Free Access
Issue
Rev. Fr. Geotech.
Number 163, 2020
Chutes de bloc, Risques Rocheux et Ouvrages de Protection (C2ROP)
Article Number 2
Number of page(s) 8
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2020011
Published online 02 October 2020

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2020

1 Introduction

L’aléa dû aux éboulements rocheux résulte du départ d’éléments rocheux depuis une falaise et de leur propagation sur le versant. Depuis plusieurs décennies, des méthodes quantitatives sont couramment utilisées pour simuler la propagation, alors que les études quantitatives de l’aléa de départ sont relativement rares. La connaissance de la fréquence de départ (pour un aléa diffus) ou de la probabilité de rupture (pour un aléa localisé) est pourtant nécessaire pour quantifier l’aléa résultant et, par la suite, le risque. L’approche géomécanique ne permettant pas de déterminer quantitativement la probabilité de rupture d’un compartiment rocheux en fonction du délai, seule une approche empirique globale basée sur l’historique de la falaise étudiée permet de quantifier l’aléa résultant et le risque (Hantz et al., 2003a).

Le terme de fréquence est pris ici au sens physique du terme (et non statistique). Il désigne un nombre d’évènements (départ ou arrivée d’un compartiment ou d’un élément rocheux) par unité de temps dans une zone définie. Pour pouvoir comparer des zones entre elles, nous utiliserons la fréquence spatiotemporelle qui est la fréquence par unité de surface ou de longueur (de falaise ou d’enjeu).

Un éboulement rocheux (terme utilisé au sens large, comme traduction de rock fall) est défini comme le mouvement gravitaire d’un ou de plusieurs éléments rocheux par chute libre, rebond ou roulement. Il résulte du détachement d’un compartiment rocheux par glissement, par basculement ou par un mécanisme de rupture plus complexe. En général, le compartiment rocheux est initialement fragmenté en éléments qui se séparent dès le début du mouvement (« désagrégation » selon la terminologie définie par Ruiz-Carulla et al., 2016) et qui peuvent ensuite se rompre lors des impacts sur la pente ou entre éléments (« fracturation »).

Lorsque les éléments qui chutent simultanément sont peu nombreux, on utilise des modèles de propagation qui négligent l’interaction entre eux et simulent donc la chute d’un seul élément à la fois. Pour déterminer la fréquence d’atteinte d’un emplacement donné, il faut donc connaître la fréquence de départ des éléments rocheux, en termes de nombre de blocs par an et par unité de surface de falaise.

Dans le cas contraire (éboulement en masse), on utilise des méthodes qui modélisent les interactions entre blocs et simulent donc la chute du compartiment entier constitué de nombreux éléments. Certaines méthodes permettent de modéliser également la rupture de ces éléments lors des impacts. Pour obtenir la fréquence d’atteinte d’un emplacement donné, il faut donc connaître la fréquence de départ des éboulements, en termes de nombre d’évènements par an et par unité de surface de falaise, ainsi que la structure du massif rocheux.

Suivant le cas, on a donc besoin de connaître la fréquence des éboulements ou la fréquence des blocs. Nous présenterons différentes méthodes pour les estimer, ainsi qu’un modèle d’érosion permettant de passer de l’une à l’autre et de prendre en compte par extrapolation, des gammes de volume non observées (période d’observation trop courte ou résolution insuffisante). Enfin, nous proposerons une classification empirique permettant d’estimer la fréquence en cas d’insuffisance de données.

2 Modèle d’érosion par éboulements

2.1 Relation volume-fréquence

Sur la figure 1a, les volumes des éboulements issus d’un inventaire fictif sont représentés par des barres horizontales d’épaisseur unitaire, empilées par ordre décroissant. La courbe en pointillés joignant les extrémités de ces barres représente le nombre cumulé de chutes de volume supérieur ou égal au volume indiqué en abscisse (distribution cumulée). La fréquence spatiotemporelle de chutes Fst s’obtient en divisant ce nombre par la période et la surface de falaise couvertes par l’inventaire. De nombreuses études ont montré que la relation volume-fréquence cumulée est bien ajustée par une loi puissance (par exemple : Hungr et al., 1999 ; Dussauge-Peisser et al., 2002 ; Ravanel et al., 2017) : Fst=AstVB.(1)

Si V est exprimé en m3, Ast représente la fréquence des chutes de volume supérieur à 1 m3. Il reflète l’activité de la falaise étudiée. B reflète l’uniformité de la distribution des volumes. Plus il est grand, plus la distribution est uniforme dans la plage de volume considérée. D’après Brunetti et al. (2009), les valeurs obtenues pour B varient entre 0,4 et 0,8. Notons que certains auteurs travaillent sur la fréquence (ou la distribution) non cumulée, qui est la dérivée de Fst par rapport à V. C’est aussi une loi puissance, mais l’exposant est −(B + 1) et le facteur multiplicatif −BAst. Pour la calculer, les éboulements doivent être regroupés par intervalles de volume.

Sur la figure 1b, sont représentés (par des couleurs différentes) les blocs issus de la fragmentation des compartiments. En représentant les volumes des blocs comme sur la figure 1a, et en divisant le nombre cumulé de blocs par la période et par la surface de falaise couvertes par l’inventaire, on obtient la fréquence spatiotemporelle de blocs fst. Plusieurs relevés de blocs déposés, effectués dans des massifs différents, ont montré que la relation volume-fréquence est également bien ajustée par une loi puissance (Hantz et al., 2016 ; Ruiz-Carulla et al., 2016 ; Moos et al., 2018) : fst=astVb.(2)

Mais pour les blocs, le paramètre d’uniformité b est généralement plus grand que pour les éboulements (on trouve des valeurs comprises entre 0,5 et 1,5). Mavrouli et al. (2015) ont étudié les relations fréquence-volume des éboulements et des blocs pour une même falaise de grano-diorite, en identifiant les compartiments susceptibles de chuter et en estimant les volumes des blocs in situ à partir des familles de discontinuités. Ils ont trouvé un paramètre d’uniformité plus élevé pour les blocs (1,3) que pour les compartiments (0,5).

Plusieurs études ont montré que la loi puissance donnant la fréquence cumulée en fonction du volume d’éboulement est valable sur plusieurs ordres de grandeur du volume (Dewez et al., 2013, par exemple). Il est donc possible d’extrapoler cette loi pour estimer les fréquences correspondant à des volumes plus petits ou plus grands que ceux observés. Cependant, il existe forcément un volume maximal possible d’éboulement Vmax, qui dépend principalement de la hauteur de falaise. Pour en tenir compte, le modèle le plus simple consiste à tronquer cette loi pour V = Vmax.

thumbnail Fig. 1

a : nombre cumulé de chutes en fonction du volume; b : décomposition des compartiments en blocs représentés par des couleurs différentes.

a: cumulated number of rockfalls versus volume; b: decomposition of rockfalls into blocks represented by different colors.

2.2 Taux d’érosion

Le taux d’érosion dû aux éboulements observés dans un inventaire s’obtient en divisant le volume total des chutes par la durée et la surface couverte. Pour prendre en compte une plage de volume plus large que celle observée, on peut utiliser la relation volume-fréquence et l’extrapoler. Sur la figure 1a, le volume total des chutes est égal à la somme des surfaces des barres horizontales et le volume total des chutes de moins de 10 m3, à la somme des surfaces des six barres les plus petites. Par analogie, sur la figure 2a, le volume des chutes de volume compris entre V1 et V2 par unité de temps et de surface, est égal à la surface colorée, si V2 est inférieur au volume maximal possible. Cette surface se calcule en intégrant la fonction V(Fst) entre F2 et F1. Cette fonction s’écrit : V=Ast1/BFst1/B.(3)

L’intégration donne le taux d’érosion E (Hantz et al., 2003b) : E=F2F1VdFst=AstB(1B)[V2(1B)V1(1B)].(4)

Cette expression a également été obtenue à partir de la fréquence non cumulée par Barlow et al. (2012). Si l’on veut extrapoler et prendre en compte le volume maximal possible Vmax, il faut intégrer de 0 à F1 la fonction V suivante (Fig. 2b) : V=Vmax,pour0<Fst<Fst(Vmax),V=Ast1/BFst1/B,pourFst(Vmax)<Fst<F1.(5)

En effet, les chutes de volume supérieur à Vmax, qui se produiraient si la loi puissance n’était pas tronquée, sont remplacées par des chutes de volume Vmax. L’intégration entre 0 et F1 donne le taux d’érosion suivant (Hantz et al., 2003a) : E=0F1VdF=AstB(1B)[Vmax(1B)V1(1B)]+AstVmax(1B)=Ast(1B)Vmax(1B)AstB(1B)V1(1B).(6)

Les expressions (4) et (6) peuvent également être utilisées pour calculer le taux d’érosion à partir de la relation volume-fréquence des blocs, en remplaçant les volumes d’éboulement par les volumes de bloc : E=f2f1vdfst=astb(1b)[v2(1b)v1(1b)],(7) E=0f1vdf=astb(1b)[vmax(1b)v1(1b)]+avmax(1b)=ast(1b)vmax(1b)astb(1b)v1(1b).(8)

Notons que pour b = 1 (valeur moyenne), l’intégration donne : E=f2f1vdF=astlnv2v1,(9)

ou : E=0f1vdF=ast(lnvmaxv1+1).(10)

B étant généralement inférieur à 1 pour les éboulements, le terme V1(1−B) tend vers 0 lorsque V1 tend vers 0. Si l’on admet que la loi puissance est valable jusqu’aux plus petites chutes, il est donc possible de calculer le taux d’érosion tous volumes confondus : E=0VdF=Ast(1B)Vmax(1B).(11)

Mais on ne peut pas toujours le faire à partir de la relation volume-fréquence des blocs, car le paramètre b est fréquemment supérieur à 1, ce qui implique que l’intégrale diverge lorsque v1 tend vers 0.

Notons que quelques auteurs ont proposé d’utiliser une loi de Pareto généralisée comme loi de distribution des volumes de blocs, plutôt qu’une loi puissance (De Biagi et al., 2017 ; Farvacque et al., 2019).

thumbnail Fig. 2

Calcul du taux d’érosion : a : dû aux volumes entre V1 et V2 ; b : dû aux volumes supérieurs à V1.

Calculating erosion rate: a: due to volumes between V1 et V2; b: due to volumes bigger than V1.

2.3 Probabilité d’occurrence

On admet généralement que l’occurrence temporelle des éboulements suit une loi de Poisson, ce qui signifie que la probabilité qu’il se produise N évènements durant une période T est : P(N,T)=eFT(FT)N/N!(12)

Et que la probabilité qu’il se produise au moins un évènement est : P(N>0,T)=1eFT.(13)

Si le nombre moyen d’évènements durant une période T est petit devant 1 (FT << 1), cette probabilité est voisine de FT. Si une fréquence annuelle est petite devant 1, elle est donc voisine de la probabilité qu’il se produise au moins un évènement en une année. Mais la probabilité qu’il se produise au moins un évènement durant la période de retour (Tr = 1/F) n’est pas de 1 mais de 0,63.

3 Estimation de la fréquence de départ des éboulements

3.1 Approche historique

L’approche historique consiste à utiliser un inventaire des éboulements survenus durant une période connue, dans une zone relativement homogène d’un point de vue géologique, géomorphologique et climatique. Cet inventaire doit comporter au minimum les volumes des éboulements afin de pouvoir déterminer leur distribution (Fig. 1a) et leur fréquence spatiotemporelle. Il peut être établi à partir :

  • de mesures topographiques successives de la falaise (par photogrammétrie ou scan laser) ;

  • d’un inventaire historique ;

  • de l’étude des cicatrices et des dépôts d’éboulements (avec une incertitude sur la durée couverte).

Selon les conditions, le seuil de détection des mesures topographiques varie de moins de 10−3 m3 (Barlow et al., 2012) à 10−1 m3. Les périodes couvertes par ces mesures sont généralement limitées à quelques années, mais devraient s’allonger du fait de leur développement important. Les inventaires historiques couvrent souvent plusieurs décennies, mais ne sont exhaustifs qu’à partir d’un certain volume, de l’ordre de 100 ou 1000 m3. Ils complètent donc les inventaires instrumentaux, qui ne comportent pas toujours de tels volumes. Comme préconisé dans le guide PPR mouvements de terrain (MATE/METL, 1999) pour la démarche d’expertise, « il est opportun d’analyser le ou les phénomènes pris en compte sur la totalité de l’unité physique concernée par leur manifestation. Cette unité, que l’on peut qualifier de bassin d’aléa ou par extension de bassin de risque, peut être définie et délimitée par un contexte géologique, morphologique et structural où les facteurs d’instabilité, les mécanismes de rupture ou de propagation sont similaires ».

Si le nombre d’évènements est suffisant, leur fréquence peut être modélisée par une loi puissance afin de construire un modèle d’érosion (Sect. 2) défini par les paramètres Ast (activité), B (uniformité) et Vmax (volume maximal possible). Comme la période couverte par l’inventaire (période d’observation) est généralement plus courte que la période de retour de Vmax, ce dernier est souvent supposé plus gros que le plus gros volume observé et peut être estimé par expertise, par étude des cicatrices et des dépôts d’anciens éboulements et par analyse des compartiments potentiellement instables (Mavrouli et Corominas, 2020). En première approximation, on peut estimer qu’il ne peut excéder H3/2 pour une falaise de hauteur H (Hantz et Levy, 2019). Notons que les plus gros éboulements (plus gros qu’1 hm3 ?) se produisent rarement sans signes précurseurs observables par les riverains. Ils peuvent donc être traités différemment en matière d’analyse du risque.

Différents taux d’érosion peuvent être calculés à partir d’un inventaire :

  • le taux observé (volume total des chutes divisé par la période et la surface) ;

  • le taux modélisé par une relation volume-fréquence dans la plage de volume observée ;

  • le taux modélisé par une relation volume-fréquence extrapolée dans une plage de volume définie par un volume minimal (limite de validité de la loi par exemple) et un volume maximal (le volume maximal possible par exemple).

L’influence de la fréquence des mesures sur l’estimation des volumes des évènements a été discutée par Barlow et al. (2012). Dans le cas d’un inventaire instrumental, un éboulement est détecté par la variation de la surface rocheuse entre deux mesures, mais cette variation peut être due à plusieurs éboulements survenus à des dates différentes. De même, un éboulement rapporté dans un inventaire historique peut s’être produit en plusieurs phases espacées de quelques minutes ou quelques heures sans que cela soit mentionné. La fréquence d’échantillonnage a donc une influence sur la relation volume-fréquence (mais pas sur le taux d’érosion observé). En toute rigueur, on pourrait définir l’évènement départ d’un éboulement comme la chute d’éléments rocheux en contact les uns avec les autres lorsqu’ils se détachent de la falaise. Si des éléments se détachaient seulement quelques secondes plus tard, ils constitueraient un autre éboulement. Avec cette définition, il faudrait analyser une vidéo pour distinguer les évènements. En pratique, il est peu probable qu’un témoin soit capable de rapporter plusieurs phases d’un éboulement si celles-ci sont séparées de moins d’une minute. On pourrait aussi définir un évènement comme le détachement d’éléments rocheux adjacents, provoqué par le (ou les) même(s) facteur(s) déclenchant(s). Cela conduirait à accepter des interruptions plus longues, pouvant aller jusqu’à plusieurs heures (durée d’un épisode pluvieux par exemple).

Pour exploiter un inventaire d’éboulements, nous proposons ici de définir un évènement comme le détachement d’éléments rocheux adjacents entre deux instants de mesure (scan laser ou photo) ou d’observation (témoins), sachant que ces éléments ont pu se détacher en plusieurs phases. Les volumes des éboulements détectés dépendent donc de la fréquence d’échantillonnage, ainsi que l’estimation du volume maximal possible à considérer. À la limite, si l’intervalle entre les mesures était suffisamment long pour que la surface entière de la falaise se renouvelle, on ne détecterait qu’un éboulement. En pratique, pour les inventaires que nous avons analysés, on peut considérer que les éboulements détectés ou observés se sont produits en quelques minutes. En effet, la falaise de montagne la plus active que nous avons étudiée (située dans les chaînes subalpines) a été photographiée toutes les 10 min et la grande majorité des cicatrices détectées se sont formées dans ces intervalles (D’Amato, 2015). Ce n’est pas le cas pour les falaises côtières britanniques étudiées par Barlow et al. (2012), où la fréquence spatiotemporelle des chutes est beaucoup plus élevée et les volumes minimaux détectés plus petits. Il en résulte que la relation volume-fréquence est sensiblement différente entre des intervalles de un mois et un intervalle de 18 mois.

Si les évènements sont trop peu nombreux pour ajuster une relation volume-fréquence, on peut néanmoins estimer une fréquence d’éboulements supérieurs à un certain volume. En admettant que le nombre de chutes sur une certaine durée soit régi par la loi de Poisson, si dans une plage de volume, on n’observe qu’un seul évènement sur une certaine durée, on peut en conclure (avec un niveau de confiance de 95 %) que l’espérance de ce nombre est supérieure à 0,025 et inférieure à 5,6, ce qui donne un facteur d’incertitude de 15 si l’on choisit la moyenne géométrique de ces deux valeurs pour caractériser la fréquence de chute. Si l’on observe dix évènements, on peut en conclure que le nombre moyen de chutes est compris entre 5 et 18. Le facteur d’incertitude sur la fréquence n’est plus que de 2, valeur acceptable si l’on vise un facteur d’incertitude inférieur à 10 sur l’aléa résultant. Si l’on n’observe aucun éboulement, on peut en conclure que le nombre moyen est compris entre 0 et 3. On obtient alors une limite supérieure pour la fréquence de chute. Le tableau 1 donne l’intervalle de confiance (à 95 %) du nombre moyen de chutes sur une certaine durée et le facteur d’incertitude associé, en fonction du nombre observé sur la période d’observation.

Tableau 1

Estimations par défaut et par excès de l’espérance (nombre moyen) du nombre de chutes sur une certaine durée, en fonction du nombre observé sur une période de même durée (loi de Poisson, niveau de confiance 95 %) ; moyenne géométrique de ces estimations et facteur d’incertitude.

Minimal and maximal estimation of the rockfall number for a given time length, as a function of the observed number (Poisson’s law, 95% confidence interval); geometric mean and uncertainty factor.

3.2 Approche empirique

Alors que l’approche historique utilise les évènements passés du bassin d’aléa pour caractériser l’aléa de départ, l’approche empirique applique la notion « d’expérience comparable » (selon les termes de l’Eurocode 7) qui consiste à utiliser l’expérience acquise sur d’autres sites présentant des caractéristiques similaires. Pour développer cette approche, nous avons suivi pendant plusieurs années des falaises présentant des caractéristiques géologiques, géomorphologiques et climatiques différentes, afin d’y déterminer la fréquence d’éboulements et de dégager des ordres de grandeur en fonction de ces caractéristiques. La figure 3 représente les valeurs du paramètre d’activité Ast obtenues pour 13 falaises. L’analyse de ces résultats suggère que les différences importantes observées sont dues essentiellement à la structure des massifs rocheux (Fig. 5) et au contexte géomorphologique (Hantz et Levy, 2019). Les deux valeurs les plus élevées sont obtenues pour des falaises côtières. Les autres valeurs correspondent à des falaises continentales de moins de 2000 m d’altitude. Dans l’ensemble, les falaises les plus massives (dans le rectangle à gauche sur la Fig. 3) montrent une activité nettement plus faible que les falaises plus stratifiées. Pour le paramètre d’uniformité B (Fig. 4), le contexte géomorphologique n’a plus d’influence puisque les falaises côtières ne se distinguent pas. On constate que les falaises les plus massives (rectangle à gauche) présentent des valeurs plus faibles (< 0,5). Dans ces falaises, l’activité géomorphologique est faible, mais il peut se produire de plus gros éboulements. C’est donc essentiellement la structure du massif qui détermine B.

À partir de ces résultats, nous proposons une méthode simplifiée d’estimation des paramètres Ast et B pour les falaises continentales d’altitude inférieure à 2000 m (Fig. 5). Pour estimer B, qui caractérise l’invariance d’échelle de la loi puissance, nous avons utilisé la description adimensionnelle de la structure du massif rocheux utilisée par Hoek (2007). Pour Ast, le principal facteur d’influence semble être l’espacement des discontinuités principales (stratification pour les roches sédimentaires). L’ordre de grandeur de Ast peut être donné par l’expression : Ast=10log(10S),(14) dans laquelle S est l’espacement en mètre et Ast l’activité en nombre de chutes de plus de 1 m3 par an et par hm2. Notre étude n’a pas mis en évidence une influence des caractéristiques géomécaniques sur la fréquence des chutes. Il semble que celles-ci déterminent plutôt la pente prise par le versant au cours de sa dénudation naturelle ou la pente d’équilibre d’un déblai anthropique.

La méthode proposée est appelée à évoluer avec l’accroissement prévu du nombre de falaises étudiées. Elle permet néanmoins d’avoir une idée de l’ordre de grandeur de la fréquence d’éboulement. En termes de risque humain, une incertitude d’un facteur 10 sur la fréquence permet de comparer le risque à un critère d’acceptabilité qui est généralement défini par une puissance de 10 (une probabilité annuelle de décès de 10−5 est souvent adoptée pour le risque individuel acceptable).

thumbnail Fig. 3

Paramètre d’activité (Ast) avec son incertitude à 95 % de confiance.

Activity parameter (Ast) with 95% confidence interval.

thumbnail Fig. 4

Paramètre d’uniformité (B) avec son incertitude à 95 % de confiance.

Uniformity parameter (B) with 95% confidence interval.

thumbnail Fig. 5

Estimation des paramètres de la relation volume-fréquence. La figure de gauche est extraite de Hoek (2007).

Estimating the parameters of the volume-frequency relation. Left figure from Hoek (2007).

4 Estimation de la fréquence de départ des blocs

4.1 Approche historique

Un inventaire exhaustif des volumes des blocs déposés sur la totalité du versant pendant une période connue suffisamment longue permettrait de déterminer la fréquence de départ des blocs en l’absence de fracturation. Nous ne connaissons pas de tels inventaires, car les inventaires historiques mentionnent généralement le volume total de chaque éboulement recensé mais pas le volume de chacun des blocs tombés d’une falaise. Il existe cependant des inventaires historiques de blocs tombés sur une infrastructure de transport. On peut également effectuer un relevé instantané des blocs retenus par un ouvrage de protection pendant une période connue. Mais dans les deux cas, ils ne comportent en général pas la totalité des blocs tombés de la falaise. Une étude trajectographique est alors nécessaire pour estimer la proportion de blocs qui a été inventoriée et remonter ainsi à la fréquence de départ (Moos et al., 2018). En l’absence d’inventaire historique de blocs, on peut effectuer un relevé instantané des blocs déposés sur le versant et estimer grossièrement la durée de dépôt, mais l’incertitude est grande (Farvacque et al., 2019). Moos et al. (2018) proposent une méthode plus précise, qui consiste à compter les impacts sur les arbres (d’âge connu) produits par les blocs de plus de 0,001 m3, à en déduire la fréquence de ces blocs, puis à utiliser la loi de distribution des volumes de bloc obtenue par relevé instantané des blocs de plus de 0,05 m3 pour en déduire leur fréquence temporelle. De Biagi et al. (2017) proposent une approche dans laquelle la « fréquence relative » (loi de distribution des volumes de blocs) est convertie en fréquence temporelle grâce à un inventaire historique qui serait insuffisant à lui seul pour ajuster une relation volume-fréquence. En d’autres termes, le relevé de blocs permet d’estimer le paramètre d’uniformité b, et l’inventaire historique le paramètre d’activité ast. Cette approche est proposée pour l’estimation directe de la fréquence d’atteinte d’une zone d’enjeu, mais le principe peut être appliqué pour estimer la fréquence de départ.

Le fait d’assimiler la fréquence des blocs déposés à leur fréquence de départ suppose de négliger la fracturation qui se produit lors des impacts. Cela conduit à simuler plus de trajectoires mais avec des blocs plus petits que ceux qui se détachent de la falaise. Cependant, en admettant que l’essentiel de la fracturation se produise lors des premiers impacts, on peut considérer que la plus grande partie des trajectoires est bien simulée.

4.2 Approche empirique

Comme il n’existe que très peu d’inventaires historiques de départs de bloc ou d’estimations indirectes de la fréquence de départ, nous ne pouvons pas proposer de méthode d’estimation empirique du paramètre d’activité en termes de fréquence de blocs (ast), comme nous l’avons fait en termes de fréquence d’éboulements (Ast). En revanche, nous avons recensé 28 analyses (effectuées par sept équipes différentes) de la distribution des volumes de blocs déposés, à partir d’inventaires comportant entre 17 et 2700 blocs. Le paramètre d’uniformité b varie entre 0,47 et 1,37 avec une moyenne de 0,90 et un écart-type de 0,22. Si l’on ne retient que les inventaires de plus de 100 blocs, la moyenne est de 0,95 et l’écart-type de 0,18.

4.3 Approche par le taux d’érosion

Hantz et al. (2016) ont proposé une méthode d’estimation du paramètre d’activité ast à partir du taux d’érosion (Sect. 2.2). La somme des volumes des éboulements étant égale à la somme des volumes des blocs, le taux d’érosion calculé à partir de la fréquence des éboulements (Eq. (4) ou (6)) peut être introduit dans l’équation (7) ou (8). Si b et vmax sont connus, on peut calculer ast. Le volume vmax peut être estimé par expertise et b à partir d’un relevé de blocs déposés sur le site. Pour couvrir une plage de volume assez étendue vers le bas, il est préférable d’effectuer un relevé sur un dépôt d’éboulement récent car les petits blocs risquent moins d’être cachés. En outre, cela permet de connaître la hauteur de chute libre. En l’absence de relevé, une valeur moyenne de 1 peut être utilisée (Eq. (9) ou (10)).

5 Conclusion

La fréquence spatiotemporelle de départ des éboulements peut être quantifiée à partir d’un inventaire historique ou de mesures topographiques de la falaise suffisamment espacées dans le temps. Si le nombre d’évènements est suffisant, la fréquence peut être reliée au volume par une loi puissance définie par un paramètre d’uniformité (l’exposant) et un paramètre d’activité (la fréquence des éboulements plus gros qu’un certain volume). S’il y a peu d’évènements, on peut néanmoins estimer un paramètre d’activité. La caractérisation complète de l’aléa nécessite également d’estimer le volume maximal possible d’un éboulement, si l’on veut estimer le taux d’érosion.

En l’absence de données sur une falaise étudiée, les paramètres de la loi puissance peuvent être estimés à partir d’une classification des falaises basée sur la structure du massif rocheux (densité et continuité des joints).

La fréquence spatiotemporelle de départ des blocs peut rarement être déterminée directement, mais elle peut être estimée à partir du taux d’érosion en adoptant une valeur empirique de 1 pour le paramètre d’uniformité des blocs et en estimant le volume maximal possible d’un bloc.

La prise en compte de la fréquence de départ d’éboulements ou de blocs dans la simulation des trajectoires permet d’estimer quantitativement la fréquence d’atteinte d’un emplacement (Hantz et al., 2017).

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Citation de l’article : Didier Hantz, Bastien Colas, Thomas Dewez, Clara Lévy, Jean-Pierre Rossetti, Antoine Guerin, Michel Jaboyedoff. Caractérisation quantitative des aléas rocheux de départ diffus. Rev. Fr. Geotech. 2020, 163, 2.

Liste des tableaux

Tableau 1

Estimations par défaut et par excès de l’espérance (nombre moyen) du nombre de chutes sur une certaine durée, en fonction du nombre observé sur une période de même durée (loi de Poisson, niveau de confiance 95 %) ; moyenne géométrique de ces estimations et facteur d’incertitude.

Minimal and maximal estimation of the rockfall number for a given time length, as a function of the observed number (Poisson’s law, 95% confidence interval); geometric mean and uncertainty factor.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

a : nombre cumulé de chutes en fonction du volume; b : décomposition des compartiments en blocs représentés par des couleurs différentes.

a: cumulated number of rockfalls versus volume; b: decomposition of rockfalls into blocks represented by different colors.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Calcul du taux d’érosion : a : dû aux volumes entre V1 et V2 ; b : dû aux volumes supérieurs à V1.

Calculating erosion rate: a: due to volumes between V1 et V2; b: due to volumes bigger than V1.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Paramètre d’activité (Ast) avec son incertitude à 95 % de confiance.

Activity parameter (Ast) with 95% confidence interval.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Paramètre d’uniformité (B) avec son incertitude à 95 % de confiance.

Uniformity parameter (B) with 95% confidence interval.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Estimation des paramètres de la relation volume-fréquence. La figure de gauche est extraite de Hoek (2007).

Estimating the parameters of the volume-frequency relation. Left figure from Hoek (2007).

Dans le texte

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