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Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 172, 2022
Jeunes Chercheurs
Numéro d'article 4
Nombre de pages 13
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2022017
Publié en ligne 14 octobre 2022

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2022

1 Introduction

L’augmentation du trafic ferroviaire et des vitesses de circulation impose de grandes charges cycliques sur les plateformes (couche intermédiaire ou sous-couche et couche de forme). Ce phénomène, qui contribue à l’apparition de défauts de géométrie, est particulièrement présent sur les lignes classiques (vitesse ≤ 220 km/h) du Réseau Ferré National (RFN). Les défauts géométriques engendrés peuvent impacter la régularité et la performance des trains, ainsi que le confort passager. Ainsi, la SNCF s’est engagée dans d’importants efforts de régénération des lignes classiques. L’utilisation de géosynthétiques, plus particulièrement de géogrilles, permettrait de réaliser ces travaux plus rapidement tout en réduisant les volumes de matériaux nécessaires et en garantissant la durabilité des ouvrages. Les géogrilles présentent des ouvertures de maille de tailles et formes variées. Posées à l’interface de sols granulaires, elles permettraient d’améliorer les propriétés mécaniques de ces sols par verrouillage mécanique des grains dans les mailles (Carroll, 1998).

À l’heure actuelle, les connaissances sur le comportement mécanique des géogrilles et leur apport sous conditions opérationnelles dans le domaine ferroviaire sont limitées, surtout dans le contexte du Réseau Ferré National Français. La majorité des études dans le domaine se focalisent sur l’interaction des géogrilles avec le ballast. Ces études ont montré l’efficacité des géogrilles pour la réduction de l’usure et des tassements du ballast (Sharpe et al., 2006 ; Fernandes et al., 2008 ; Lenart et Klompmaker, 2014 ; Nimbalkar et Indraratna, 2016 ; Horníček et al., 2017). Néanmoins, elles ne permettent pas de tirer des conclusions satisfaisantes par rapport à l’amélioration des plateformes. De plus, pour plusieurs raisons, la pose d’une géogrille dans la couche de ballast ou directement en dessous, ne convient pas aux particularités du RFN (techniques de maintenance, trafic, etc.). D’où l’intérêt de mettre en place des expérimentations en conditions opérationnelles, pour quantifier les apports de géogrilles dans les couches sous ballast (sous-couche/couche de forme).

Cet article présente le renouvellement, l’instrumentation et le suivi préliminaire d’un tronçon qui est équipé pour une mesure dynamique des déformations de deux géogrilles différentes et des contraintes imposées sur la plateforme au-dessus et en dessous de ces géogrilles.

2 Le site instrumenté

Le site concerné par cette communication est constitué d’un tronçon de 50 m situé sur une ligne du réseau de Transport Express Régional (TER) de Bourgogne-Franche-Comté. La ligne comprend deux voies pouvant être circulées jusqu’à 120 km/h et elle subit un trafic journalier de 3500 à 7000 tonnes équivalentes, principalement constitué de trains voyageurs. La portion instrumentée du site est adjacente au quai d’une petite gare d’un côté (voie 1) et à un fossé de drainage de l’autre côté (voie 2). Deux trains s’arrêtent à la gare chaque jour, un le matin et l’autre le soir. Tous les autres trains traversent le site à pleine vitesse. Le site a été instrumenté à l’occasion de travaux de modernisation de la ligne au cours du premier semestre 2020. Le renouvellement de la structure d’assise a commencé en mars 2020, mais a été retardé jusqu’en mai à cause du premier confinement de la pandémie de la Covid-19. Par conséquent, la suite des travaux a pris de retard et la ligne est restée fermer jusqu’en août 2020.

Les études d’avant-projet ont mis en évidence plusieurs problèmes de drainage et la présence un sol-support peu portant, composé de sable limoneux avec des poches de gravier alluvial (gravier roulé). Ensemble, ces problèmes ont entraîné une remontée de fines sous l’effet des charges dynamiques du trafic, provoquant ainsi une détérioration accélérée de la géométrie de la voie. Un renouvellement des couches d’assises (couche de forme et sous-couche) s’est imposé, car un simple renouvellement du ballast et des traverses aurait pu aggraver la situation. Cependant, le budget disponible était insuffisant pour réaliser les excavations nécessaires pour reconstituer une couche de forme et une sous-couche selon les prescriptions habituelles. Il a donc été proposé de limiter l’excavation (au maximum) à 600 mm sous le niveau inférieur des traverses (NIT) et créer une sous-couche améliorée par géogrille. Un géotextile de séparation/filtration a été placé sous la géogrille et un fossé de drainage a été construit pour éliminer le problème de remontée de fines. Ce contexte présentait une occasion idéale pour mettre en place un suivi, donc la voie 1 a été instrumentée.

Pour vérifier les hypothèses de base, la portance du sol-support a été mesurée sur le fond de fouille à l’aide d’une plaque dynamique légère (Minidyn™). La Minidyn™ a une plaque de diamètre 30 cm et un mouton de 10 kg, qui transmet 98,1 J au sol à chaque impact. Elle peut être utilisée pour mesurer des modules de 10 à 80 MPa (Rincent ND Technologies, 2017). Sur 60 essais MinidynTM réalisés, 55 ont mesuré un module Ev2 inférieur à 30 MPa (Fig. 1). Ces résultats confirment que, sans amélioration, le sol naturel n’aurait pas pu supporter la voie. Notons que :

  • Chaque résultat d’essai est la valeur moyenne obtenue après trois impacts. Le premier impact est principalement utilisé pour établir un bon contact avec le sol et les autres sont utilisés pour déterminer les modules réels ;

  • Plusieurs valeurs anormalement élevées (> 30 MPa) ont été relevées, notamment dans la partie gauche du site. Elles sont dues à la présence de poches de gravier dans le sol-support. En excluant ces valeurs, le module moyen d’Ev2 est de 23,9 MPa avec un écart type de 4,8 MPa.

Le tronçon expérimental est divisé en trois zones : GGR1, REF et GGR2 (Fig. 2). Les géogrilles instrumentées sont identiques, à l’exception de leurs raideurs radiales sécantes. Ces deux géogrilles ont été sélectionnées pour étudier l’influence de la raideur sur leur performance. Le géotextile de séparation/filtration est un des produits standard posés sur le RFN et il est présent sur les trois zones. Les caractéristiques des géosynthétiques sont résumées dans le tableau 1.

Chaque zone contient deux ou trois sections instrumentées (traverses grises, Fig. 2) repérées par rapport à un passage à niveau qui se trouve à l’entrée du site. La longueur des zones instrumentées a été choisie en fonction des contraintes logistiques tout en tenant compte du fait que la charge d’une roue est généralement répartie sur cinq traverses (Fig. 4). Ainsi, un espacement minimal de 1,5 m a été respecté entre chaque section instrumentée. Cet espacement garantit que les mesures de sections adjacentes ne se chevauchent pas.

Globalement, le site comprend des jauges de déformation, des sondes de température et des cellules de pression totale (CPT). Leurs caractéristiques sont résumées dans le tableau 2.

Les jauges de déformation sont utilisées pour mesurer la déformation transversale des brins des géogrilles. Ces mesures permettent de s’assurer que les géogrilles sont effectivement mobilisées durant la vie de l’ouvrage. Neuf jauges de déformation ont été installées sur chaque géogrille instrumentée (Fig. 5). Elles sont nommées GGRx_Sy_z avec « x » le numéro de la géogrille (1 ou 2), « y » le numéro de la section transversale (1 à 3) et « z » la position par rapport à l’axe longitudinal de la voie (1 à 3). Chaque jauge est protégée par une couche de résine enveloppée entre deux feuilles d’aluminium. Cette protection a été conçue par Doerler Mesures pour avoir le moins d’effet possible sur les mesures.

Les sondes de température sont utilisées pour mesurer les variations de température à proximité des géosynthétiques. Ces mesures permettent de vérifier les températures réelles dans les structures d’assises et d’en tenir compte dans l’analyse des autres mesures. Elles ont été incluses sachant que les matériaux polymères (c’est-à-dire les géogrilles) se comportent différemment à différentes températures. Une sonde de température (PT100) est placée sur le géotextile à chaque section instrumentée (Fig. 6). Elles sont nommées PT100_GGRx ou PT100_REFx en fonction du type de section.

Les CPT sont utilisées pour mesurer les contraintes dans le sol-support (en dessous des géogrilles) et la sous-couche (au-dessus des géogrilles). Elles ont des thermocouples intégrés utilisés pour corriger les variations de pression induites par les variations de température. Si la géogrille permet d’élargir l’angle de répartition des charges dans le sol, ces contraintes mesurées devraient éventuellement être plus faibles dans les sections qui comprennent les géogrilles que dans les sections de contrôle. Deux sections ne comprennent pas de CPT, deux ne comprennent une CPT que dans le sol-support, et les quatre autres comprennent deux CPT (Fig. 6). Elles sont nommées TPC_GGRx ou TPC_REFx avec un suffixe indiquant s’ils se trouvent dans le sol-support (subgrade) ou dans la sous-couche (subballast). Chaque CPT est enrobée par un lit de sable fin afin d’assurer un bon contact avec le sol (Fig. 7).

L’instrumentation comprend également des ponts des jauges (appelés Pont-Q) collés sur chaque rail à l’entrée et à la sortie du tronçon suivi. Les Pont-Q sont utilisés pour mesurer les déformations des rails au passage d’un essieu. Connaissant les caractéristiques mécaniques du système rail-fixation, la charge à l’essieu peut être calculée en utilisant un algorithme développé par SNCF Réseau (DTR DGII – GC VA – TM3). Ce même système est utilisé pour détecter l’arrivée des trains et déclencher l’enregistrement des données. L’ordre de déclenchement des Pont-Q et le décalage entre les déclenchements (à chaque extrémité du site) confirme le sens et la vitesse de circulation du train.

Tous les capteurs sont reliés à un data-logger CRONOSflex équipé d’un modem 4G pour permettre la télésurveillance. Le CRONOSflex réalise un échantillonnage (à 2000 Hz en continu) sur toutes les voies de mesure et stocke environ une heure de mesures dans sa mémoire vive (RAM). Lorsqu’un Pont-Q est déclenché, le CRONOSflex transcrit un intervalle de données dans un tableau sur son disque dur. Cet intervalle correspond à une période commençant trois secondes avant le premier déclenchement (à l’entrée du site) et trois secondes après le dernier déclenchement (à la sortie du site). Ainsi, chaque passage de train est enregistré sous forme de données brutes (A et mV), dans un tableau individuel. Tous les jours à minuit, les tableaux enregistrés sont envoyés sur un serveur au siège de SNCF Réseau. Les données brutes contenues dans ces tableaux sont converties en valeurs physiques (kN, μm/m, °C), leurs signaux sont ensuite filtrés et le résultat est analysé en utilisant des graphiques ou des outils statistiques.

thumbnail Fig. 1

Vue en plan des modules Ev2 du sol-support de la voie 1 (en MPa). La distance entre les axes de chaque traverse est de 60 cm, et les traverses grises sont des sections instrumentées.

Plan view of the Ev2 moduli of the subgrade on track 1 (in MPa). The distance between the axes of each sleeper is 60 cm, and the gray sleepers are instrumented cross-sections.

thumbnail Fig. 2

Aménagement du site.

Site layout.

Tableau 1

Caractéristiques des géosynthétiques utilisés sur le site.

Characteristics of the geosynthetics used on site.

thumbnail Fig. 3

Hauteur hexagonale d’une géogrille avec des ouvertures triangulaires.

Hexagonal height of a geogrid with triangular apertures.

thumbnail Fig. 4

Répartition typique de la charge d’une roue sur cinq traverses (Selig et Waters, 1994).

Typical wheel load distribution across five sleepers (Selig and Waters, 1994).

Tableau 2

Caractéristiques des capteurs.

Sensor specifications.

thumbnail Fig. 5

Positions des jauges de déformation sur une géogrille instrumentée. Les rectangles vides représentent les positions estimées des traverses au-dessus des jauges de contrainte.

Strain gauge positions on an instrumented geogrid. The empty rectangles represent the estimated positions of sleepers above the strain gauges.

thumbnail Fig. 6

Coupes transversales instrumentées ; montrant les positions des jauges de contrainte (croix, DEF), des capteurs de température (petites barres horizontales, PT100) et des cellules de pression totale (grandes barres horizontales, TPC).

Instrumented cross-sections; showing the positions of the strain gauges (crosses, DEF), the temperature sensors (small horizontal bars, PT100) and the total pressure cells (large horizontal bars, TPC).

thumbnail Fig. 7

Installation d’une cellule de pression totale (CPT) sur le site.

Total pressure cell (TPC) installation on site.

3 Premiers résultats

La plupart des enregistrements correspondent à la circulation de trains voyageurs à des vitesses comprises entre 115 et 120 km/h. Les signaux des Pont-Q ont permis l’identification de chaque train. Ainsi, l’on sait que les trains les plus courant sur la ligne sont des trains TER de type Bombardier B 81500 composés de quatre voitures dont deux motrices (Fig. 8). La figure montre également le profil de charge le plus courant pour ces trains. Toutes les données dans cette section proviennent de trains dont les charges aux essieux sont égales à celles présentées sur la figure 8, plus ou moins 5 kN.

Notons que la convention géotechnique est utilisée. Ainsi, les valeurs positives représentent la compression/contraction, tandis que les valeurs négatives représentent la traction/extension dans toutes les figures.

thumbnail Fig. 8

Train Bombardier B 81500 (variante à 4 voitures) et son profil de charge à l’essieu tel que mesuré sur le site.

Bombardier Class B 81500 passenger train (4-car variant) and its axle load profile as measured on site.

3.1 Mesures de déformation

La première observation concernant les mesures de déformation est que les signaux non filtrés étaient initialement extrêmement bruités. Ils se sont stabilisés au cours des trois premiers mois de circulation (Fig. 9). Selon une première hypothèse, ce lissage aurait pu être dû à une augmentation de la teneur en eau de la sous-couche grâce aux évènements pluvieux durant les premiers mois. En effet, la première mesure a été enregistrée après une longue période sèche et un sol sec a tendance à amplifier les effets dynamiques. Cependant, les signaux sont restés relativement lisses durant les périodes sèches de l’été qui a suivi. Par conséquent, la réduction du bruit initial peut être attribuée à un réarrangement des grains de la sous-couche et à la mise en place d’un bon enchevêtrement de ces grains dans les mailles des géogrilles. Cette conclusion est étayée par le fait que d’autres auteurs ont précédemment observé qu’il faut environ trois mois pour que la stabilisation soit effective (Lenart et Klompmaker, 2014 ; Nimbalkar et Indraratna, 2016). Néanmoins, ce délai ne doit être considéré que comme une indication générale parce que ces auteurs n’ont pas indiqué le volume de trafic journalier et toutes les lignes ferroviaires ne reçoivent pas le même trafic.

Malgré ce lissage naturel des signaux, ils contiennent encore des distorsions (à haute fréquence) qui pourraient être attribuées aux composantes dynamiques du chargement de la voie. Par conséquent, les signaux ont été filtrés en utilisant un filtre passe-bas (Fig. 10). Tous les signaux présentés dans la suite de cette communication sont des signaux filtrés.

Sur les premières mesures, on remarque que les amplitudes des déformations transitoires (au passage d’un train) varient plus significativement entre différentes sections d’une même géogrille qu’entre les deux géogrilles (Fig. 11), soit une variation de 200 à 700 μm/m pour les deux géogrilles. La variation de l’amplitude des déformations est probablement le résultat de la variation du module Ev2 du sol-support. Les déformations semblent être plus faibles dans les sections situées au-dessus des zones les plus rigides. Cependant, ce n’est pas aussi simple, car il faut aussi tenir compte de l’hétérogénéité du matériau de sous-couche (grave de 0 à 31,5 mm) et de l’effet dynamique des bogies adjacents. Ce disant, les positions des jauges GGR1_S3_3 et GGR2_S3_3 sont les plus comparables. Elles seront donc utilisées pour représenter les déformations dans GGR1 et GGR2, respectivement.

Avec le temps, l’amplitude des déformations transitoires diminue (Fig. 12). Bien que cette diminution soit remarquable pour les deux géogrilles, elle l’est nettement plus sur GGR1 (environ 100 μm/m pour GGR1 et 200 μm/m pour GGR2). En effet, on observe que la géogrille GGR1 écrête progressivement les doubles pics de déformation de chaque bogie (un pour chaque roue). Cet écrêtement des pics pourrait indiquer que les charges sont réparties plus uniformément dans la souche-couche contenant GGR1. Ceci n’est pas surprenant car la géogrille GGR1 est la plus rigide des deux géogrilles. À terme, on s’attend à ce que les deux géogrilles atteignent un état stable, où les déformations transitoires cesseront d’évoluer. Ensuite, le fluage devrait prendre le dessus. L’instrumentation étant conçue pour une durée de service de dix ans, on espère pouvoir mesurer ces phénomènes.

thumbnail Fig. 9

Stabilisation des signaux de déformation après trois mois de trafic ; exemple de GGR1.

Stabilisation of strain signals after three months of traffic; example from GGR1.

thumbnail Fig. 10

Déformations des brins des géogrilles ; signaux bruts (a) et signaux filtrés (b).

Geogrid rib strain; unfiltered signals (a) and filtered signals (b).

thumbnail Fig. 11

Toutes les déformations induites par un train donné ; sur GGR1 (a) et GGR2 (b).

All the strains produced by a given train; on GGR1 (a) and GGR2 (b).

thumbnail Fig. 12

Évolution des déformations transitoires de décembre 2020 à octobre 2021 ; GGR1 (a) et GGR2 (b).

Evolution of transient strain values from December 2020 to October 2021; GGR1 (a) and GGR2 (b).

3.2 Mesures de contraintes

Un calcul basé sur la théorie élastique de Boussinesq (1885) et les tables de Giroud (1973) indiquait qu’il fallait s’attendre à une surcharge d’environ 50 kPa dans une sous-couche chargée par un essieu de 150 kN. Dans la réalité, les contraintes mesurées sont assez proche de celles attendues (Fig. 13). Une analyse similaire peut être étendue à la contrainte dans l’infrastructure, où la contrainte attendue était de 35 kPa et celle mesurée varie de 30 à 40 kPa (Fig. 14).

Un exercice plus intéressant consiste à isoler un bogie et à analyser l’évolution des surcharges qu’il induit dans chaque section. La figure 15 présente cet exercice pour le premier bogie du TER B 81500, chargé à environ 150 kN par essieu. Les surcharges dans la sous-couche sont à gauche et celles dans le sol-support sont à droite de la figure. En supposant que les granulats s’enchevêtrent bien dans les mailles et que chaque géogrille repartit efficacement les charges, on peut s’attendre à observer une diminution de la surcharge dans la sous-couche. Ceci est avéré pour la section GGR1, mais pas pour la section GGR2 ; c’est-à-dire que la surcharge mesurée dans la sous-couche a diminué dans la section GGR1 et augmenté dans la section GGR2. Une première approche d’explication stipule que :

  • la surcharge diminue lorsque la sous-couche raidit au fur et à mesure que l’enchevêtrement se développe et ceci étale la sollicitation d’un essieu sur une plus grande surface ;

  • la surcharge augmente lorsque la raideur de la sous-couche est insuffisante pour empêcher une concentration des charges sur la CPT.

Étant donné que la raideur est la seule caractéristique qui différencie GRR1 et GGR2, ces observations (si elle sont confirmées) pourraient aider à déterminer une raideur minimale requise pour les géogrilles sur le RFN.

Dans le sol-support, on s’attendait à ce que la surcharge se comporte de la même manière que dans la sous-couche ; c’est-à-dire qu’elle diminue dans les sections contenant les géogrilles et qu’elle augmente dans les sections de contrôle. Etonnamment, les géogrilles ne semblent pas affecter l’évolution de la surcharge dans le sol-support. Les sections GGR1 et REF1 présentent une diminution des surcharges, tandis que les sections GGR2 et REF2 ne présentent aucun changement. Il semble que cette différence est due à la raideur initiale du sol-support. En effet, GGR1 et REF1 se trouvent sur la moitié la plus raide du site, tandis que GGR2 et REF2 se trouvent sur la moitié la plus faible. La réduction de surcharge dans le sol-support de GGR1 et REF1 pourrait s’expliquer de la même façon que la réduction de la contrainte dans la sous-couche de GGR1 ; c’est-à-dire par le raidissement du sol environnant. Par contre, la constance de la surcharge dans le sol-support de GGR2 et REF2 nous laisse perplexe.

Pour mieux comparer le comportement entre les différentes sections, le rapport entre la surcharge mesurée dans la sous-couche et celle mesurée dans le sol-support a été calculé à partir de la surcharge maximale mesurée pour chaque train (ratio de transfert, Éq (1)).

ratio de transfert = T P C sol-support T P C sous-couche . (1)

Ce ratio a ensuite été tracé en fonction de la charge à l’essieu correspondante, pour chaque section (Fig. 16) ; notons que tous les trains enregistrés sont inclus dans les graphiques. On distingue trois groupes distincts sur chaque graphique : les deux groupes dont les charges par essieu sont inférieures à 160 kN sont des trains voyageurs (principalement des trains B 81500), et les autres sont des trains de fret. Les moyennes pondérées (ou centroïdes) des trains voyageurs sont indiquées par des triangles rouges et celles des trains de fret sont indiquées par des cercles noirs. Ces valeurs sont résumées dans le tableau 3.

Globalement, on s’attendait à avoir un ratio de transfert plus élevé dans les sections contenant les géogrilles par rapport à leurs sections de contrôle respectives. En effet, si une géogrille confine effectivement les granulats, la contrainte verticale doit être réduite au-dessus de la géogrille (dans la sous-couche). Par conséquent, le dénominateur de l’équation ci-dessus est réduit et le ratio de transfert croît. Une fois de plus, seul GGR1 se comporte comme attendu. Les ratios de transfert sont nettement plus élevés pour GGR1 que pour les autres sections. GGR2 se comporte essentiellement comme s’il n’y avait pas de géogrille, sauf lorsqu’elle est sollicitée par des trains de fret. Il semble donc qu’il y ait un seuil au-delà duquel la géogrille GGR2 est mobilisée, ce qui signifierait que GGR2 n’est pas assez raide pour être mobilisée à de petites déformations. Ceci limite donc l’utilité de la géogrille GGR2 sur les lignes où la plupart du trafic est composé de trains voyageurs.

Enfin, notons que le ratio de transfert englobe plusieurs variables qui interagissent entre elles, notamment la charge à l’essieu, la portance du sol-support, ainsi que le rapport entre les modules de la sous-couche et du sol-support (qui varie en fonction de l’efficacité des géogrilles). Ce ratio n’est donc qu’une première approche de comparaison. Une analyse plus approfondie est nécessaire pour démêler les relations entre ces variables et éventuellement trouver un meilleur indicateur de performance.

thumbnail Fig. 13

Surcharges induites dans la sous-couche par un train B 81500.

Surcharges induced in the subballast by a B 81500 train.

thumbnail Fig. 14

Surcharges induites dans le sol-support par un train B 81500.

Surcharges induced in the subgrade by a B 81500 train.

thumbnail Fig. 15

Comparaison entre les surcharges induites par un bogie du train B 81500 dans la sous-couche (a) et dans le sol-support (b) pour GGR1_S2, REF1, REF2 et GGR2_S2 (de haut en bas).

Comparison between surcharges induced by a B 81500 train bogie in the subballast (a) and subgrade (b) for GGR1_S2, REF1, REF2 and GGR2_S2 (top to bottom).

thumbnail Fig. 16

Ratio de transfert par rapport à la charge à l’essieu pour chaque zone (GGR1, GGR2, REF1 & REF2), avec un marqueur indiquant la moyenne pondérée de chaque groupe.

Transfer ratio relative to axle load for each zone (GGR1, GGR2, REF1 & REF2), with a marker for the weighted average of each cluster.

Tableau 3

Moyennes pondérées du ratio de transfert pour chaque section.

Weighted averages of transfer ratio for each section.

4 Conclusion

Dans l’ensemble, l’instrumentation a été intégrée de manière adéquate dans la planification et l’exécution des travaux sur site, ce qui a facilité l’installation. Une analyse continue des mesures confirme que, après deux ans de service, le système est toujours opérationnel et qu’aucun des capteurs intégrés n’a été endommagé. Ce taux de survie est remarquable, compte tenu des difficultés inhérentes aux instrumentations en conditions opérationnelles. Certaines études rapportent des pertes allant jusqu’à 18 % des capteurs posés dans des ouvrages opérationnels malgré leur installation des conditions contrôlées (Warren et Howard, 2007). Un script de prétraitement gère les conversions de format, l’étiquetage des données, le filtrage des signaux et leur synchronisation. La précision et la fiabilité des données sont ainsi assurées. Les signaux filtrés peuvent ensuite être visualisés et analysés à l’aide de diverses méthodes statistiques.

Jusqu’à présent, l’analyse a révélé que les géogrilles instrumentées sont toutes deux mobilisées lors du passage des trains. La raideur des brins s’avère être le facteur principal qui affecte les performances des géogrille ; ainsi la géogrille GGR1 (la plus raide) est la seule qui répond aux attentes. La présence de GGR2 ne se remarque que lorsqu’elle est sollicitée par des trains de fret, ce qui indique qu’elle ne conviendrait pas sur la majorité des lignes qui pourraient bénéficier d’un renouvellement de leurs structures d’assises (majoritairement du trafic voyageur). En somme, le système se comporte comme prévu, malgré quelques valeurs aberrantes. Plusieurs de ces valeurs aberrantes peuvent être attribuées aux aléas du travail in situ. En effet, on doit faire face à plusieurs paramètres non-contrôlés ; y compris la raideur du sol-support, l’hétérogénéité du matériau de sous-couche, l’apparition de défauts localisés pendant le compactage et le bourrage, les effets dynamiques induits par les trains, etc. Il serait utile de reproduire cette expérimentation sur d’autres sites présentant des caractéristiques similaires, mais sur des tronçons plus longs. Ces plus longs tronçons fourniraient plus de points de référence pertinents, qui pourraient être utilisés pour isoler les impacts de certains des facteurs mentionnés ci-dessus. L’analyse pourrait également être améliorée en segmentant les données pour tenir compte de l’évolution du comportement et pour extraire l’influence des saisons (température et teneur en eau). Des travaux sont en cours pour analyser les données de manière plus approfondie et identifier les indicateurs de performance les plus pertinents. Au cours des prochaines années, l’acquisition et l’analyse continues des données devraient permettre de mieux comprendre comment chaque géogrille est mobilisée sous les charges du trafic et de comparer les performances des géogrilles instrumentées.

Remerciements

Nous souhaitons remercier nos collègues des PRIs et Infrapôles de SNCF Réseau pour leur collaboration durant les travaux, ainsi que les producteurs qui ont fourni des géogrilles pour nos expérimentations (Enka Solutions, HUESKER Synthetic, NAUE, TenCate Geosynthetics et Tensar International).

Références

  • Boussinesq J. 1885. Applications des potentiels à l’étude de l’équilibre et mouvement des solides élastiques. Paris : Gauthier-Villard. [Google Scholar]
  • Carroll R Jr. 1998. Specifying geogrids. Geotech Fabrics Rep 6(2): 40–43. [Google Scholar]
  • Fernandes G, Palmeira E, Gomes R. 2008. Performance of geosynthetic-reinforced alternative sub-ballast material in a railway track. Geosynth Int 15(5): 311–321. [CrossRef] [Google Scholar]
  • Giroud J-P. 1973. Tables pour le calcul des fondations. Paris : Dunod. [Google Scholar]
  • Horníček L, Břešt’ovský P, Jasans P. 2017. Application of geocomposite placed beneath ballast bed to improve ballast quality and track stability. IOP Conf Ser: Mater Sci Eng 236(1): 12–39. [Google Scholar]
  • Lenart S, Klompmaker J. 2014. Geogrid reinforced railway embankment on soft soil – Experiences from 5 years of field monitoring. In: Proceedings of the 10th International Conference on Geosynthetics, Berlin. [Google Scholar]
  • Nimbalkar S, Indraratna B. 2016. Improved performance of ballasted rail track using geosynthetics and rubber shockmat. J Geotech Geoenviron Eng 142(8): 1–13. [CrossRef] [Google Scholar]
  • Rincent ND Technologies. 2017. Plaque dynamique légère – Manuel d’utilisation. Courcouronnes : Rincent. [Google Scholar]
  • Selig ET, Waters JM. 1994. Track geotechnology and substructure management. London: Thomas Telford Publications. [CrossRef] [Google Scholar]
  • Sharpe P, Brough M, Dixon J. 2006. Geogrid trials at coppull moor on the west coast main line. In: Proceedings of the First International Conference on Railway Foundations, Birmingham. [Google Scholar]
  • Warren KA, Howard IL. 2007. Sensor selection, installation, and survivability in a geosynthetic-reinforced flexible pavement. Geosynth. Int. 14(5): 298–315. [CrossRef] [Google Scholar]

Citation de l’article : Olatounde Alexandre Yaba, Fabrice Emeriault, Orianne Jenck, Jean-François Ferellec, Amine Dhemaied. Évaluation des apports de géogrilles dans une structure d’assise ferroviaire en conditions opérationnelles. Rev. Fr. Geotech. 2022, 172, 4.

Liste des tableaux

Tableau 1

Caractéristiques des géosynthétiques utilisés sur le site.

Characteristics of the geosynthetics used on site.

Tableau 2

Caractéristiques des capteurs.

Sensor specifications.

Tableau 3

Moyennes pondérées du ratio de transfert pour chaque section.

Weighted averages of transfer ratio for each section.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Vue en plan des modules Ev2 du sol-support de la voie 1 (en MPa). La distance entre les axes de chaque traverse est de 60 cm, et les traverses grises sont des sections instrumentées.

Plan view of the Ev2 moduli of the subgrade on track 1 (in MPa). The distance between the axes of each sleeper is 60 cm, and the gray sleepers are instrumented cross-sections.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Aménagement du site.

Site layout.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Hauteur hexagonale d’une géogrille avec des ouvertures triangulaires.

Hexagonal height of a geogrid with triangular apertures.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Répartition typique de la charge d’une roue sur cinq traverses (Selig et Waters, 1994).

Typical wheel load distribution across five sleepers (Selig and Waters, 1994).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Positions des jauges de déformation sur une géogrille instrumentée. Les rectangles vides représentent les positions estimées des traverses au-dessus des jauges de contrainte.

Strain gauge positions on an instrumented geogrid. The empty rectangles represent the estimated positions of sleepers above the strain gauges.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Coupes transversales instrumentées ; montrant les positions des jauges de contrainte (croix, DEF), des capteurs de température (petites barres horizontales, PT100) et des cellules de pression totale (grandes barres horizontales, TPC).

Instrumented cross-sections; showing the positions of the strain gauges (crosses, DEF), the temperature sensors (small horizontal bars, PT100) and the total pressure cells (large horizontal bars, TPC).

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Installation d’une cellule de pression totale (CPT) sur le site.

Total pressure cell (TPC) installation on site.

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thumbnail Fig. 8

Train Bombardier B 81500 (variante à 4 voitures) et son profil de charge à l’essieu tel que mesuré sur le site.

Bombardier Class B 81500 passenger train (4-car variant) and its axle load profile as measured on site.

Dans le texte
thumbnail Fig. 9

Stabilisation des signaux de déformation après trois mois de trafic ; exemple de GGR1.

Stabilisation of strain signals after three months of traffic; example from GGR1.

Dans le texte
thumbnail Fig. 10

Déformations des brins des géogrilles ; signaux bruts (a) et signaux filtrés (b).

Geogrid rib strain; unfiltered signals (a) and filtered signals (b).

Dans le texte
thumbnail Fig. 11

Toutes les déformations induites par un train donné ; sur GGR1 (a) et GGR2 (b).

All the strains produced by a given train; on GGR1 (a) and GGR2 (b).

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thumbnail Fig. 12

Évolution des déformations transitoires de décembre 2020 à octobre 2021 ; GGR1 (a) et GGR2 (b).

Evolution of transient strain values from December 2020 to October 2021; GGR1 (a) and GGR2 (b).

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thumbnail Fig. 13

Surcharges induites dans la sous-couche par un train B 81500.

Surcharges induced in the subballast by a B 81500 train.

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thumbnail Fig. 14

Surcharges induites dans le sol-support par un train B 81500.

Surcharges induced in the subgrade by a B 81500 train.

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thumbnail Fig. 15

Comparaison entre les surcharges induites par un bogie du train B 81500 dans la sous-couche (a) et dans le sol-support (b) pour GGR1_S2, REF1, REF2 et GGR2_S2 (de haut en bas).

Comparison between surcharges induced by a B 81500 train bogie in the subballast (a) and subgrade (b) for GGR1_S2, REF1, REF2 and GGR2_S2 (top to bottom).

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thumbnail Fig. 16

Ratio de transfert par rapport à la charge à l’essieu pour chaque zone (GGR1, GGR2, REF1 & REF2), avec un marqueur indiquant la moyenne pondérée de chaque groupe.

Transfer ratio relative to axle load for each zone (GGR1, GGR2, REF1 & REF2), with a marker for the weighted average of each cluster.

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