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Numéro
Rev. Fr. Geotech.
Numéro 169, 2021
Hommage à Pierre Habib et Pierre Duffaut
Numéro d'article 9
Nombre de pages 7
DOI https://doi.org/10.1051/geotech/2021027
Publié en ligne 15 octobre 2021

© CFMS-CFGI-CFMR-CFG, 2021

1 Originalité de Pierre Duffaut

Je suis très honoré de participer à cet éloge de Pierre Duffaut, que je considère comme mon maître. Sa longue carrière à EDF vient d’être retracée par J.L Giafferi, et je l’avais moi-même relatée en détail dans la Revue de l’AFTES (Piraud, 2020) ; j’y avais annexé une bibliographie thématique de quelque 50 références, car P. Duffaut était un ingénieur qui adorait écrire, convaincre, diffuser ses idées, et bien sûr enseigner. Compte tenu des cours et conférences qu’il a données dans le monde entier, il a dû signer plus de 200 papiers, dont une bonne partie en anglais.

P. Duffaut était devenu au fil de sa carrière un homme de réflexion scientifique et de publications, plutôt que de projets et de travaux. Son originalité était d’être un ingénieur pluridisciplinaire, à la fois féru en géologie, en hydrogéologie, en mécanique des sols et des roches, et en génie civil ; ce n’était pas un spécialiste pointu, mais il maîtrisait suffisamment chacune de ces disciplines pour bien évaluer leur apport à chaque projet. Grâce à l’expérience acquise sur une multitude de chantiers EDF, et à sa culture multiforme, il était capable de saisir l’ensemble des opportunités et des risques posés par un couple site/ouvrage, et de faire des connexions moins accessibles à des ingénieurs trop spécialisés. C’est ce qui l’a incité, entre autres, à promouvoir une utilisation accrue de « l’espace souterrain » pour des usages nouveaux.

Mon propos d’aujourd’hui se limitera à deux aspects de sa carrière :

  • dans les années 1960, le rôle important qu’il a joué, à la demande d’EDF, dans les études et recherches qui ont suivi la rupture du barrage de Malpasset ;

  • sa croisade inlassable en faveur des centrales nucléaires à réacteur souterrain, en particulier durant ces 20 dernières années.

2 La catastrophe de Malpasset

2.1 Historique de la rupture, et implication de P. Duffaut

Le maître d’ouvrage de ce barrage, destiné surtout à l’irrigation, était le Département du Var, qui avait délégué ses pouvoirs au Génie rural et avait confié la maîtrise d’œuvre au bureau d’études Coyne & Bellier. Le barrage en voûte mince, haut de 65 m, fondé sur un verrou de gneiss apparemment de bon aloi, avait été dessiné et calculé par l’ingénieur André Coyne, qui jouissait d’une grande renommée internationale. L’ouvrage a été achevé en 1954, mais la mise en eau du dernier tiers de la retenue − le plus redoutable en termes de poussées et de risques – n’a été réalisée que 5 ans après.

La rupture s’est produite dans la nuit du 2 décembre 1959 (Fig. 1 et 2) ; les 50 millions de m3 d’eau de la retenue ont dévasté une partie de la ville de Fréjus, faisant 423 morts et ravageant 3000 ha de terres (le plus grave accident de France au xxe siècle, hors mines). Ce sont les fondations de l’appui rive gauche qui ont cédé, avant que la voûte n’éclate. A. Coyne a dit alors : « Je suis le seul responsable… C’est mon devoir de vous le dire : le gneiss m’a trahi… J’ai barré le Zambèze, mais je n’ai pas réussi à maîtriser un ruisseau. »

EDF n’était pas en cause dans ce projet, mais elle ne pouvait s’en désintéresser vu le nombre de barrages qu’elle avait en construction ou en projet − la plupart d’entre eux étant justement conçus par le bureau d’études Coyne & Bellier. Elle demanda donc à P. Duffaut, ingénieur civil des Mines particulièrement porté sur la géologie, de suivre l’affaire de très près en vue d’en tirer les leçons pour EDF. Il avait d’ailleurs de qui tenir : son propre père Joseph Duffaut, qui était ingénieur du corps des Ponts et Chaussées, dirigeait à cette époque le Service des barrages au ministère des Travaux publics. C. Louis a évoqué, dans le présent colloque, l’étroite collaboration qui s’était alors instaurée entre les trois Pierre (Duffaut, Habib et Londe, directeur technique de Coyne & Bellier), pour piloter les études et recherches engagées en vue d’élucider les causes techniques de la rupture de Malpasset.

Une autre catastrophe majeure, celle du barrage de Vajont dans les Alpes italiennes, se produisit en 1963, faisant plus de 2000 morts, ce qui a mis à nouveau en ébullition le milieu de la géotechnique et a conduit à la création en 1966 du Comité technique permanent des barrages, constitué d’experts choisis en fonction de leurs compétences techniques particulières dans le domaine des ouvrages hydrauliques.

Un demi-siècle après Malpasset, le CFMR et le CFGI ont jugé utile d’organiser un colloque sur les leçons de la catastrophe, qui a été piloté tout naturellement par P. Habib et P. Duffaut, entre autres ; ce colloque a été fait l’objet de nombreux articles dans la Revue française de géotechnique (n° 131–132, 2010).

thumbnail Fig. 1

Le barrage de Malpasset (Var) à la fin des travaux et après la rupture.

The Malpasset dam (Var) at the end of the works and after the rupture.

thumbnail Fig. 2

Le barrage de Malpasset peu après sa rupture. À gauche, la rive gauche avec la trace du dièdre de rocher emporté ; à droite, la rive droite avec le bas du barrage intact mais une crevasse décimétrique ouverte à l’amont dans sa fondation.

The Malpasset dam shortly after its rupture. On the left, the left bank with the trace of the dihedral of rock carried away; on the right, the right bank with the bottom of the dam intact but a decimetric crevice open upstream in its foundation.

2.2 Les causes techniques de la rupture de Malpasset

De très nombreuses investigations, in situ et au laboratoire, ainsi de nouveaux calculs et simulations numériques, ont été effectués sur le rocher de Malpasset et le mécanisme de rupture est aujourd’hui bien identifié (Fig. 3). Il résulte de la conjonction de quatre facteurs géotechniques défavorables : (cf. Habib et Duffaut, 2013) :

  • la présence en aval de la rive gauche d’une faille orientée défavorablement, non reconnue lors des reconnaissances préalables « mais honnêtement difficile à déceler », d’après les experts ;

  • la présence de plans de faiblesse dans le gneiss (lits sériciteux), dont l’incidence mécanique a été sous-estimée ; la conjugaison de ces lits et de la faille a déterminé un dièdre instable sous l’effet de sous-pressions accrues juste à la fin du remplissage (la force d’Archimède restait constante mais pas les forces de volume dues au gradient hydraulique) ;

  • un rocher de fondation dont le très faible module, notamment en rive gauche, n’avait pas été mesurée ni in situ, ni au laboratoire ; il se révèlera après coup comme le plus faible de tous les sites de barrage-voûte d’EDF ;

  • un phénomène inconnu et dangereux (les variations de perméabilité sous contrainte affectant les roches anisotropes), qui n’a été mis en évidence qu’après la catastrophe (thèse de Bernaix, 1967).

Donc quatre causes naturelles, à caractère nettement hydro-géotechnique. S’y rajoute une cinquième cause naturelle : des pluies torrentielles peu avant la rupture (500 mm d’eau en deux semaines), bien trop brusques eu égard à la capacité de réaction insuffisante du système d’auscultation. En effet, on peut dire que l’auscultation de cet ouvrage a été défaillante de A jusqu’à Z : aucune mesure zéro avant remplissage, pas de mesures piézométriques, des résultats toujours très tardifs, et surtout une interprétation beaucoup trop légère (non-prise en compte de signes avant-coureurs, comme un déplacement de 15 mm en pied de barrage dès l’été 1959, et l’apparition de résurgences à l’aval du barrage), et in fine un gardien peu familier des barrages, et dont les observations n’ont pas été prises au sérieux.

thumbnail Fig. 3

Mécanisme de rupture de la fondation du barrage en rive gauche ; le rocher comprimé sous la fondation du barrage a constitué une sorte de « barrage souterrain », aggravant le gradient hydraulique, donc la force d’écoulement.

Mechanism of rupture of the foundation of the dam on the left bank; the compressed rock under the foundation of the dam constituted a kind of “underground dam”, aggravating the hydraulic gradient, therefore the flow force.

2.3 Le devoir de conseil d’A. Coyne

Loin de moi l’idée de porter un jugement sur ce qu’ont fait (ou n’ont pas fait) les acteurs de l’époque − bien que ce type de jugement rétrospectif soit aujourd’hui à la mode… Force est de constater qu’en 1964, les juges du Tribunal de Draguignan, forts de l’avis convergent de trois commissions d’experts, ont estimé qu’aucune responsabilité pénale n’était engagée ; constatant que 14 des 18 experts concluaient à « l’imprévisibilité de la rupture », ils ont relaxé les prévenus.

Rappelons que le principal acteur, A. Coyne, était décédé un an après la catastrophe, et que ne comparaissait que l’ingénieur en chef du Génie rural et le directeur de la société d’auscultation. Mais en 1965, les parties civiles, à la recherche de coupables, ont obtenu un deuxième procès, à l’issue duquel tous les prévenus ont été à nouveau relaxés. En 1968, la Cour de cassation a conclu qu’aucune faute humaine ne pouvait être retenue contre quiconque, qu’aucune infraction aux règles de l’art n’avait été commise, et qu’il n’y avait aucun vice dans la conception ni dans l’exécution des travaux (l’entreprise étant mise hors de cause).

Mais il n’est pas interdit de se demander comment les acteurs du projet de barrage agiraient, compte tenu des connaissances scientifiques, des règles de l’art et de la jurisprudence d’aujourd’hui, s’ils étaient transportés par magie à l’époque actuelle :

  • on ne ferait certainement pas un tel barrage sans avoir fait plusieurs sondages carottés à travers chacun des appuis ; or ni sondages ni tranchées n’ont été exécutés avant travaux sur le site lui-même, car le barrage a été finalement décalé de 200 m à l’aval du site envisagé à l’origine ;

  • on soumettrait obligatoirement le projet à un « second regard », c’est-à-dire à un comité extérieur d’ingénieurs compétents, comme c’était déjà le cas à EDF pour les barrages hydroélectriques. C’est le rôle dévolu aujourd’hui du Comité technique permanent des barrages et ouvrages hydrauliques (CTPBOH), lequel a le pouvoir de faire compléter ou modifier un projet jugé insuffisant ;

  • le bureau d’études serait explicitement chargé − ce qui n’a pas été le cas – d’observer la mise à nu du rocher de fondation et sa conformité aux prévisions avant la mise en place des premiers bétons, dans le cadre d’une mission de type G4 (au sens de la norme NF P94-500 sur les missions d’ingénierie géotechnique) ;

  • on ferait un rideau d’injections côté amont du barrage, pour corriger les forces d’écoulement défavorablement orientées sous la fondation ;

  • on aurait surdimensionné la vanne de vidange pour faire face à des pluies encore plus exceptionnelles que celles de novembre 1959 ;

  • on effectuerait une « étude de danger », aboutissant à un plan d’alerte prévoyant de prévenir et d’évacuer les populations menacées en cas de danger ;

  • enfin, et je dirais même surtout, on n’autoriserait pas le remplissage de la retenue sans que soit mis en place un système d’auscultation soigné, dûment opéré et interprété par des gens compétents, ce qui n’a pas du tout été le cas (cf. sect. 2.2).

Et pourtant, il faut souligner qu’André Coyne s’est vraiment « battu » pendant des années avec le Conseil général du Var pour obtenir un contrat de suivi de l’auscultation, mais rien n’a été signé et il a abandonné, de guerre lasse… Or il était pratiquement le seul, parmi tous les acteurs du projet, à savoir que la mise en eau constituait l’épreuve de vérité, une étape absolument décisive pour garantir la sécurité d’un barrage.

Peut-on lui « reprocher » aujourd’hui de pas être allé faire un scandale à ce sujet auprès du préfet du Var, ou chez le maire de Fréjus, ou dans la presse locale, au titre de son devoir de conseil ? J’ai mis intentionnellement « reprocher » entre guillemets, car cette interrogation est purement virtuelle. Mais la jurisprudence actuelle est claire : il est certain qu’un juge d’aujourd’hui le condamnerait, lui le « sachant », pour avoir manqué à son devoir de conseil, quand bien même il n’avait plus de lien contractuel avec l’exploitant du barrage. Mais à l’époque d’André Coyne, cette notion de devoir de conseil n’existait pas en droit, ou était embryonnaire.

2.4 Les facteurs organisationnels et humains

Si le mécanisme de rupture du barrage est aujourd’hui bien compris, la plupart de ses causes profondes doivent être recherchées dans une série de défaillances humaines et organisationnelles, qui ont chacune contribué à la catastrophe. Ces défaillances jalonnent « l’histoire administrative du projet », comme disait J. Goguel ; elles ont constitué le thème central de la thèse de J. Larouzée, soutenue à l’École des Mines en 2015 et encadrée par EDF et par P. Duffaut lui-même, qui lui a transmis tout son savoir sur Malpasset1. Passons en revue ces circonstances non techniques, qui ont joué comme autant de facteurs défavorables et qui font de Malpasset un accident typiquement organisationnel :

  • un maître d’ouvrage, le Génie rural, sans expérience en grands barrages, donc non conscient des capacités à mobiliser à chaque phase d’un tel projet, y compris après la construction (l’auscultation !) ;

  • un géologue, le professeur G. Corroy, certes familier du contexte local mais non compétent en barrages : il n’a pas été intégré à l’équipe de conception et n’a pas été chargé de vérifier en détail la qualité du rocher de fondation lors du chantier ;

  • la renommée universelle du bureau d’études Coyne & Bellier et de son fondateur, ce qui a conduit le Génie rural à lui accorder une confiance aveugle ;

  • un manque d’argent tardif chez le maître d’ouvrage, ce qui l’a conduit à rogner sur les crédits destinés au suivi de l’auscultation ;

  • un remplissage tardif de la retenue (5 ans et demi après la construction), lié à la fois à une sécheresse persistante et au désir de pas noyer les mines du Garrot, situées à l’amont, avant d’avoir pu les exproprier ; en 1959, le barrage était ainsi « entré dans le paysage » et sa solidité semblait acquise ;

  • le souci de ne pas perdre un volume d’eau précieux en ouvrant la vanne de vidange, après une longue sécheresse ;

  • un manque d’autorité du Génie rural, qui n’a pas pu imposer d’ouvrir à temps cette vanne ; le flot aurait alors noyé le chantier autoroutier situé à l’aval et dirigé par les Ponts et Chaussées, administration qui était à l’époque plus puissante que celle de l’agriculture.

En fin de compte, pendant toute la période décisive de mise en eau, tout s’est passé comme si « ce barrage était pratiquement à l’abandon ; il n’avait jamais été “essayé”, jamais rempli, et aucun personnel compétent n’était chargé de sa surveillance » (Castanier, 2016). Pour décrire cette cascade de défaillances, dont chacune aurait été insuffisante seule pour provoquer la catastrophe, Larouzée utilise l’image du fromage de Gruyère (Fig. 4) : la probabilité pour que tous les trous soient alignés est faible, mais non nulle.

thumbnail Fig. 4

Le modèle du Fromage Suisse, où chaque trou dans une tranche de fromage représente une ligne défense altérée d’un système sociotechnique (d’après Reason, 2000).

The Swiss Cheese model, where each hole in a slice of cheese represents an altered line of defense of a sociotechnical system.

3 Les centrales nucléaires à réacteur souterrain

Parallèlement à l’achèvement de son Manuel de mécanique des roches, P. Duffaut s’était polarisé depuis les années 2000 sur la promotion des centrales nucléaires à réacteur souterrain, dites CNRS. Infatigable dans cette nouvelle croisade, et bien que très isolé dans la profession, il écrivit plus de 25 papiers à ce sujet, sans réussir à convaincre EDF de prendre le sujet au sérieux.

Il est vrai que le premier Colloque international sur le sujet, organisé par les Allemands à Hanovre en 1981, s’était tenu en l’absence d’EDF (sic !), le seul représentant français étant P. Duffaut, envoyé par le BRGM. EDF avait pourtant construit dans les Ardennes une centrale nucléaire souterraine, celle de Chooz-A, aujourd’hui en cours de démantèlement (Fig. 5), et divers autres projets avaient été envisagés au Canada et en Californie. L’idée de P. Duffaut était de transposer au nucléaire le succès avéré des milliers de centrales hydroélectriques installées dans des cavernes au rocher : celles-ci ont couramment plus de 25 m de diamètre, voire 30 m, et n’ont jamais connu le moindre problème de stabilité, pas plus en France qu’à l’étranger. Au contraire, elles sont mieux protégées contre la plupart des risques naturels, y compris les séismes, dont l’amplitude et les effets sont fortement atténués dans des structures profondes encastrées.

À la fin des années 1980, Sakharov, le père de l’industrie nucléaire soviétique, préconisait déjà la construction de CNRS « pour exclure la possibilité d’un nouveau Tchernobyl ». Nous avons récapitulé les principaux avantages et inconvénients de l’implantation souterraine sur la figure 6. L’accident de Fukushima, en 2011, vint confirmer de façon éclatante l’avantage majeur qu’aurait apporté une implantation souterraine des réacteurs pour préserver l’environnement après un accident − à condition bien sûr de ne pas se tromper, comme l’ont fait hélas les Japonais, sur la hauteur de la vague du tsunami dimensionnant…

Faute d’audience en France, P. Duffaut fit de nombreuses publications et conférences à l’étranger malgré ses 80 puis 90 ans, et il rencontra un certain écho en Extrême-Orient. Au Japon, le professeur S. Sakurai, ancien président de la Société internationale de mécanique des roches (SIMR), comprit qu’après Fukushima, la population de son pays n’accepterait pas la construction de nouvelles centrales nucléaires en surface et qu’il fallait donc promouvoir l’idée de réacteurs souterrains, d’où la Commission internationale ad hoc crée par la SIMR, à laquelle P. Duffaut fut naturellement convié. Celle-ci remit en 2015 lors du congrès de Montréal un rapport volumineux justifiant la faisabilité technique et l’intérêt des CNRS, rapport largement inspiré par P. Duffaut.

P. Duffaut n’eut hélas pas le temps de voir ses idées triompher. Cependant, le concept de CNRS a fait son chemin et il est en train de « percer » aujourd’hui sous une forme voisine : celle de réacteurs semi-enterrés au fond de fosses entre parois moulées, et recouverts d’une forte épaisseur de remblais. C’est l’option qui est retenue par les pays qui veulent construire de petits réacteurs nucléaires dits SMR (small modular reactors) dans la gamme des 60 à 300 MW, pour la production d’électricité. L’un des avantages de cette option est que les sites possibles sont infiniment plus nombreux que les sites rocheux « capables de grandes cavités » (comme aimait à dire P. Duffaut).

Aux États-Unis, la société NuScale a entrepris la construction d’une première centrale de ce type, dans l’Idaho, avec des modules préfabriqués de 60 MW. En France, un groupement associant le CEA, Technicatome, EDF et Naval Group réalise actuellement l’APS d’un réacteur compact, intégré dans un bassin d’eau et installé dans un îlot nucléaire comprenant deux réacteurs de 170 MW et une piscine d’entreposage (Fig. 7) ; ce projet, dit NUWARD, vise de nombreuses applications commerciales à l’international (îles, sites isolés, compléments aux énergies intermittentes…). En Belgique, c’est un concept analogue de réacteur de recherche enterré qui a été étudié en détail dans le cadre du projet MYRRHA, destiné à la transmutation des déchets hautement actifs.

P. Duffaut a donc toujours été un partisan convaincu de l’électricité nucléaire, comme je le suis moi-même. On constate hélas depuis 40 ans que dans le monde entier, les partis écologistes n’ont eu de cesse de torpiller le développement logique de cette énergie, favorisant ainsi un renouveau du charbon qui a lui-même aggravé l’effet de serre, ce dont ils portent une lourde responsabilité. Malheureusement, ils ont remporté la bataille de l’opinion publique, qu’il sera très difficile de retourner. P. Duffaut a eu le courage de s’y atteler en promouvant les CNRS, qui présentent des avantages majeurs vis-à-vis des risques naturels, industriels et anthropiques : la variante souterraine est en effet une idée simple, qui peut contribuer à améliorer l’acceptabilité du nucléaire auprès du grand public.

De même que j’ai évoqué plus haut le devoir de conseil d’André Coyne, j’affirme qu’il nous appartient aujourd’hui, à nous ingénieurs et scientifiques, d’entrer dans le débat public et d’éclairer nos concitoyens sur l’énergie nucléaire avec des arguments rationnels. C’est notre devoir en tant que sachants ; qui le fera à notre place ?

Signalons aussi les nombreuses publications techniques sur l’accident de Malpasset, parues notamment dans le numéro spécial de la Revue française de géotechnique (n° 131–132, 2010), dans le Bulletin n° 180 de la CIGB (B. Goguel, 2018), etc.

thumbnail Fig. 5

La centrale nucléaire franco-belge de Chooz-A, qui a fourni 305 MWe au réseau de 1967 à 1991 ; les deux cavernes, de 15 et 19 m de large, ont été creusées sous 80 m de couverture (les ouvrages non nucléaires sont implantés en surface).

The Franco-Belgian nuclear power plant at Chooz-A, which supplied 305 MWe to the grid from 1967 to 1991; the two caverns, 15 and 19 m wide, were dug under 80 m of overburden (non-nuclear structures are located on the surface).

thumbnail Fig. 6

Avantages et inconvénients des CNRS par rapport aux centrales nucléaires de surface (d’après Duffaut et Piraud, 2012).

Advantages and disadvantages of underground nuclear reactors compared to surface reactors (after Duffaut and Piraud, 2012).

thumbnail Fig. 7

Schéma du projet français de réacteur semi-enterré NUWARD ; diamètre de la cuve 15 m.

Diagram of the French semi-buried NUWARD reactor project; diameter of the reactor 15 m.

Références

  • Bernaix J. 1967. Étude géotechnique de la roche de Malpasset. Thèse. Paris: Dunod. [Google Scholar]
  • Castanier G. 2016. Barrage de Malpasset : la rupture était-elle inévitable ? In: Conférence pour Voies auréliennes, 25 avril 2016. [Google Scholar]
  • Duffaut P. 2013. Manuel de mécanique des roches, tome 4 (retours d’expériences en génie civil). Introduction de la 5e partie : Barrages. Paris: Presses des Mines. [Google Scholar]
  • Duffaut P, Piraud J. 2012. Concevoir des centrales nucléaires souterraines, pour éviter Tchernobyl et Fukushima. Tunnels & Espace Souterrains (234). [Google Scholar]
  • Habib P, Duffaut P. 2013. La rupture du barrage de Malpasset. In: Manuel de mécanique des roches, tome 4 (retours d’expériences en génie civil). Paris: Presses des Mines. [Google Scholar]
  • Piraud J. 2020. Éloge de Pierre Duffaut. Tunnels & Espace Souterrains (274). [Google Scholar]
  • Reason J. 2000. Human error: models and management. BMJ 320(7237): 768–770. [CrossRef] [Google Scholar]

1

Une publication posthume de P. Duffaut et J. Larrouzée est prévue à ce sujet au prochain Congrès international des Grands Barrages.

Citation de l’article : Jean Piraud. À la mémoire de Pierre Duffaut. Réflexions sur la sécurité des ouvrages hydrauliques et nucléaires. Rev. Fr. Geotech. 2021, 169, 9.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Le barrage de Malpasset (Var) à la fin des travaux et après la rupture.

The Malpasset dam (Var) at the end of the works and after the rupture.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Le barrage de Malpasset peu après sa rupture. À gauche, la rive gauche avec la trace du dièdre de rocher emporté ; à droite, la rive droite avec le bas du barrage intact mais une crevasse décimétrique ouverte à l’amont dans sa fondation.

The Malpasset dam shortly after its rupture. On the left, the left bank with the trace of the dihedral of rock carried away; on the right, the right bank with the bottom of the dam intact but a decimetric crevice open upstream in its foundation.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Mécanisme de rupture de la fondation du barrage en rive gauche ; le rocher comprimé sous la fondation du barrage a constitué une sorte de « barrage souterrain », aggravant le gradient hydraulique, donc la force d’écoulement.

Mechanism of rupture of the foundation of the dam on the left bank; the compressed rock under the foundation of the dam constituted a kind of “underground dam”, aggravating the hydraulic gradient, therefore the flow force.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Le modèle du Fromage Suisse, où chaque trou dans une tranche de fromage représente une ligne défense altérée d’un système sociotechnique (d’après Reason, 2000).

The Swiss Cheese model, where each hole in a slice of cheese represents an altered line of defense of a sociotechnical system.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

La centrale nucléaire franco-belge de Chooz-A, qui a fourni 305 MWe au réseau de 1967 à 1991 ; les deux cavernes, de 15 et 19 m de large, ont été creusées sous 80 m de couverture (les ouvrages non nucléaires sont implantés en surface).

The Franco-Belgian nuclear power plant at Chooz-A, which supplied 305 MWe to the grid from 1967 to 1991; the two caverns, 15 and 19 m wide, were dug under 80 m of overburden (non-nuclear structures are located on the surface).

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Avantages et inconvénients des CNRS par rapport aux centrales nucléaires de surface (d’après Duffaut et Piraud, 2012).

Advantages and disadvantages of underground nuclear reactors compared to surface reactors (after Duffaut and Piraud, 2012).

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Schéma du projet français de réacteur semi-enterré NUWARD ; diamètre de la cuve 15 m.

Diagram of the French semi-buried NUWARD reactor project; diameter of the reactor 15 m.

Dans le texte

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