, en dehors du fait qu’elles sont issues d’un travail de synthèse d’informations des domaines du risque hospitaliers et/ou technologiques et qu’elles ont été intégrées dans les travaux de zonage réglementaire notamment par le RTM et la DDT à l’époque. Ce choix a perduré jusqu’à aujourd’hui.
Dans les années 1980, les moyens de calcul limités rendaient difficiles la simulation de très nombreuses trajectoires. L’ADRGT proposait 500 calculs de trajectoires dans lesquels pouvaient varier les hypothèses de départ (volume de bloc et hauteur) et les coefficients de restitution pour le calcul des rebonds. Les trajectoires calculées étaient donc aléatoires. L’ADRGT proposait une extrapolation au moyen d’ajustements mathématiques simples pour la définition des fréquences d’atteinte de 10−4 et 10−6. Elle consistait à fixer une abscisse au-delà de laquelle une extrapolation linéaire sur une échelle semi-logarithmique est retenue (loi extrême). L’ADRGT a émis des alertes sur le domaine de validité de cette extrapolation et le nécessaire contrôle de la représentativité du calcul (Desvarreux, 2007) :
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pour le zonage d’aléa, le profil topographique devait rester régulier sur toute la zone d’arrêt étudiée ;
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pour le dimensionnement d’un ouvrage, l’ADRGT recommandait d’avoir obtenu au moins 100 passages de blocs au niveau de l’ouvrage, pour pouvoir conserver une approche statistique.
Les seuils de classification des zones d’aléas « chute de blocs » selon la probabilité d’atteinte de la zone (méthode ADRGT conditionnant ce seuil à une probabilité de départ d’un bloc de 1) et qualification de l’aléa généralement pratiquée.
The thresholds for the classification of rockfall hazard zones according to the probability of reaching the zone (ADRGT method. This threshold consider a probability of release of 1) and qualification of the hazard generally practiced.
2.2 Version 2004 de la méthode ADRGT
L’actualisation de la méthododologiel présentée en section 2.1 a été proposée en 2004 par l’ADRGT pour tenir compte de l’amélioration des moyens de calcul et de nouveaux développements du logiciel de l’ADRGT. Il était devenu possible de réaliser plus de 106 calculs et de complexifier ceux-ci en considérant un plus grand nombre de paramètres incertains (variation des volumes au départ, fragmentation en cours de propagation, prise en compte de la forêt, variation des coefficients de restitution, …). Cette approche calculatoire « scénarisant » la chute des blocs (le volume au départ est variable sur une plage plus ou moins étendue, à chaque rebond une fragmentation peut se produire selon certains critères, les impacts avec des arbres sont pris en compte, …) a été appelée approche « probabiliste » (par un jeu de paramètres variables au départ ou à chaque rebond, chaque trajectoire calculée est différente et l’analyse finale se fait statistiquement sur l’ensemble des trajectoires calculées). Ce terme perdure aujourd’hui et l’approche « déterministe » de l’outil du Centre d’Étude Technique de l’Équipement (Cete, aujourd’hui Cerema) (voir Sect. 3.2), qui ne proposait qu’un seul calcul de trajectoire pour un jeu de paramètres, lui était opposée. Nous notons les améliorations et précisions suivantes de la description de la méthode ADRGT actualisée (jointe en annexe des rapports).
2.2.1 Pratiques usuelles mises en œuvre pour le zonage d’aléa
Il était demandé que, pour chaque profil de calcul :
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on se soit assuré de la représentativité statistique du calcul, en vérifiant que le nombre de blocs atteignant une abscisse choisie par l’opérateur (Xlim) dépasse une certaine valeur N (au maximum 6600) : le nombre de calculs ou de départs N0 (au maximum 2,109, en 2004) devait permettre d’atteindre la valeur N à Xlim ;
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on ait étudié la répartition statistique des N arrêts au-delà de Xlim, en tenant compte du nombre N0 de calculs.
Le choix de Xlim était important car il devait tenir compte de la topographie : au-delà de Xlim, la topographie devait être régulière sur une distance suffisante pour inclure l’abscisse ayant une probabilité d’atteinte de 10−6. Et permettre ainsi une extrapolation pertinente par la loi statistique simple choisie (loi logarithmique).
Les différentes classes d’aléa étaient encore définies selon la probabilité d’atteinte (Tab. 1).
2.2.2 Pratiques usuelles mises en œuvre pour le dimensionnement de parades passives
Le dimensionnement de parades passives passait toujours par des « écrans de calcul ». Une valeur Na (nombre de bloc atteignant l’ouvrage) devait être fixée à l’avance à dire d’expert pour disposer d’une statistique représentative au niveau de ces « écrans de calcul » (hauteur de passage du centre de gravité, poids de passage1, vitesse, énergie, …).
Pour optimiser les merlons en « déblai – remblai » en hauteur ou largeur, une vérification de protection était possible avec les éléments ci-dessous :
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le profil topographique dans le modèle était modifié selon le projet de terrassements ;
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le Xlim était fixé à l’aval du merlon ;
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le nombre de trajectoires atteignant l’ouvrage devait être suffisamment important pour permettre une analyse statistique pertinente des résultats au droit de l’ouvrage.
Cette approche « probabiliste » (plus précisément par tirage aléatoire de certains paramètres) pouvant conduire à des valeurs extrêmes non représentatives, une alerte était donnée : « Les valeurs extrêmes (du calcul) peuvent parfois représenter des phénomènes relativement isolés et exceptionnels. Dans ce cas, il est important de pouvoir choisir des solutions d’amélioration de la sécurité vis-à-vis des phénomènes les plus fréquents, et admettre un certain risque résiduel ». Dans la pratique, cela se traduit par la définition d’un seuil 90, 95, 97 % au-delà duquel on ne prend plus en compte les résultats. Ce seuil dépend du type de modèle utilisé (sensibilité de l’algorithme aux variables aléatoires) et du nombre de paramètres que l’utilisateur aura choisi de faire varier. Il est établi selon une évaluation experte impliquant une bonne connaissance de l’outil (Fig. 1).
Fig. 1 Résultat d’un calcul trajectographique en un point d’analyse avec exclusion des valeurs extrêmes induites par l’approche fortement probabilisée (tirage aléatoire de valeurs de calcul). Result of trajectographic calculation at a specific point with removal of the extreme values induced by the highly probabilised approach (random drawing of calculation values). |
2.3 Méthode simplifiée de zonage d’aléa : collaboration RTM-ADRGT (1998)
En Isère, le RTM a souhaité formaliser des critères morphologiques simples pour le zonage. L’objectif a été certainement de disposer de moyens larges échelles, plus aisés à mettre en œuvre. Un travail en collaboration avec l’ADRGT a été réalisé, il a abouti à des abaques fonction de critères de pentes (Fig. 2 ; Azimi et Desvarreux, 1998).
Les abaques ont été construits à l’aide de calculs trajectographiques menés par l’ADRGT en utilisant les seuils de probabilités d’atteinte (p) définis précédemment et différents types de profil. Ainsi, en fonction du profil de la pente, il était possible de retrouver dans les abaques, puis de reporter sur le profil, la distance d’application des zones exposées, moyennement exposées et faiblement exposées (p ≤ 10−6).
Ces abaques n’ont été utilisés que quelques années.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que cette approche est méthodologiquement similaire aux approches actuelles de zonage basées sur la ligne d’énergie et sur la prise en compte simplifiée de différents types de profils et de leur aire normalisée (voir Sect. 5.2.2).
Fig. 2 Paramètres morphologiques utilisés pour le zonage simplifiée (Azimi et Desvarreux, 1998). Morphological parameters used for simplified hazard zoning (Azimi and Desvarreux, 1998). |
3 Comparer les logiciels pour mieux les utiliser
À partir des années 2000, les prestataires de calcul trajectographique sont apparus de plus en plus nombreux et l’usage de l’outil est devenu quasi systématique tant pour le zonage d’aléa que le dimensionnement d’ouvrage. Le RTM a souhaité développer une compétence propre afin de pouvoir disposer d’une capacité d’analyse critique de l’utilisation de ces outils pour mener ses missions : projets de travaux de protection, cartographie d’aléas, analyse d’études trajectographiques donnant des résultats divergents, ...
3.1 Les logiciels utilisés par le RTM
De 2000 à 2003, le RTM a été observateur du projet Rockfor porté par le Cemagref (devenu INRAE). Ce projet a posé les bases des outils de calculs de propagation prenant en compte la forêt (Rockfornet2 et Rockyfor3D3) (Berger et Dorren, 2007).
En 2004, dans le cadre d’une action pour le ministère de l’Environnement piloté par l’INRAE (Berger, 2004), le RTM a participé à un comité d’évaluation d’une campagne de comparaison de calculs par des bureaux d’étude. Les données enregistrées sur le site expérimental de la forêt de Burges ont servi de base à un test à l’aveugle des résultats de calcul.
Vers 2005, le RTM a acquis deux logiciels 2D : RocFall4 de rocscience et CRSP5 (Colorado Rockfall Simulation Program) du Colorado Department of Mines (Pfeiffer et al., 1990). CRSP a été retenu pour être déployé dans les services (voir Sect. 3.3). Celui-ci, outre le fait, qu’il était peu coûteux ($ 15), présentait l’intérêt d’avoir peu de paramètres d’entrée pour le calcul. Pour pallier l’interface CRSP peu pratique, le RTM a développé une autre interface sur Excel®, permettant la saisie des données, l’affichage des résultats et leur valorisation par des compléments. Les compléments aux résultats de CRSP étaient notamment : l’extrapolation simplifiée de détermination des seuils de zonage selon la méthode ADRGT (CRSP étant limité à 30 000 calculs, l’approche du seuil 10−6 nécessitait des extrapolations des distances d’arrêt), et le calcul de l’angle de ligne d’énergie pour la propagation la plus longue.
À partir de 2007 et avec l’Université Européenne d’Été6, le RTM s’est approprié la méthode de la ligne d’énergie (voir Fig. 4). Pour l’utilisation de la méthode de la ligne d’énergie, l’outil Conefall (Jaboyedoff et Labiouse, 2011) a été utilisé. En 2012, il a été remplacé par l’outil Rollfree de l’Irstea7 (environnement similaire à Rockyfor3D avec une option de recherche automatique des zones de départ). La même année, le RTM a adhéré à l’association internationale ecorisQ pour le déploiement de Rockyfor3D (Dorren et Berger, 2012).
Pour l’exploration du rôle de la forêt, la section 4 ci-après précise des travaux réalisés dans les Alpes du Nord.
Dans le souhait de moderniser ses outils et d’intégrer le modèle de Bourrier et al. (2012) que le RTM utilisait au voisinage des merlons (voir Sect. 5.1), le RTM a initié une démarche de regroupement d’outils avec l’INRAE. Cette expérience n’a pas abouti mais a posé les fondements de la plateforme Platrock8. L’ambition initiale de ce travail a été de coder un modèle similaire à CRSP (Pfeiffer et Bowen, 1989) mais cet objectif n’a pas été atteint. Si les sources scientifiques étaient suffisantes pour reproduire le modèle de rebond, le RTM et l’Irstea se sont aperçus que les conditions conduisant à la propagation des blocs en roulement ou glissement décidaient grandement des distances de propagation calculées par CRSP. Or, les sources scientifiques décrivant ces conditions n’ont pas été retrouvées. Cette expérience a permis de mieux apprécier l’importance des choix de modélisation (choix d’une vitesse d’arrêt, choix d’un mode de glissement…) réalisés lors de la conception des outils trajectographiques, généralement non décrits dans les outils. Face à ce constat, le RTM a renoncé à développer un outil spécifique, a validé alors son positionnement d’utilisateur et a recherché des outils de référence.
Depuis 2018, le RTM dispose aussi de l’outil Propag du Cerema (Rochet, 1987). Une formation au logiciel a été proposée aux opérateurs à l’occasion de journées d’échange/formation communes aux deux organismes en 2018. En complément, les outils RocFall de rocscience, Rockyfor3D, CRSP, Rollfree sont mis à disposition des services. En 2021, les agents RTM seront formés aux outils de la plateforme Platrock. Le panel des outils est devenu très important. En base commune, Propag et Rollfree sont quasi-systématiquement utilisés (ils assureront un moyen de comparaison entre les études).
3.2 Le premier test grandeur nature de logiciels par le RTM (1997)
En 1997, un test grandeur nature a été piloté par le RTM sur la commune de Chatel (74) (Bouvet et Doche, 1998). Il était prévu de comparer des logiciels d’une part entre eux, et d’autre part à des évènements réels suite à des opérations de minage. Trois bureaux d’étude ont accepté de se prêter à l’exercice : l’ADRGT, le Centre d’études techniques de l’Équipement (CETE, devenu Cerema) et JPAConsulting. Notons que, à cette époque, l’offre pour les calculs trajectographiques était encore assez réduite.
En raison des moyens limités mis en œuvre pour les enregistrements vidéo, les mesures réalisées lors du minage n’ont pas permis de valider les calculs réalisés au préalable par les 3 bureaux d’étude.
Les différentes conceptions de logiciels avaient été soulignées, entre approche « probabiliste » (ADRGT et JPA Consulting) et approche « déterministe » (Cerema). Ce dernier, développé par Rochet (1987), était calé sur des trajectoires de blocs observés et généralement pour les distances de propagation les plus importantes, une approche déterministe était choisie avec alors le calcul de la trajectoire la plus longue (qualifiée également de « courbe enveloppe »).
Cette expérience de comparaison a permis de constater la grande dispersion des résultats, notamment sur :
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un point de passage : la valeur retenue variait de 1289 kJ pour un passage à 3,4 m de haut à plus de 10 000 kJ pour un passage à 9 m de haut ;
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l’atteinte d’un merlon existant et son dépassement : pour l’un, 15 % des blocs atteignaient le merlon avec 5 % de blocs arrêtés par le merlon et 10 % le dépassant ; pour l’autre, 100 % des blocs atteignaient le merlon avec 24,2 % de blocs arrêtés et 75,8 % de blocs le dépassant.
Le rapport du RTM (Bouvet et Doche, 1998) a souligné la différence des calculs et la difficulté de comparer les résultats entre eux.
3.3 Contribution du RTM à des études comparatives pour accompagner le déploiement des outils
En 2007, le RTM a réalisé, en interne, une étude comparative entre les résultats de CRSP et les résultats de calcul d’étude de l’ADRGT à sa disposition. Sur l’ensemble des sites, il a toujours été possible de reproduire les résultats de l’ADRGT mais, pour cela, le paramétrage de CRSP a nécessité parfois des coefficients de restitution assez différents de ceux préconisés par la notice de CRSP. Ce travail a servi de base au déploiement de l’outil en interne et à l’organisation d’une formation interne. La forte sensibilité des résultats à la variation des paramètres a été un élément important de la formation mais a conduit à une appropriation inégale de l’outil par les agents. Dans le processus d’aide à la décision, la variabilité des résultats a été difficile à intégrer.
En 2009, une comparaison des approches entre l’Irstea, l’ADRGT et le RTM a été menée sur la commune de Saint-Paul-de-Varces (Isère) sur la base de l’événement du 28 décembre 2008 (Berger et al., 2011). On observait une convergence des modèles sur les gammes de probabilités d’atteinte établies selon une matrice de seuillage. Par contre, les résultats présentaient des différences importantes pour les valeurs d’énergie.
En 2019, le Cerema, l’Irstea et le RTM ont réalisé une comparaison de leurs expertises trajectographiques en utilisant 4 outils : CRSP et RocFall (RTM), Propag (Cerema) et Platrock2D (Irstea) (Irstea et al., 2019). Ce travail a abouti en 2020 à un rapport de recommandations pour la réalisation d’études trajectographiques de chutes de blocs, établi par le Cerema et le RTM pour le compte de la Direction Générale de la Prévention des Risques du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire (MTES/DGPR) (Cerema et ONF-RTM, 2020). Sur le site de Chignin (73), les trois organismes ont comparé leurs résultats sur un même profil 2D. Si les résultats sont cohérents, les distances d’arrêt sont suffisamment dispersées pour que les conséquences pratiques soient importantes en termes de zonage, notamment si de nombreuses habitations se trouvent dans une bande de 50 m (Tab. 2).
Ce travail a précisé les grandes incertitudes des calculs trajectographiques. Il conclut à « Les outils, les logiciels utilisés peuvent donner des résultats très variables. Ils peuvent être plus ou moins adaptés en fonction du type de site mais également de la qualité des données d’entrée. Ils sont d’un usage expert. Par conséquent, en aucun cas il s’agira d’outils “presse bouton”. Les valeurs issues des calculs, hauteur maximale, vitesse maximale etc… ne devront jamais être utilisées directement sans un traitement préalable à dire d’expert. ». Il a abouti à différentes préconisations dont l’affichage au travers de paramétrage simple de la variation entre deux calculs pour un même outil, l’emploi systématique pour le dimensionnement d’ouvrage d’un profil 2D.
En parallèle le RTM a observé les benchmarks réalisés par le Cemagref (Berger, 2004) et le projet national C2ROP (Bourrier, 2020), ce dernier confirmant la difficulté de s’appuyer sur ces outils pour des indicateurs des probabilités de passage, des vitesses et des énergies moyennes.
Quels que soient les outils, le RTM a pu appréhender la sensibilité aux paramètres de ceux-ci et souvent la difficulté de comparer les résultats entre eux. Retenir un seuil de zonage d’aléa ou choisir une hauteur d’ouvrage sont d’autant plus délicats que plusieurs outils sont utilisés. Formaliser un résultat autour d’un calcul trajectographique n’est pas facile. C’est une des raisons qui a conduit le RTM à multiplier les outils à sa disposition et à confronter plusieurs résultats. L’expertise redevient centrale, car l’expert doit alors choisir les valeurs et les seuils, retenus sur la base de plusieurs calculs aux résultats différents. Il doit alors justifier ces choix sur la base de son expertise géomorphologique du site mais également de sa connaissance des différents outils.
Comparaison des propositions de zonage (abscisses des points d’arrêt extrême) obtenues par le Cerema, l’IRSTEA (ex INRAE) et le RTM sur un profil commun (Cerema et ONF-RTM, 2020).
Comparison of hazard zoning (abscissas of extreme breakpoints) obtained by Cerema, IRSTEA (ex INRAE) and RTM on a common profile (Cerema et ONF-RTM, 2020).
4 L’expertise pour la prise en compte de l’effet de la forêt
La fonction de protection de la forêt contre la propagation des chutes de blocs est reconnue (article L144-1 du code forestier). Les outils de calcul trajectographique peuvent être utilisés pour aider à quantifier l’effet de la forêt. C’est une fonction qui est proposée par différents outils. Sur CRSP pour exemple, il est préconisé de moduler le coefficient de restitution tangentielle (rt) : il s’agit d’une proposition très empirique dont on retrouve le principe dans l’utilisation de la plupart des modèles. Avec Rockfornet et Rockyfor3D, l’approche est différente et le RTM a exploré leur usage pour l’expertise forestière. L’ONF, dont le RTM, a ainsi développé une approche complète de diagnostic de la fonction de protection de la forêt contre les chutes de blocs, basée sur l’expertise du peuplement forestier et intégrant les outils de calcul trajectographique.
4.1 La forêt : une protection contre les chutes de blocs
La qualification du rôle de protection de la forêt, puis la quantification de son effet, à court terme mais aussi à plus long terme, devient nécessaire pour préciser et hiérarchiser les zones réellement exposées entre elles. Enfin, la forêt est une solution complémentaire aux ouvrages de protection qui ont un coût d’investissement et d’entretien conséquent. Concernant ce dernier élément, si nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de garantir l’efficacité d’une forêt en comparaison d’un dispositif d’ouvrages par filets, nous sommes en mesure de garantir qu’elle va réduire les sollicitations sur ces ouvrages et donc augmenter leur durabilité. L’amélioration de la stabilité d’un peuplement forestier au travers d’interventions sylvicoles peut aussi permettre, à moyen ou long terme, de réduire le coût de remplacement d’un filet : en effet, si les opérations sylvicoles ont nettement amélioré la fonction de protection de la forêt, il peut alors être envisagé d’abandonner le filet ou de le remplacer par un filet de capacité énergétique inférieure. La durée de vie d’un filet étant de 25 ans (selon le document d’évaluation européen : Etag 27 permettant l’obtention du marquage CE sur les produits kit de protection pare bloc), nous sommes dans l’ordre de grandeur du temps nécessaire pour voir apparaître les fruits d’une sylviculture adaptée.
4.2 Évaluation de l’effet de la forêt : du diagnostic qualitatif au diagnostic quantitatif
L’ONF et notamment sa Direction Territoriale Auvergne-Rhône-Alpes a développé depuis quelques années, une démarche de diagnostic de l’impact de la forêt sur la propagation des blocs qui intègre les outils Rockfor.net et Rockyfor3D. Trois niveaux sont ainsi aujourd’hui déployés dans l’expertise des forêts à fonction de protection contre les chutes de blocs :
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niveau 1 : plan de gestion des forêts à fonction de protection : approche qualitative du niveau de protection réalisée à l’échelle d’un versant ou d’un territoire communal ;
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niveau 2 : diagnostic simple : expertise qualitative associée à une première quantification du niveau de protection sur un site moins étendu (1 à 20 ha) ;
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niveau 3 : diagnostic plus approfondi avec calcul trajectographique.
La différence entre les 3 niveaux se fait sur le nombre de paramètres relevés et sur les modalités de quantification du niveau de protection. Mais, pour tous les niveaux, le diagnostic géologique (phénomènes, volumes de blocs) est un préalable systématique. Et la démarche s’appuie sur trois étapes :
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Délimitation de peuplements forestiers homogènes, par photo-interprétation. Dans le cas de diagnostics de niveaux 2 et 3, l’utilisation et le traitement de Modèles Numériques de Surface (MNS) issus de lidar ou imagerie satellite permet d’affiner cette préparation cartographique en allant parfois jusqu’à des données quantitatives (surface terrière – qui est une description de l’occupation du sol par la forêt –, hauteur des arbres).
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Diagnostic sur site : les contours définis dans l’étape 1 sont vérifiés et corrigés si besoin. Ce diagnostic est établi avec une large part de « dire d’expert » mais il s’accompagne aussi de prise de données dendrométriques. Les critères de description (variables en fonction du niveau de diagnostic l’étape 1) sont relevés sur des fiches de relevés type. Ces critères doivent permettre de qualifier le rôle de protection actuel (paramètres mécaniques) mais aussi dans le futur (paramètres de stabilité du peuplement, paramètres environnementaux). Pour un diagnostic de niveau 1, les données dendrométriques relevées seront une surface terrière appréciée statistiquement sur une grande surface et une répartition des essences. Pour les diagnostics quantitatifs de niveaux 2 et 3, les surfaces terrières seront précisées et complétées de données sur la densité (le nombre de tiges à l’hectare de plus de 8 cm de diamètre).
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Évaluation du rôle de protection et identification des interventions sylvicoles à mener : les outils pour cette phase sont le Guide de sylviculture de Montagne (GSM et Cemagref, 2006) pour le diagnostic de niveau 1, complété par l’application Rockfor.net pour celui de niveau 2 et le logiciel Rockyfor3D pour celui de niveau 3.
Les interventions sylvicoles et leurs conséquences sur les critères de description du peuplement pris en compte dans son rôle de protection sont identifiées à dire d’expert (forestier). Quand une quantification est recherchée, les outils Rockfor.net et Rockyfor3D sont utilisés pour comparer le niveau de protection actuel avec le niveau de protection potentiel estimé à moyen terme, avec ou sans travaux sylvicoles (voir exemple de résultat en Fig. 3).
Fig. 3 Illustration d’un calcul trajectographique avec simulation du rôle de la forêt à l’aide Rockyfor3D. Rappelons que celui-ci n’est possible que sur la base d’une expertise forestière (cas d’étude sur la commune de Talloires en Haute-Savoie). Illustration of a trajectory calculation with simulation of the role of the forest using Rockyfor3D. Recall that this is possible only if a forest expertise is done (case study on the commune of Talloires in Haute-Savoie). |
5 Pratiques actuelles du RTM : un accompagnement par la mise en œuvre critique
5.1 Pour la conception et le diagnostic des parades passives
La méthode ADRGT (version 2004) prévoyait l’optimisation des merlons par modification de leur géométrie (création de la fosse). Le RTM a reproduit cette pratique qui consistait à refaire les calculs sur un profil topographique modifié pour prendre en compte l’ouvrage et sa fosse. Les calculs menés sur CRSP, notamment, faisaient apparaître des trajectoires aberrantes au voisinage des merlons. Pour résoudre ce problème, le RTM s’est alors rapproché de l’Irstea (devenu INRAE) qui avait mené plusieurs travaux sur la modélisation des trajectoires de blocs au voisinage des merlons (Lambert et al., 2013). En particulier, le modèle proposé par Bourrier et al. (2012) prend mieux en compte les replats et contre-pentes. En effet, les replats marqués et les contres pentes au niveau de la face amont des ouvrages mettent les outils de calcul trajectographiques classiques en limite de domaine de validité :
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ces outils ont été calibrés pour des topographies de type « versants » pour lesquelles les impacts des blocs sur le sol sont rasants. Lors de l’impact au voisinage d’un merlon, de nombreux impacts sont normaux et, dans cette configuration, les paramètres des modèles de rebond doivent être différents ;
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la majorité des outils trajectographiques 3D fonctionnent à l’aide de modèles numériques de terrain (MNT) rasters qui ne permettent pas de traduire la topographie des merlons pour les résolutions classiquement utilisées (de l’ordre de 1 m).
Pour pallier ces limites, Lambert et al. (2013) ont développé un outil de simulation valide au voisinage des merlons en modélisant de façon plus fine le rebond dans ces configurations ainsi que la topographie au voisinage des merlons.
Le RTM essaye donc désormais de coupler les modèles : pour la propagation sur le versant, il utilise les outils classiques du RTM ; pour la vérification des merlons, il fera appel désormais à la plateforme Platrock sur laquelle l’outil INRAE est disponible. Cette pratique impose de trouver des passerelles entre 2 outils, les données issues du premier à l’entrée de la fosse du merlon devant servir de données d’entrée pour le second.
5.2 Pour le zonage d’aléa : vers l’usage de la ligne d’énergie
5.2.1 Du PPR de Veyrier-du-Lac…
Dans l’élaboration du PPR de Veyrier-du-Lac (74), des difficultés ont été rencontrées entre 2007 et 2008 dans le cadre de l’élaboration de la carte des aléas. Une expertise fut confiée par la DDT 74 au CEMAGREF (ex INRAE) (Berger, 2009).
Nous reprenons ci-après un extrait du rapport en supprimant les références aux bureaux d’étude (dont le RTM ne fait pas partie et qui sont remplacées par BE0, BE1, BE2 et BE3) :
« Au regard de l’intérêt de disposer d’une étude trajectographique lors de la réalisation d’un PPR, la commune de Veyrier-du-Lac a commandé en 2007, dans le cadre de la révision du PPR de 1994, au bureau d’étude BE0 une étude portant sur les risques de chutes de pierres et d’éboulement rocheux en provenance des parois rocheuses surplombant l’agglomération.
Plusieurs études trajectographiques sur des secteurs restreints du territoire communal avaient déjà été faites avant la réalisation de l’étude de BE0 de mars 2007 sur la totalité du territoire communal : BE1 1989, BE1 1994, BE2 2002. Pour les secteurs concernés, les résultats des études BE1 et BE2 ne convergent pas avec ceux de l’étude de BE0 de mars 2007. Au regard de ces divergences, trois propriétaires, en désaccord avec les résultats de l’étude de BE0 de mars 2007, ont commandé au regard de leurs parcelles des études trajectographiques complémentaires. Monsieur A., B. et C. (les deux derniers s’étant regroupés pour une commande commune) ont ainsi missionné respectivement les bureaux d’étude BE0 (février 2008) et BE3 (septembre 2007) pour réaliser de nouvelles études trajectographiques. Il faut préciser que Monsieur A. avait fait réaliser l’étude du BE2 2002. Là encore au regard des zones concernées par ces deux études complémentaires, les résultats de celles-ci ne convergent pas avec celles de l’étude de BE0 de mars 2007. Il apparaît ainsi qu’au regard de la propriété de Monsieur A. le bureau d’étude BE0 n’a pas interprété de la même manière ses résultats d’analyse trajectographique entre l’étude de mars 2007 et celle de février 2008. ». En 2009, bien que conscient des limites des outils et de la difficulté à les utiliser au regard de la sensibilité aux paramètres d’entrée, le RTM les utilisait largement. Tout simplement car ce sont les seuls outils permettant d’approcher une quantification du phénomène. L’expérience de Veyrier-du-Lac vient confirmer que cette sensibilité est source possible de contentieux. L’approche RTM conçoit le calcul trajectographique comme un outil complémentaire à l’expertise naturaliste. Pour lui, le contentieux ne devrait pas se positionner au niveau des calculs mais au niveau des choix de l’expert, choix du modèle, choix des paramètres d’entrée et surtout de valeurs caractéristiques du phénomène retenus sur la base de l’expertise complète dont les calculs ne sont qu’une part en complément des analyses historiques et géomorphologiques.
5.2.2 … aux travaux MEZAP
En 2013, un groupe de travail, composé des opérateurs publics et de certains services déconcentrés de l’État a été mis en place, sous l’égide du MTES/DGPR. Initialement, ce groupe de travail devait répondre à la problématique de l’intégration des résultats des études trajectographiques pour la cartographie réglementaire qui avait posé problème à Veyrier-du-Lac notamment. Sa mission a évolué rapidement vers un travail de définition de la méthodologie d’Évaluation du Zonage de l’Aléa chute de Pierre (MEZAP). Le RTM a participé à ces travaux. Il a mené deux actions principales complémentaires au commencement des réflexions.
Le RTM a déroulé la méthode proposée sur trois sites tests, le site des « Gliérates » sur la commune de Sassenage (38), le site « Sous le Rocher de la Mottaz » sur la commune de Bellevaux (74) et le site « le village » sur la commune de Saint-Auban (06). Les résultats obtenus en appliquant la méthode MEZAP avec utilisation du logiciel Rollfree sont comparés à ceux obtenus par application de la méthode de la ligne d’énergie (ou méthode des cônes). Cette dernière propose de déterminer la distance de propagation d’un bloc sur un profil en définissant une valeur de l’angle d’atteinte β (voir Fig. 4) : il s’agit d’une approche empirique largement explorée (voir Fig. 5).
Comme pour les autres modèles, la sensibilité à la valeur de l’angle d’atteinte β est forte dans les contextes montagneux. Une analyse fine des sites est donc nécessaire pour fixer cette valeur et les éléments ayant conduit à ce choix délicat nécessitent d’être tracés dans le rapport d’accompagnement. La forme du profil est un élément déterminant de la valeur de β. Pour un profil de falaise vertical suivi d’une zone plane, les valeurs de β peuvent être fortes (supérieur à 35).
Ensuite, une base de données sur des valeurs mesurées sur le terrain par le RTM (sur les blocs présentant la plus grande distance de propagation) a été transmise en 2018 à l’INRAE. Elle contient les éléments issus de la base de données RTM. Une base de données plus exhaustive a été créée en Isère avec non seulement des mesures sur des phénomènes observés, mais aussi les résultats d’études trajectographiques.
La ligne d’énergie est un modèle simple qui permet une expression universelle, par une valeur d’angle d’atteinte β, des résultats présentés par les bureaux d’études.
Le travail MEZAP s’est poursuivi jusqu’en 2019, sous-pilotage depuis 2016 du BRGM : la version définitive est à paraître. Celle-ci va reprendre les définitions de seuils (10−2 ; 10−4 et 10−6) aujourd’hui retenus pour la cartographie de l’aléa chute de bloc.
Fig. 4 Principe de la ligne d’énergie (β : angle d’atteinte). Energy line principle (β: reach angle). |
Fig. 5 Valeur de l’angle d’atteinte β selon différents auteurs (Jaboyedoff et Labiouse, 2011). Value of the reach angle β according to different authors (Jaboyedoff and Labiouse, 2011). |
6 Conclusion : bilan de l’expérience RTM
Le RTM s’est toujours positionné en accompagnateur des développements méthodologiques et en utilisateur des outils. Il a ainsi pu apprécier que chaque outil réponde souvent bien à certaines situations et qu’il a ses spécificités. Il est alors difficile de définir un objectif quantifié à atteindre dans la mesure où les modèles sont tous assez différents et conduisent à des résultats parfois très disparates. Le constat est fait qu’une méthode, aujourd’hui ancienne, a conduit à généraliser des seuils (10−2, 10−4, 10−6) sans remise en question au fur et à mesure du développement de nouveaux outils. Également, le RTM a constaté que, dans les méthodes originales, une étape de validation de l’approche statistique est décrite. Des notions de nombre de blocs sur écran nécessaires pour du dimensionnement, des notions de trajectoires « extrêmes », existaient et des règles permettaient d’apprécier la validité des calculs.
Ces dernières années, le RTM a constaté de réelles confusions dans l’usage statistique des résultats pour une approche de seuils type ADRGT, calcul 3D avec un unique départ par cellule de départ, statistique sur un écran ne prenant en compte que les blocs atteignant l’écran…. Il est souvent fait référence à la méthode ADRGT, mais en utilisant aujourd’hui des modèles 3D et la puissance informatique. La rigueur nécessaire soulignée par l’ADRGT (voir Sect. 2) n’apparaît plus comme un élément de contrôle des méthodes. L’apparition de données topographiques (MNT) de très bonne résolution a généré de la confusion entre la précision du résultat et la qualité de l’affichage.
Dans sa mission d’AMO, le RTM s’est confronté régulièrement aux outils développés par les bureaux d’études. Les différences de résultats entre les bureaux d’études sur un même site sont apparues au fur et à mesure, soit par de nouvelles études sur un site déjà étudié, soit parce que le RTM réalise en vérification quelques calculs ou comparaisons entre bureaux d’études, soit parce que l’usage fait par les bureaux d’études de la méthode ADRGT diffère.
Fort de ces années d’expérience, le RTM considère que la modélisation numérique de la propagation fait partie intégrante, mais n’est qu’une partie, de l’expertise de chutes de blocs. Pour cadrer sa mise en œuvre en interne, les recommandations suivantes sont suivies au RTM :
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plusieurs outils de modélisation sont disponibles pour les spécialistes RTM qui doivent comparer les résultats d’au moins 2 outils choisis en fonction des objectifs de l’étude ;
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connaissant les contentieux possibles autour de l’outil, il est demandé de toujours passer par au moins un outil de référence, tel que la ligne d’énergie ou Propag.
Ces constats, le RTM les a partagés à l’occasion de sa contribution aux travaux de MEZAP, mais plus récemment dans le cadre d’un travail en collaboration avec le Cerema et l’INRAE (Irstea et al., 2019 ; Cerema et ONF-RTM, 2020).
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Franck Bourrier et Frédéric Berger de l’INRAE ainsi que Philippe Bouvet de l’ONF-RTM pour leur relecture attentive. Ils remercient également la Direction Générale de la Prévention des Risques du Ministère de la Transition Écologique (MTE/DGPR) pour son soutien financier aux travaux réalisés avec INRAE et Cerema dans ce domaine.
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Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) devenu Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) depuis le 01/01/2020, et successeur du Centre national du Machinisme Agricole du Génie Rural, des Eaux et Forêts (CEMAGREF) en 02/2012.
Citation de l’article: Rémy Martin, Yannick Robert, Pierre Dupire, Olivier Fayard, Simon Carladous. Histoire de l’usage des modèles de propagation de blocs dans un organisme gérant des problématiques de risques naturels en montagne. Rev. Fr. Geotech. 2022, 170, 4.
Liste des tableaux
Les seuils de classification des zones d’aléas « chute de blocs » selon la probabilité d’atteinte de la zone (méthode ADRGT conditionnant ce seuil à une probabilité de départ d’un bloc de 1) et qualification de l’aléa généralement pratiquée.
The thresholds for the classification of rockfall hazard zones according to the probability of reaching the zone (ADRGT method. This threshold consider a probability of release of 1) and qualification of the hazard generally practiced.
Comparaison des propositions de zonage (abscisses des points d’arrêt extrême) obtenues par le Cerema, l’IRSTEA (ex INRAE) et le RTM sur un profil commun (Cerema et ONF-RTM, 2020).
Comparison of hazard zoning (abscissas of extreme breakpoints) obtained by Cerema, IRSTEA (ex INRAE) and RTM on a common profile (Cerema et ONF-RTM, 2020).
Liste des figures
Fig. 1 Résultat d’un calcul trajectographique en un point d’analyse avec exclusion des valeurs extrêmes induites par l’approche fortement probabilisée (tirage aléatoire de valeurs de calcul). Result of trajectographic calculation at a specific point with removal of the extreme values induced by the highly probabilised approach (random drawing of calculation values). |
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Dans le texte |
Fig. 2 Paramètres morphologiques utilisés pour le zonage simplifiée (Azimi et Desvarreux, 1998). Morphological parameters used for simplified hazard zoning (Azimi and Desvarreux, 1998). |
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Dans le texte |
Fig. 3 Illustration d’un calcul trajectographique avec simulation du rôle de la forêt à l’aide Rockyfor3D. Rappelons que celui-ci n’est possible que sur la base d’une expertise forestière (cas d’étude sur la commune de Talloires en Haute-Savoie). Illustration of a trajectory calculation with simulation of the role of the forest using Rockyfor3D. Recall that this is possible only if a forest expertise is done (case study on the commune of Talloires in Haute-Savoie). |
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Dans le texte |
Fig. 4 Principe de la ligne d’énergie (β : angle d’atteinte). Energy line principle (β: reach angle). |
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Fig. 5 Valeur de l’angle d’atteinte β selon différents auteurs (Jaboyedoff et Labiouse, 2011). Value of the reach angle β according to different authors (Jaboyedoff and Labiouse, 2011). |
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Dans le texte |
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